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DIMANCHE 8 LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019 france| 9
cayenne correspondant
C
haque jour ou presque,
Yves vient avec ses en
fants au service de la vie
scolaire de Cayenne. Ar
rivé début juillet en Guyane à
la suite d’une mutation, cet ensei
gnant n’a toujours pas trouvé
de place pour ses trois enfants, en
maternelle, CE1 et CM2. « C’est
triste de les voir tourner en rond à
la maison. Il ne faut pas que ça
dure longtemps », lâchetil.
Au service de la vie scolaire, on
dénombre 419 enfants sur liste
d’attente en maternelle, dont 292
en petite section, plus une cin
quantaine en élémentaire. « Ils se
ront affectés par ordre d’arrivée
des dossiers, lorsque les directeurs
vont nous envoyer les radiations,
explique Yann, un agent. Et ceux
qui n’auront pas de place cette
année seront affectés en priorité à
la rentrée prochaine, au niveau
supérieur. » En 2018, à la rentrée,
plus de 300 enfants étaient
sur liste d’attente en maternelle
à Cayenne, et encore 215 en fin
d’année scolaire.
La population guyanaise a aug
menté de 2,5 % par an entre 2011 et
2015, en raison d’une natalité
élevée (3,6 enfants par femme),
amplifiée par la reprise d’une im
migration soutenue, avec près
de 16 000 demandeurs d’asile en
registrés de 2015 à 2018, en majo
rité venus d’Haïti. La population
« légale », base de calcul des dota
tions versées par l’Etat aux collec
tivités, est de 269 352 habitants au
1 er janvier 2016, selon l’Insee.
L’institut donne aussi une esti
mation de près de 297 000 habi
tants au 1er janvier 2019, pas assez
étayée au niveau statistique pour
servir de base légale.
« Maternelles de proximité »
« Toutes nos écoles maternelles
sont saturées », déplore Jean La
quitaine, 6e adjoint au maire de
Cayenne, chargé de la scolarité.
La construction d’une nouvelle
école doit commencer en octobre,
une autre est en projet, mais elles
ne seront pas livrées avant deux
ans. En faisant passer l’obligation
d’instruction de 6 à 3 ans, la loi
« pour une école de la confiance »
a accentué la pression sur les mai
ries. « Avant, nous faisions parfois
rentrer les enfants à 4 ans. Les
parents pouvaient comprendre,
explique Jean Laquitaine. Aujour
d’hui, nous nous attendons à ce
qu’ils nous disent : c’est la loi! »
Le recteur ne cache pas les diffi
cultés. « La prise en charge prévi
sionnelle des 3 ans devrait être à
peu près de 70 % en moyenne, indi
que Alain Ayong Le Kama. Avec
une scolarisation plus faible dans
les villages isolés du fleuve Maroni,
où les parents hésitent à mettre les
toutpetits sur des pirogues à
5 heures du matin pour aller à
l’école. » En 2014, l’Insee estimait à
80 % la scolarisation des enfants
de 3 ans en Guyane.
Cette année, à part Cayenne, la
plupart des communes ont peu
ou pas d’élèves sur leurs listes
d’attente en maternelle. Les syn
dicats d’enseignants sont dubita
tifs. « Une fois leur capacité d’ac
cueil atteinte, certaines mairies
n’inscrivent pas les demandes dans
leur logiciel. Ils ont une deuxième
liste à côté, mais ce n’est pas offi
ciel », affirme Emmanuel Octavie,
secrétaire départemental adjoint
du SEUNSA, délégué aux fleuves.
« Nous demandons les véritables
chiffres, à travers la création d’un
observatoire de la scolarisation,
acté en 2018 », fustigetil. « La
nonscolarisation à tous les âges
en Guyane, c’est 6 000 à 10 000 en
fants, mais on n’aura pas de don
nées fiables tant que les élus ne
travailleront pas de concert avec le
rectorat », prévient Alexandre
Dechavanne, cosecrétaire dépar
temental du SnuippFSU.
Dans l’accord de Guyane signé à
l’issue de la mobilisation sociale
de 2017, l’Etat a prévu 15 millions
d’euros par an pendant dix ans
pour financer des écoles. « Les me
sures ont été respectées », assure le
préfet Marc Del Grande. Depuis
2017, 42 millions d’euros ont été
engagés sur ce point au titre de
l’accord, sans compter les crédits
pour le second degré. « Les délais
de construction sont plus élevés
que dans l’Hexagone », ajoute le
préfet, mais l’Etat va « aider les col
lectivités locales en créant une pla
teforme d’appui opérationnelle le
1 er janvier 2020 », soit... plus de
deux ans après l’engagement du
président de la République.
En proie à une natalité record,
SaintLaurentduMaroni a seule
ment 30 enfants sur liste d’attente
en maternelle cette année, contre
120 l’an dernier. La municipalité a
ouvert une nouvelle école en fé
vrier, puis 18 classes à la rentrée,
dont huit dans des conteneurs
maritimes reconditionnés. Un
nouvel établissement doit ouvrir
ses portes début 2020, et deux
autres sont en chantier.
Dans le HautMaroni, Maripa
soula a aussi ouvert une nouvelle
école, ce qui permet de scolariser
tous les enfants de maternelle,
dans une commune passée en
vingt ans de 3 600 à 13 000 habi
tants. Mais il manque quatre en
seignants dans ce nouvel établis
sement, et six dans un autre.
Dans les villages isolés du Ma
roni, le recteur prône « la construc
tion par les communes de mater
nelles de proximité », dont deux
ont été inaugurées à Apatou, dans
le BasMaroni, dans de grands car
bets, des abris traditionnels. « At
tention à la scolarisation au ra
bais », prévient Emmanuel Octa
vie, du SEUNSA, qui rappelle que
ce dispositif a déjà été expéri
menté, puis abandonné, faute de
soutien suffisant apporté selon
lui aux enseignants. « Dans le vil
lage de Providence, à trois heures
de pirogue du bourg d’Apatou, une
école a été créée avec six classes,
expliquetil. L’année dernière, elle
a été fermée pendant vingt et une
semaines », notamment « parce
qu’il n’y avait plus d’eau ».
laurent marot
Ecoles à Marseille : « L’impression qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion »
Plus de 110 établissements ont besoin de travaux selon le recteur de l’académie. Le retard pris depuis plusieurs années peine à être résorbé
marseille correspondant
D
es parents d’élèves pré
venus par La Poste, une
semaine avant la rentrée,
que l’école de leurs enfants sera
délocalisée toute l’année deux ki
lomètres plus loin. Des travaux de
désamiantage prévus depuis plu
sieurs mois qui débutent trois
jours après le retour des enfants
dans leurs classes. Des personnels
de cantine en effectifs déjà ten
dus... En écartant le violent fait di
vers, étranger à la vie scolaire, qui
a affecté vendredi 6 septembre
des personnels municipaux de
l’école de La Pauline (9e) – une per
sonne a reçu un coup de couteau,
une autre des coups de poing –, la
vingtquatrième et dernière ren
trée des classes du maire (LR) de
Marseille, JeanClaude Gaudin, a
encore témoigné d’une certaine
désorganisation dans la gestion
des écoles publiques de la
deuxième ville de France.
Le recteur de l’académie d’Aix
Marseille a donné le ton le 29 août
en annonçant qu’un quart des
écoles de Marseille avait besoin
de travaux, soit plus de 110 éta
blissements. Un chiffre s’ap
puyant sur une étude menée
auprès des directeurs d’école, à
la demande du ministère de
l’éducation nationale. « Cela va de
travaux ordinaires comme de la
peinture à des choses qui sont
beaucoup plus préoccupantes.
Vingtcinq écoles sont dans une si
tuation où il faut reprendre des
choses importantes », a poursuivi
Bernard Beignier, tout en notant
que « le maire [de Marseille] a pris
conscience de la situation ».
« Ce n’est pas un chiffre qui nous
étonne, souffle la présidente du
Mouvement des parents d’élèves
des BouchesduRhône (MPE13),
Séverine Gil. Le retard pris depuis
des années est loin d’être résorbé. »
En 2016, l’état désastreux d’une
partie des écoles marseillaises, ré
vélé par Libération, avait provo
qué une prise de conscience
nationale et une réaction – con
trariée – du maire. Au cours de sa
traditionnelle visite de rentrée
scolaire, lundi 2 septembre,
M. Gaudin a tenu à rappeler que
« plus de 700 millions d’euros » ont
été investis en travaux dans les
écoles sous ses mandatures, dont
« 40 millions » en 2019.
La municipalité a donné une dé
sastreuse impression de légè
reté lorsque son adjointe à l’édu
cation, Danièle Casanova, 73 ans,
en poste depuis 2008, a expliqué
face aux médias s’être aperçue
qu’elle gérait « 470 écoles et non
446 », comme elle le répétait de
puis des années. Une confusion
née du fait qu’un groupe scolaire
(446 en tout) peut compter une
école primaire et une maternelle,
donc deux bâtiments.
Chantier de désamiantage
« On a toujours l’impression qu’il
n’y a pas de pilote dans l’avion et
que l’on garde les mauvaises habi
tudes », poursuit, désabusée, Séve
rine Gil. Jeudi, la responsable des
parents d’élèves s’est rendue à
l’école de La Batarelle (14e), un éta
blissement déjà saturé dans un
quartier en plein boom démogra
phique. Sur place, elle dit avoir
constaté qu’un chantier de désa
miantage venait de débuter dans
un local contigu. « Cet agrandisse
ment est prévu depuis trois ans.
Ne pouvaiton pas faire ces tra
vaux pendant l’été? », grincetelle,
avant de s’inquiéter de l’impact
d’un tel chantier pour les élèves.
Les 86 familles qui fréquentent
l’école CoursJulien (6e), elles, ne
vivront pas les travaux. L’établis
sement a été fermé pour un an. Le
courrier de la mairie de Marseille,
reçu le 22 août, évoque des « diffi
cultés techniques imprévisibles ».
« Comment peuton s’apercevoir
une semaine avant la rentrée que
l’école ne peut pas ouvrir? », s’in
terroge Frédéric Nevchehirlian,
papa d’un élève de CM1. L’incom
préhension est d’autant plus
grande qu’en novembre 2018 l’état
de cet établissement avait déjà
provoqué une forte mobilisation,
quelques jours après l’effondre
A Cayenne,
on dénombre
419 enfants sur
liste d’attente
en maternelle,
dont 292 en
petite section
combien d’élèves, en France, n’ont pas
repris cette semaine le chemin de l’école?
La Commission nationale consultative des
droits de l’homme (CNCDH) s’est de nou
veau inquiétée, vendredi 6 septembre, du
sort des enfants non scolarisés. Parmi eux,
des mineurs isolés, dont l’inscription dans
un établissement scolaire est ralentie par
les procédures visant à prouver leur âge.
Mais aussi des enfants étrangers, issus de
minorités ou en grande précarité, logés
dans les hôtels sociaux, les squats et les
bidonvilles – dont les enfants roms.
La CNCDH alerte également sur la situa
tion de certains enfants en Guyane ou à
Mayotte, qu’ils soient primoarrivants
dans le département ou vivant dans des zo
nes reculées. Dernier point noir de la
nonscolarisation : les enfants en situation
de handicap, encore nombreux à ne fré
quenter aucun établissement, surtout
après l’entrée au collège.
Face à ce constat, la CNCDH préconise la
mise en place d’un « observatoire de la non
scolarisation » pour « qualifier, quantifier et
identifier », mais aussi « donner une vraie vi
sibilité » à ce problème. Le nombre d’enfants
concernés est difficile à établir – et rend la
nonscolarisation des enfants compliquée
à combattre, estime l’institution, qui de
mande également la simplification admi
nistrative des inscriptions dans les écoles.
« Des enfants invisibles »
Les enfants vivant en bidonvilles, squats et
hôtels sociaux sont près de 80 % à ne pas
être scolarisés. Dans de nombreux cas, se
lon la CNCDH, à cause du refus des maires
de les inscrire... Refus qui se traduit souvent
par une procédure opaque où l’on de
mande aux familles de multiples docu
ments, y compris, parfois, des justificatifs
de revenus. La loi « pour une école de la con
fiance » promulguée fin juillet prévoit une
liste fixée par décret qui limitera le nombre
de pièces demandées.
Le collectif Ecole pour tous, invité par la
CNCDH à s’exprimer, estime à 100 000 le
nombre d’enfants non scolarisés en métro
pole. « Nous sommes des enfants invisibles »,
résume ainsi Anina Ciuciu, avocate d’ori
gine rom roumaine et marraine du collec
tif. Créé en 2018 par des jeunes issus de mi
norités et des étrangers, celuici vient tout
juste de présenter ses revendications au mi
nistre de l’éducation nationale. La simplifi
cation administrative en fait partie, mais
aussi l’introduction d’une « trêve scolaire »,
de nombreuses ruptures de scolarisation
ayant lieu après des expulsions en cours
d’année. Le collectif demande également la
mise en place d’une « présomption de mi
norité » pour les mineurs isolés. « Le rôle de
l’Etat est de faire en sorte que le droit fonda
mental à l’instruction soit respecté, et qu’il
prime sur tout le reste », a martelé l’avocate.
Le ministère de l’éducation nationale, de
son côté, se dit « étonné » du chiffre. « Les
mineurs isolés sont pris en compte, mais il
faut savoir que 60 % (...) ont plus de 16 ans,
donc aucune obligation de scolarisation ne
les concerne », a déclaré à l’AFP Edouard Gef
fray, le nouveau directeur général de l’ensei
gnement scolaire. Sont également compta
bilisés « 9 000 à 10 000 jeunes Roms dont la
majorité font l’objet d’une scolarisation par
tielle ». En additionnant ces données, le mi
nistère assure donc « ne pas arriver à ce total
de 100 000, mais plutôt à 20 000 personnes
concernées par ces difficultés ».
violaine morin
Roms, mineurs isolés... La CNCDH alerte sur la déscolarisation
ment des immeubles de la rue
d’Aubagne, sur laquelle donne une
de ses façades. Enseignants et pa
rents craignaient alors un affais
sement de la cour de récréation.
Les écoles marseillaises ne quit
teront pas l’actualité de sitôt.
Le 16 septembre, la cour adminis
trative d’appel se penchera sur
le Plan école d’avenir. Cette déli
bération municipale, annulée en
première instance, veut confier à
des promoteurs privés la réalisa
tion et l’entretien de 34 groupes
scolaires sur vingtcinq ans. Un
partenariat publicprivé à un mil
liard d’euros, que ses opposants
dénoncent comme un gouffre fi
nancier et dont plus de 12 000 si
gnataires ont demandé le retrait
dans une pétition transmise à
JeanClaude Gaudin.
gilles rof
En Guyane,
les écoles
sous pression
Environ un tiers des enfants
de 3 ans ne seront par scolarisés
comme le prévoit désormais la loi