Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1

28 | 0123 DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019


0123


L


a cueillette de la pomme
vient de commencer
dans le sud de la Sarthe,
cœur d’une des princi­
pales régions de production de
fruits à pépins en France. Pour
la troisième année consécutive,
une petite partie de la récolte est
faite par des migrants, dans le ca­
dre d’une opération visant à met­
tre ceux­ci sur un chemin auquel
ils ont difficilement accès : celui
de l’emploi. Originaires du Sou­
dan, d’Erythrée, du Tchad, de So­
malie, du Yémen et d’Ethiopie,
une cinquantaine d’hommes,
payés au smic, travaillent dans les
vergers de deux exploitations, au
contact de variétés (gala, golden,
elstar...) dont ils ignoraient le
nom jusque­là.
C’est en lisant les « unes » de la
presse locale alertant sur les diffi­
cultés de la filière à recruter des
saisonniers chaque année à pa­
reille époque que Brigitte Coulon­
Marques, la présidente de Tada­
moon, une association d’aide aux
demandeurs d’asile, a eu l’idée
de rapprocher les deux mondes,
en 2017. Le secteur de la pomme
cherchait des bras ; ceux des mi­
grants ne demandaient qu’à se
rendre utiles : l’évidence a sauté
aux yeux de cette professeure de
droit du Mans. « J’ai pris les Pages
jaunes de l’annuaire à la recherche
d’arboriculteurs, et j’ai téléphoné »,
se souvient­elle.
Après un certain nombre de re­
fus, la présidente de Tadamoon
(« solidarité », en arabe phonéti­
que) a réussi à convaincre plu­
sieurs exploitants agricoles des
environs de Château­du­Loir de
l’accompagner dans son projet.
Un obstacle important s’est alors
vite dressé devant elle : comment
acheminer les travailleurs, héber­
gés dans des foyers du Mans
(quand ils ne dorment pas dans la
rue), jusqu’à la zone de produc­
tion, située à 50 kilomètres?
« Certains étaient prêts à prendre
le train et à marcher 12 km jus­
qu’aux vergers, et autant pour le
retour. J’ai imaginé la scène dans
ma tête : 50 Africains sur le bord
d’une route, au milieu de la Sar­
the... Je me suis que non, cela n’al­
lait pas le faire. »
Un bus a finalement été affrété
par l’association. Celui­ci part tous
les matins à 6 h 15 du centre­ville
du Mans et revient le soir, le bou­
lot terminé. La location du véhi­
cule (485 euros par jour) est finan­
cée par plusieurs collectivités :
l’Etat (par la direction départe­
mentale de la cohésion sociale), la
ville du Mans et le conseil dépar­
temental de la Sarthe. Une parti­
cipation de 3 euros par jour est de­
mandée à chaque saisonnier, ma­
nière « de rappeler que rien n’est
gratuit », insiste Brigitte Coulon­
Marques. « Bosser est capital pour
eux, poursuit la militante. D’abord
parce que leur famille crève de
faim. Ensuite parce qu’ils culpabili­
sent d’être aidés, ou de toucher le
RSA pour certains, sans rien pou­
voir donner en échange. »
Qu’ils aient le statut de réfugiés
ou de demandeurs d’asile, la ma­
jorité n’ont jamais travaillé de­
puis qu’ils ont posé le pied en Eu­
rope. Ainsi Mohamed Yagoub, un
Darfouri de 26 ans arrivé au Mans
en juin 2018, cinq ans après avoir
quitté le Soudan : « La dernière

fois que j’ai travaillé, c’était en
Libye, où j’ai été plombier sur des
chantiers. Nous n’étions pas payés
tous les jours, mais j’ai pu accumu­
ler assez d’argent pour payer le
passeur afin de traverser la Médi­
terranée. Une seule tentative a
suffi », raconte ce fils de cultiva­
teurs, dans un français récem­
ment appris sur les bancs de l’Of­
fice français de l’immigration et
de l’intégration.
Travail physique en extérieur, la
cueillette de la pomme ne re­
quiert pas un savoir­faire particu­
lier. Juste de la délicatesse dans le
geste, afin de ne pas meurtrir le
fruit. De l’assiduité aussi – le maî­
tre mot pour de nombreux pro­
ducteurs, désespérés d’enrôler
des saisonniers locaux qui lâche­
ront le job en cours de route ou ne
reviendront pas l’année suivante.
« Ne me faites surtout pas dire que
les Français sont tous des fai­
néants, s’emporte un exploitant,
qui ne souhaite pas voir son iden­
tité apparaître. Mais s’il tombe
une goutte de pluie un matin, je
suis sûr que quinze cueilleurs en­
gagés localement manqueront à
l’appel. Idem s’il fait trop chaud.
Les réfugiés, eux au moins, sont
toujours présents. »

La xénophobie du secteur
L’autre arboriculteur impliqué
cette année aux côtés de Tada­
moon réclame lui aussi l’anony­
mat, et pour cause : des litres de
fuel avaient été déversés par des
inconnus sur l’une de ses plates­
formes de cueillette, en 2017,
après que l’association a commu­
niqué sur son nom. « Il y a de
grandes chances pour que cela ait
un lien, même si on n’a jamais rien
pu prouver », confie­t­il, non sans
rappeler que la xénophobie est
un mal aussi ancien dans le sec­
teur des emplois saisonniers que
le recours à une main­d’œuvre
étrangère. Son arrière­grand­
père, qui créa les vergers fami­
liaux il y a un siècle, embauchait
déjà des cueilleurs portugais.
Ceux qui arrivent aujourd’hui
dans les champs de pommes
du Sud Sarthe, habillés et chaus­
sés par des associations caritati­
ves, ont ceci de différent qu’ils ont
risqué leur vie pour venir vivre en
France, en traversant la Méditer­
ranée sur de fragiles esquifs.
« Quasiment tous sont également
passés par la Libye, où sévit l’escla­
vage à l’encontre des migrants,
souligne Brigitte Coulon­Mar­
ques. Quand on évoque avec eux
la question des conditions de tra­
vail dans le secteur de la pomme,
ils ne savent pas de quoi on parle. »
La récolte devrait durer entre
cinq semaines et deux mois.
Après? Nombre d’entre eux re­
trouveront l’oisiveté et la rue.
L’un des projets de Tadamoon est
précisément d’ouvrir un café
associatif où réfugiés et deman­
deurs d’asile pourraient se re­
trouver afin de jouer aux cartes,
regarder le foot à la télé, appren­
dre à faire un CV, s’initier au code
de la route... « L’idée est de créer
un point d’ancrage, explique Bri­
gitte Coulon­Marques. Voir des
gars en errance dans la ville n’est
jamais bon, sauf pour le vote d’ex­
trême droite. »

I


l est entré dans l’histoire par la grande
porte, en héros de la lutte contre l’impé­
rialisme et le colonialisme. Il l’a quittée
comme un despote au petit pied, vieillard
acerbe qui ne s’était jamais remis du specta­
cle des foules dansant pour célébrer le coup
d’Etat qui l’avait renversé en novem­
bre 2017. Robert Mugabe, mort vendredi
6 septembre à l’âge de 95 ans, personnifie
l’échec tragique d’un homme confondu
avec le destin de son pays, le Zimbabwe.
L’espoir fou suscité par l’une des dernières
indépendances d’Afrique, en 1980, s’est mué
en un interminable échec.
Comparée à celle de l’idole planétaire
qu’est devenu Nelson Mandela, vainqueur
de l’apartheid dans l’Afrique du Sud voi­
sine, sa trajectoire de révolutionnaire mué

en autocrate illustre le poids du facteur per­
sonnel dans l’histoire des peuples. L’ancien
professeur était un homme complexe. Un
solitaire, un bourreau de travail, une biblio­
thèque ambulante, qui avait su se faire ad­
mirer et se faire craindre, mais rarement se
faire aimer. Il laisse exsangue ce pays d’Afri­
que australe bien doté en richesses naturel­
les sur lequel il a régné pendant trente­sept
ans (1980­2017).
En 1979, une chanson de Bob Marley (Zim­
babwe) avait galvanisé les foules partout sur
la planète et fait de l’indépendance de ce pe­
tit pays riche d’espoirs et de ressources, qui
n’étaient alors, principalement, qu’agrico­
les, un emblème de toutes les libérations à
venir. Militant indépendantiste converti au
marxisme, Mugabe avait passé dix années
en prison et participé à la lutte armée de­
puis le Mozambique voisin. Il n’a pas été
seulement, à la fin des années 1970, le libé­
rateur de l’ancienne Rhodésie britannique,
dont les habitants noirs vivaient sous le
joug du régime raciste et répressif de Ian
Smith. Il a incarné le moment de grand bas­
culement des forces, le triomphe des faibles
face aux pouvoirs colonisateurs, dans ce
qu’on appelait encore le tiers­monde.
Ses débuts sont prometteurs : on cite en
exemple la réussite économique du Zimba­
bawe et les avancées en matière d’éduca­
tion. Puis arrivent les massacres de l’opéra­
tion « Gukurahundi », qui vise la popula­
tion d’une partie du pays, soupçonnée de

soutenir un rival de Mugabe. Amis, enne­
mis, tout le monde détourne le regard.
L’époque est à la guerre froide et à l’enthou­
siasme pour les « hommes forts ».
Non réglée, la question agraire devient, à
la fin des années 1990, une obsession. Sa
décision de confisquer les terres de Blancs,
pour les distribuer à des obligés, débouche
sur une catastrophe agricole. L’hyperinfla­
tion et la pauvreté vont de pair avec un
autoritarisme paranoïaque et une répres­
sion croissante. Le chéri des Occidentaux
devient un paria, le jeune libérateur un
vieillard autocrate accusant l’ancien colo­
nisateur de toutes les turpitudes.
L’ironie, l’un des seuls luxes qui restent
en abondance au Zimbabwe, a voulu que le
coup fatal qui a provoqué sa chute et mar­
qué le début de sa longue agonie ne vienne
pas de l’opposition, mais de son propre
parti. Ceux qui l’ont renversé avaient fait
semblant de lui témoigner mille égards. Ils
connaissaient l’importance, pour le vieil
homme, des symboles, qu’il portait autour
de la taille comme une ceinture d’explosifs.
Moins de deux ans plus tard, il est allé
s’éteindre, lui, si sourcilleux sur les ques­
tions de nationalisme, dans une chambre
d’hôpital de Singapour, où il avait pris l’ha­
bitude de venir en traitement, feignant de
ne pas voir de lien entre ce choix et l’effon­
drement du secteur de la santé au Zimba­
bwe, dont il était le premier responsable.
L’exil a été son dernier échec.

LA CUEILLETTE 


DE LA POMME NE 


REQUIERT PAS UN 


SAVOIR­FAIRE 


PARTICULIER. 


JUSTE DE LA 


DÉLICATESSE 


ZIMBABWE : 


LA TRAGÉDIE 


MUGABE


L’AIR DU TEMPS |CHRONIQUE
pa r f r é d é r i c p o t e t

Les migrants,


des bras pour les vergers


« BOSSER EST 


CAPITAL POUR 


EUX », SOULIGNE 


LA PRÉSIDENTE


DE L’ASSOCIATION


TADAMOON


Tirage du Monde daté samedi 7 septembre : 197 657 exemplaires

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