4 |international DIMANCHE 8 LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019
0123
Russie et Ukraine
engagent un échange
de prisonniers
La liste des libérés inclurait 24 marins
ukrainiens et le cinéaste Oleg Sentsov
moscou correspondance
T
out s’est accéléré ces der
nières heures. Le pro
gramme d’échange de pri
sonniers, négocié en coulisses de
puis des mois entre la Russie et
l’Ukraine, s’est concrétisé ce sa
medi 7 septembre. En début de
matinée, aucune déclaration offi
cielle de Moscou ni de Kiev ne l’a
confirmé. Mais les préparatifs
étaient bel et bien en cours.
L’échange concernerait une tren
taine de prisonniers de part et
d’autre.
En boucle, la télévision d’Etat
russe montre les images de deux
autocars, aux vitres teintées, quit
tant la prison moscovite de Lefor
tovo au milieu des gyrophares
d’un important cortège policier.
Direction : Vnoukovo, l’un des aé
roports de Moscou. « Prépara
tions à l’échange de prisonniers »,
ont titré la chaîne d’informations
continue Rossiïa 24 et les autres
télévisions russes. Fonctionnant
sous étroit contrôle des autorités,
elles n’ont pas pu donner de telles
informations sans l’aval du
Kremlin.
Aucune information n’a été pu
bliée sur la liste des prisonniers
ukrainiens en Russie ainsi libérés.
Parmi eux figureraient notam
ment les 24 marins ukrainiens ar
rêtés par les gardescôtes russes
en novembre 2018 au large de la
Crimée et plusieurs figures consi
dérées par Kiev comme des pri
sonniers politiques, en particu
lier le plus célèbre d’entre eux, le
cinéaste Oleg Sentsov.
Depuis plus d’une semaine, les
rumeurs se multipliaient sur
l’imminence de cet échange que
plusieurs sites d’informations,
vendredi 30 août, avaient précipi
tamment annoncé comme déjà
effectif. Depuis, la situation sem
blait bloquée. Mais le président
Vladimir Poutine, jeudi 5 septem
bre, a luimême signalé l’intensi
fication des préparatifs. En marge
du forum économique de Vladi
vostok, il a déclaré qu’« il s’agira
d’un échange de plutôt grande
ampleur, et que ce sera aussi une
bonne étape vers la normalisation
[des relations russoukrainien
nes] ». Sans entrer dans les détails,
le chef du Kremlin a indiqué qu’il
avait été difficile de choisir quels
seraient les individus concernés
par cet échange mais que, « pour
des questions d’humanité, nous
sommes sur le point d’achever nos
discussions ».
Une majorité d’Ukrainiens
A Kiev, parallèlement, les prépara
tifs se sont pareillement précipi
tés. Le président ukrainien Volo
dymyr Zelensky, qui la semaine
passée avait démenti les premiè
res informations sur l’immi
nence de l’échange, a pris la sou
daine initiative de gracier douze
Russes condamnés en Ukraine.
Une décision annoncée par l’un
de leurs avocats à Kiev, tard, ven
dredi 6 septembre, soit quelques
heures avant les préparatifs dans
la prison de Lefortovo. Au même
moment, les prisonniers ukrai
niens ont euxmêmes, de leur
côté, été regroupés.
Parmi les prisonniers en
Ukraine, figurerait une majorité...
d’Ukrainiens. Parmi eux : le jour
naliste russoukrainien Kyrylo
Vychynsky, directeur de l’agence
de presse russe RIA Novosti à
Kiev, arrêté l’année dernière, in
culpé de « haute trahison » et ac
cusé de soutenir les séparatistes
prorusses. Il avait finalement été
remis en liberté conditionnelle
mercredi 28 août. La liste pourrait
aussi inclure des paramilitaires
ayant participé au conflit dans le
Donbass et des déserteurs de Cri
mée, militaires ukrainiens ayant
rejoint l’armée russe lors de l’an
nexion de la péninsule en 2014.
Suspect dans l’affaire du MH
Le plus grand flou concerne Vladi
mir Tsemakh, arrêté le 27 juin lors
d’une spectaculaire opération des
services secrets ukrainiens dans
le territoire rebelle prorusse de la
« République populaire de Do
netsk ». Cet Ukrainien, comman
dant séparatiste, ancien de l’ar
mée soviétique, a été inculpé de
« terrorisme » par un tribunal de
Kiev, une charge habituellement
utilisée contre les rebelles. Mais
c’est son rôle dans le crash du
Boeing MH17 de la Malaysia Airli
nes le 17 juillet 2014 (298 morts),
qui semble avoir motivé son ar
restation. A la surprise générale,
un tribunal de Kiev l’a remis jeudi
5 septembre en liberté condition
nelle. Le Kremlin aurait exigé
qu’il fasse partie de l’échange de
prisonniers. C’est pourtant « un
suspect clé » dans l’enquête sur le
drame du vol MH17, ont protesté
40 députés européens qui ont ap
pelé Volodymyr Zelensky à ne pas
l’extrader vers la Russie.
Côté russe, figureraient dans la
liste Nikolaï Karpiouk, Vladimir
Balikh, Pavel Grib et d’autres
Ukrainiens condamnés en Rus
sie. Mais au centre de cet
échange, Oleg Sentsov repré
sente, de loin, la personnalité la
plus emblématique. Emprisonné
dans le Grand Nord russe, le
cinéaste ukrainien a d’abord été
discrètement transféré la se
maine dernière à Moscou. Arrêté
en mai 2014 en Crimée après
avoir protesté contre l’annexion
de la péninsule par la Russie, con
damné en août 2015 à vingt ans
de prison pour « terrorisme »
mais aussi « trafic d’armes »
après un procès qualifié de « sta
linien » par Amnesty Internatio
nal, Oleg Sentsov exigeait depuis
du Kremlin sa libération et celle
des autres prisonniers ukrai
niens en Russie.
Le réalisateur, peu connu avant
son arrestation mais très engagé
politiquement, a fait en 2018 une
grève de la faim de 145 jours. Elle
a été suivie dans l’indifférence
générale en Russie même. Mais
sa cause est depuis devenue
célèbre pardelà les frontières.
nicolas ruisseau
Face à la Chine, premières manœuvres
des EtatsUnis avec les pays d’Asie du SudEst
Les dix pays de la région cherchent à trouver un équilibre stratégique entre les deux géants
singapour envoyé spécial
C’
est le souci d’équilibre
stratégique qui a mené
les dix pays de l’Associa
tion des nations de l’Asie du Sud
Est (Asean) à organiser avec les
EtatsUnis leurs toutes premières
manœuvres militaires conjointes.
Moins d’un an après des exercices
de même nature organisés entre
la Chine et ces mêmes pays d’e
l’ASEAN, des analystes voient en
ces manœuvres, commencées au
large de la Thaïlande en début de
semaine pour se finir à Singapour
samedi 7 septembre, une sorte de
réponse du « berger à la bergère ».
L’Asean se servirait des EtatsUnis
pour envoyer un message d’indé
pendance à Pékin, acteur régional
incontournable au plan de l’éco
nomie et du commerce.
Selon le site Asia Times, même si
les organisateurs de ces exercices
maritimes entre onze nations
affirment qu’ils ne sont pas dirigés
contre la Chine, ils prouvent la dé
termination des EtatsUnis « à
faire leur possible pour garantir le
maintien de la liberté de navigation
dans cette région stratégique ». Les
tensions restent fortes en mer de
Chine du Sud où les Chinois ont
renforcé, ces dernières années,
leur présence sur des îlots disputés
avec le Vietnam, les Philippines, la
Malaisie, Taïwan et l’émirat de Bru
nei. Le 1er août, le secrétaire d’Etat
américain Mike Pompeo dénon
çait à Bangkok la « coercition » chi
noise dans la région.
A Singapour, on souligne cepen
dant que cette « première » ne tra
duit pas l’inflexion d’une quelcon
que « doctrine » stratégique d’une
Asean soucieuse de faire pièce à
l’influence chinoise grandissante.
D’abord parce qu’une telle doc
trine n’existe pas dans cette « As
sociation » notoirement divisée
- qui comprend, outre les pays ci
tés cidessus, la Thaïlande, Singa
pour, la Birmanie, le Cambodge, le
Laos et l’Indonésie. Ensuite parce
que, selon Manu Bhaskaran, direc
teur de Centenial, firme de conseil
sur les questions économiques et
stratégiques, « il est avant tout pri
mordial pour l’Asean de projeter
l’image de la neutralité entre Pékin
et Washington. Et d’assurer sa posi
tion de centralité dans la région. Il
faut garder à l’esprit que l’Associa
tion ne peut se permettre d’être per
çue par Pékin comme une institu
tion qui prendrait part à une straté
gie d’endiguement de la Chine... »
Cette analyse rejoint celle de
Prashanth Parameswaran, expert
des questions stratégiques en Asie
du SudEst, sur le site The diplo
mat : « Cet engagement des pays de
l’Asean aux côtés des Américains
permet aux nations de l’Asie du
SudEst de montrer qu’ils sont tout
autant capables de renforcer leur
coopération avec les EtatsUnis que
de maintenir [une relation mili
taire] avec la Chine. »
Un millier de soldats, huit navi
res de guerre et quatre avions
de chasse ont participé à ces
manœuvres. Le trajet les a con
duits depuis le golfe de Thaïlande à
la pointe de Ca Mau, qu’ils ont con
tournée, au sud du Vietnam, pour
s’achever dans les eaux de Singa
pour. « L’exercice est plus symboli
que qu’autre chose », soulignait
malgré tout en début de semaine
le quotidien hongkongais The
South China Morning Post ; tout en
ajoutant que ces manœuvres
pourraient tout de même « donner
un peu plus de substance à la stra
tégie indopacifique récemment
dévoilée par le Pentagone ».
Exigence chinoise
« Même s’il ne s’agit pas pour
l’Asean de choisir entre Pékin et
Washington, relève de son côté un
expert étranger, le souci de neutra
lité affichée par Singapour qui, de
part sa composante ethnique ma
joritaire [chinoise han], entretient
avec la Chine une relation ambiva
lente, s’accompagne cependant
d’un rappel constant à Pékin par les
Singapouriens du principe du droit
de la mer et de navigation. »
Si les stratégies de l’Asean en tant
qu’institution peuvent contredire,
au niveau individuel, les choix
des pays membres – des nations
comme le Cambodge ou le Laos
sont, par exemple, devenues de
très obéissants clients de Pékin –,
l’organisation de ces manœuvres
conjointes avec les EtatsUnis peut
tout de même être analysée
comme une manière d’affirmer
l’expression d’une volonté de sou
veraineté régionale. Car certains
pays membres de l’Asean se sont
récemment offusqués d’une exi
gence chinoise pour le moins con
traignante exprimée durant des
négociations à propos de l’élabora
tion d’un « code de conduite » en
mer de Chine du Sud : Pékin aurait
souhaité s’arroger une sorte de
droit de veto remettant en ques
tion la prérogative des pays de
l’Asean d’organiser des
manœuvres militaires avec des
pays situés hors de la région.
L’importance de ces exercices
militaires aux yeux des Améri
cains s’illustre par un détail qui
n’en est peutêtre pas tout à fait
un : le fait qu’ils aient accepté que
la marine birmane se joigne aux
manœuvres alors que la hiérar
chie militaire du « Myanmar »,
nom officiel du pays, fait l’objet de
sanctions par Washington en rai
son de son rôle dans les atrocités
commises contre la minorité mu
sulmane des Rohingya.
bruno philip
Mexico réduit de moitié les flux
de clandestins vers les EtatsUnis
Le président « AMLO » a adopté une politique migratoire plus répressive
mexico correspondance
C’
est un succès! » s’est
réjoui, vendredi
6 septembre, le pré
sident mexicain,
Andres Manuel Lopez Obrador
(« AMLO »), face à la réduction de
56 % des flux de clandestins vers
les EtatsUnis. Ce jourlà s’ache
vait la seconde échéance de qua
rantecinq jours fixée par l’accord
signé, début juin avec Washing
ton, qui a permis au Mexique
d’échapper à des taxes douaniè
res que le président américain,
Donald Trump, menaçait d’impo
ser. Mais « AMLO » a dû infléchir
sa politique migratoire huma
niste au profit d’une stratégie
plus répressive, déclenchant une
levée de boucliers des organisa
tions de défense des migrants.
Pour relever le défi, le gouverne
ment mexicain a déployé plus de
25 000 membres de sa nouvelle
garde nationale, composée en
majorité de militaires, dans le nord
et dans le sud du pays. Les contrô
les migratoires se sont multipliés
sur les principaux axes routiers.
Sans parler des inspections dans
les bus et les hôtels qui accueillent
les clandestins, dont l’afflux bat
tait des records (596 628 migrants)
depuis six mois.
Bilan : les arrestations de sans
papiers à la frontière sud des
EtatsUnis sont passées de 144 226
en mai à seulement 63 989 en
août, selon les autorités américai
nes. « Le tout en seulement trois
mois », s’est félicité le président
mexicain vendredi. Fin mai,
M. Trump avait brandi la menace
de taxes punitives sur tous les
produits en provenance du Mexi
que si son voisin du sud ne frei
nait pas l’afflux de migrants, la
plupart venus du Guatemala, du
Salvador et du Honduras, mais
aussi d’Afrique ou d’Asie. Un enjeu
de taille pour le Mexique, dont
80 % des exportations sont desti
nées au marché américain.
« L’imposition de taxes douaniè
res est désormais écartée », a ras
suré, vendredi, le ministre mexi
cain des affaires étrangères, Mar
celo Ebrard. C’est lui qui se réu
nira, mardi 10 septembre à
Washington, avec le viceprési
dent américain, Mike Pence, pour
dresser le bilan bilatéral de l’ac
cord signé, le 7 juin, entre les deux
gouvernements. Après d’âpres
négociations, Mexico avait tro
qué sa stratégie de main tendue
aux clandestins contre une politi
que sévère de contention. Selon
les autorités guatémaltèques, les
expulsions de Centraméricains
par l’Institut mexicain de la mi
gration explosent : 102 314 du
1 er janvier au 31 août contre 62 746
sur la même période en 2018.
De quoi provoquer l’ire du ré
seau Redodem, qui regroupe
23 organisations de défense des
migrants. « Le discours humani
taire du gouvernement s’est trans
formé en une stratégie de déten
tions massives et d’expulsions
abusives », a dénoncé, mercredi
4 septembre, Maria Magdalena
Silva, directrice du refuge Cafe
min à Mexico, lors d’une confé
rence de presse de Redodem dans
la capitale. La crise se fait sentir
aux frontières du pays. Dans le
Sud, des migrants africains mani
festent depuis plusieurs jours de
vant le centre de rétention migra
toire de Tapachula, principale
ville frontalière avec le Guate
mala. Ils dénoncent des condi
tions d’hébergement insalubres.
Même désespoir à la frontière
nord du pays, où 23 607 deman
deurs d’asile aux EtatsUnis at
tendent sur le sol mexicain. Une
mesure prévue par l’accord du
7 juin, le temps que la justice amé
ricaine traite leur dossier. Pour
tant, M. Ebrard a rappelé, ven
dredi, que « le Mexique refuse de
devenir un pays tiers sûr ». Un sta
tut qui obligerait les candidats à
l’asile aux EtatsUnis à réaliser
leurs démarches sur le territoire
mexicain et non plus américain.
« Hypocrisie »
« C’est une hypocrisie, réagit Pia Ta
racena, spécialiste des migrations
à l’université Iberoamericana.
Dans les faits, le Mexique a déjà
adopté la condition de pays tiers
sûr, en acceptant de recevoir les de
mandeurs d’asile aux EtatsUnis. »
M. Ebrard a d’ailleurs souligné que
60 millions de pesos (2,7 millions
d’euros) sont alloués à la construc
tion de centres d’hébergement et
de rétention. Les sanspapiers
sont aussi de plus en plus nom
breux à solliciter l’asile directe
ment au Mexique (14 562 deman
des en 2018, contre 48 254 en 2019).
Pour Mme Taracena, « le pays
pourrait devenir un pays d’accueil,
comme le Guatemala ». Fin juillet,
le président guatémaltèque,
Jimmy Morales, a signé un accord
avec Washington sur le droit
d’asile. Il attribue le statut de
« pays tiers sûr » au Guatemala.
Une initiative polémique qui
laisse la responsabilité de sa mise
en place à son successeur, Ale
jandro Giammattei, élu le 11 août
et qui sera investi début 2020. « Le
Guatemala est un pays très pauvre
et violent, incapable de retenir ses
propres migrants », déplore
Mme Taracena. Selon elle, les para
doxes ne manquent pas non plus
du côté mexicain : « AMLO est en
plein dilemme, entre sa soumission
à Trump pour éviter des sanctions
économiques et sa volonté d’affi
cher une politique humaniste. »
Vendredi, le président de centre
gauche a reconnu une « applica
tion plus stricte de la loi tout en res
pectant les droits de l’homme ».
AMLO revendique « une voie
mexicaine », mêlant contention et
prévention à partir d’un plan de
développement régional. « Il faut
créer des emplois et du bienêtre
pour dissuader les gens de quitter
leur pays d’origine », militetil. Le
Mexique a consacré 60 millions
de dollars à des projets productifs
au Salvador et au Honduras. Mais
la réussite de ce plan de dévelop
pement nécessite une aide améri
caine plus importante. « Washing
ton s’était engagé, en juin, à des in
vestissements de 2 milliards de dol
lars pour le Mexique et 5,8 milliards
de dollars pour l’Amérique cen
trale », a souligné M. Ebrard. Pour
l’heure, seuls 926 millions de dol
lars seraient débloqués pour le
sud du Mexique.
Pia Taracena reste dubitative :
« Ces projets de développement
mettront plusieurs générations à
porter leurs fruits. D’autant que
rien n’assure que ces fonds améri
cains seront libérés. Washington
peine déjà à financer son projet de
mur à la frontière avec le Mexi
que. » Pas de quoi décourager
M. Ebrard qui a répété, vendredi,
que « la promotion du développe
ment est la meilleure politique
pour freiner les flux migratoires ».
Parviendratil, mardi à Washing
ton, à convaincre ses interlocu
teurs américains ?
frédéric saliba
Pour relever
le défi,
le gouvernement
mexicain a
déployé plus de
25 000 membres
de sa nouvelle
garde nationale
Kiev a pris
la soudaine
initiative,
vendredi,
de gracier
douze Russes
condamnés
en Ukraine
R E L A T I O N S F R A N C O R U S S E S