Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
0123
SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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La vogue de l’apprentissage ne se dément pas


A la fin juin, la France dénombrait 458 000 apprentis, un niveau record qui n’empêche pas quelques couacs


P


erceptible à la fin du
quinquennat de Fran­
çois Hollande, le regain
d’intérêt pour l’appren­
tissage se confirme et semble
même s’amplifier. A la fin juin, ils
étaient 458 000 à s’initier à un
métier dans le cadre de ce disposi­
tif qui alterne immersion en en­
treprise et cours dispensés dans
un centre de formation. C’est un
« record », s’est réjouie, jeudi
5 septembre, la ministre du tra­
vail, Muriel Pénicaud, lors d’un
déplacement en Maine­et­Loire,
au cours duquel elle a, entre
autres, assisté à l’inauguration
d’un atelier Louis Vuitton qui ac­
cueillera, à terme, des apprentis
maroquiniers.
La date retenue pour cette visite,
qui était aussi l’occasion de sou­
haiter une « bonne rentrée à tous
les apprentis de France », ne doit
rien au hasard : elle intervient un
an jour pour jour après la promul­
gation de la loi avenir profession­
nel, qui a transformé en profon­
deur l’apprentissage.

« Une voie d’excellence »
Ce mode de formation a accueilli
près de 59 000 nouveaux jeunes
entre début janvier et fin juin, soit
un accroissement de 8,4 % par
rapport à la même période
en 2018, selon Mme Pénicaud.
L’augmentation est plus forte que
celle mesurée sur l’ensemble de
l’année dernière (+ 7,7 %) et sur
2017 (+ 2,1 %, d’après les services
du ministère du travail). « La nette
progression enregistrée au pre­
mier semestre 2019 doit toutefois
être analysée avec prudence car les
entrées en apprentissage s’effec­
tuent pour l’essentiel dans les qua­
tre derniers mois de l’année civile »,
nuance Bertrand Martinot, ex­
responsable de la délégation gé­
nérale à l’emploi et à la formation
professionnelle et auteur de plu­
sieurs notes sur ces thématiques
pour l’Institut Montaigne.
Il n’en demeure pas moins que la
tendance est à la hausse. « Ces
bons chiffres sont le fruit des nou­
velles libertés de choisir, de déve­
lopper, de créer qu’offre la loi [ave­
nir professionnel] », écrit Mme Pé­
nicaud, dans le dossier de presse
diffusé à l’occasion de sa venue en
Maine­et­Loire. La ministre fait
notamment allusion au change­
ment de règles encadrant la créa­
tion des centres de formation des
apprentis (CFA) : plus besoin, dé­
sormais, d’obtenir l’imprimatur
des conseils régionaux – un ac­
teur de premier plan dans le sys­
tème de la formation. Le texte

branches et aux entreprises de
créer leur propre CFA. « C’est une
révolution qui a contribué à chan­
ger l’état d’esprit parmi les em­
ployeurs », dit­il.
Pour le moment, tempère
M. Martinot, « on ne peut pas im­
puter à la réforme l’augmentation
des entrées en apprentissage ».
« Les effets du texte ne seront tan­
gibles qu’à partir de 2020, pour­
suit­il. Mais le gouvernement a dé­
veloppé une communication plu­
tôt habile et assez massive, qui a
sans doute été porteuse. »
Les élus locaux, de leur côté,
sont un peu agacés de voir que
Mme Pénicaud met à son crédit
l’envolée du nombre d’apprentis.

C’est une « opération de com typi­
que du macronisme », confie
Christelle Morançais, la prési­
dente (LR) de la région Pays­de­la­
Loire, qui a accompagné la minis­
tre du travail lors de son déplace­
ment, jeudi. D’après Mme Moran­
çais, il est « trop tôt » pour tirer un
bilan de la nouvelle loi : « Le trans­
fert de compétences entre collecti­
vités locales et Etat n’interviendra
qu’au 1er janvier 2020 », rappelle­t­
elle. La croissance du nombre de
contrats d’apprentissage devrait
donc être attribuée au travail des
collectivités territoriales.
« On se réjouit que les statisti­
ques soient bonnes, affirme David
Margueritte, l’élu (LR) chargé du

dossier à Régions de France, l’as­
sociation qui regroupe les con­
seils régionaux. Mais il serait in­
tellectuellement malhonnête de
les imputer à la loi avenir profes­
sionnel, dont la mise en applica­
tion nous inquiète par ailleurs. »

« Concurrence déloyale »
La rentrée des apprentis ne s’est,
en effet, pas faite sans couacs. In­
vité à se rendre à Angers aux côtés
de la ministre du travail, Bernard
Stalter, le président du réseau des
chambres de métiers et de l’artisa­
nat (CMA), a boycotté le déplace­
ment. Une absence justifiée, dit­il,
par la « concurrence déloyale » que
font peser les CFA d’entreprises.

Louis Vuitton augmente ses capacités de production en France


Le maroquinier du groupe LVMH vient d’inaugurer en Maine­et­Loire une nouvelle usine. La troisième ouverte en France depuis 2017


beaulieu­sur­layon
(maine­et­loire)

L


a blouse est beige. Les
chaussures de sécurité
sont assorties. Sous l’uni­
forme des artisans de l’usine
Louis Vuitton de Beaulieu­sur­
Layon, en Maine­et­Loire, inau­
gurée jeudi 5 septembre, en
présence de Muriel Pénicaud,
ministre du travail, se cachent
des profils d’employés fort diffé­
rents. L’une a été agricultrice. Elle
s’est reconvertie au métier de
piqueur, lors du passage à la re­
traite de son mari, éleveur bovin.
L’autre n’a que 22 ans. Depuis un
an, elle apprend à coudre du cuir
de veau pour fabriquer des sacs
Mylockme, l’un des best­sellers
de la marque du groupe LVMH.
Toutes deux font partie des
135 salariés employés depuis jan­
vier dans cette usine de maroqui­

nerie ouverte dans un bâtiment
de 6 000 m^2.
Fin 2019, l’effectif sera porté à
200 personnes. Les recrutements
sont en cours. « D’ici deux ans,
300 personnes travailleront dans
cet atelier », assure Mickael Burke,
PDG de Louis Vuitton. La marque
projette déjà d’ouvrir un
deuxième site de production
d’une taille similaire, toujours sur
ce terrain plat situé près de l’A87 au
sud d’Angers. Ce n’est pas le seul de
ses projets industriels. LVMH qui a
investi un milliard d’euros dans
ses capacités de production en
France en 2018 est en train de
construire un troisième atelier
Louis Vuitton sur son site de Saint­
Pourçain­sur­Sioule (Allier) ex­
ploité depuis les années 1990.
Le groupe de Bernard Arnault
s’apprête aussi à s’installer à Ven­
dôme, en centre­ville, dans le Ré­
gence, bâtiment du XVIIIe siècle

qu’il est restaure à grands frais
pour une inauguration début


  1. La marque porterait ainsi
    son réseau de sites de production à
    17 en France. « D’ici à 2022, nous
    embaucherons 1 500 artisans », es­
    time M. Burke. Partout, le fabri­
    cant bénéficie de l’appui des col­
    lectivités locales. A Beaulieu­sur­
    Layon, Solutions Eco, structure de
    développement économique de la
    région des Pays de la Loire, l’a ac­
    compagné pour s’installer sur ce
    parc d’activités. Il ne lui aura fallu
    que deux ans de travaux.


Accélérer la cadence
Cette offensive doit permettre à la
marque du groupe LVMH d’accélé­
rer la cadence de production, de
mieux répondre à la demande de
sa clientèle et d’expédier au plus
vite ses modèles à l’étranger. Les
sacs sont le premier pilier de Louis
Vuitton, première marque de luxe

au monde devant Chanel et Gucci.
Malgré l’envolée des ventes de
prêt­à­porter Louis Vuitton, la
maroquinerie génère toujours la
majorité de ses ventes estimées, à
plus de 10 milliards d’euros
en 2018. Les Chinois raffolent de
ses modèles en toile enduite ou en
veau. Un tiers de ses ventes pro­
vient de cette clientèle, lors de ses
achats en Chine ou à l’étranger. Et,
malgré les craintes d’une réces­
sion de la consommation chi­
noise, la demande demeure « ex­
ceptionnellement élevée » dans le
pays, souligne le PDG de la griffe.
Louis Vuitton n’est pas la seule
marque de luxe française à aug­
menter ses capacités de produc­
tion dans l’Hexagone pour ali­
menter son export. Hermès fait de
même. Le sellier parisien qui fabri­
que sa maroquinerie dans 17 ate­
liers en France est en train de re­
cruter son personnel et de le for­

mer pour deux nouveaux sites
prévus en 2020 à Saint­Vincent­
de­Paul (Gironde) et Montereau
(Seine­et­Marne). En 2021, ce sera
au tour de la maroquinerie de Lou­
viers (Eure) d’ouvrir ses portes, à
proximité de celle de Val­de­Reuil
inaugurée en 2017. Chacun de ses
sites emploiera entre 250 et
280 personnes, précise la marque.
Mais créer ces ateliers sur le terri­
toire français n’est pas simple. La
production de maroquinerie est
éclatée en France, entre l’Ile­de­
France, le Maine­et­Loire, l’Isère.
Le pays ne dispose pas d’un pôle de
compétence dans la maroquine­
rie. « Il n’y a pas l’équivalent de la
Toscane en France », déplore
M. Burke, faisant allusion à l’éco­
système de cette région italienne
située autour de Florence qui em­
ploie 15 000 personnes dans des
tanneries, des ateliers et chez des
sous­traitants du cuir. En phase de

recrutement, les fabricants pei­
nent à trouver localement le per­
sonnel qualifié. « Ce n’est pas sim­
ple, d’autant qu’il faut compter cinq
ans pour former un bon maroqui­
nier », témoigne Edgar Schaffhau­
ser, délégué général de la Fédéra­
tion de la maroquinerie.
Du coup, dans le secteur de la
maroquinerie, les bons candidats
sont très demandés. C’est notam­
ment le cas en Maine­et­Loire, où
le taux de chômage est inférieur à
la moyenne nationale, selon un
élu local. Dès lors, sans toutefois
dévoiler les salaires d’entrée au
poste de maroquinier, Louis Vuit­
ton vante ainsi les mérites de tra­
vailler au sein du groupe LVMH à
ses futurs candidats, en rappelant
que ses salariés peuvent toucher
l’équivalent de « plusieurs mois de
salaires » au titre de l’intéresse­
ment aux résultats.
juliette garnier

Ceux­ci ont pu bénéficier, dès
septembre, du mécanisme prévu
par la réforme. Il repose sur le
« coût contrat », un système qui
fixe, pour chaque formation, un
niveau de prise en charge cou­
vrant l’ensemble des frais. Esti­
mées par les branches profession­
nelles, ces « valeurs » ont été vali­
dées, fin mars, par France compé­
tences, l’instance nationale qui
supervise le système. Elles doi­
vent s’appliquer à tous les nou­
veaux contrats à partir du 1er jan­
vier 2020.
Le problème, souligne M. Stal­
ter, c’est que les conventions si­
gnées en septembre dans les CFA
traditionnels, elles, dépendent
toujours de l’ancien système, jus­
que­là piloté par les régions, et se
révèlent beaucoup moins avanta­
geuses que dans le nouveau dis­
positif. Le réseau des CMA estime
le manque à gagner global pour
les centres à environ 200 millions
d’euros.
Pour Laurence Leblanc, à la tête
du Centre interprofessionnel de
formation de l’artisanat du Calva­
dos (Cifac), cela représente entre
15 % et 20 % de budget en moins.
De quoi sérieusement compli­
quer l’accueil des 1 460 apprentis
qui, dans son centre, se forment à
des métiers aussi variés que la
charcuterie, la coiffure, la mécani­
que automobile, les prothèses
dentaires ou la gestion. « On navi­
gue vraiment à vue », regrette­t­
elle. Pour un jeune qui entrerait
en CAP boucherie en septembre
au Cifac, la prise en charge ne se­
rait que de 3 846 euros, contre un
peu plus de 7 000 euros dans le ca­
dre du nouveau système.
« Le gouvernement n’a pas me­
suré que cette disparité risquait de
mettre en péril la survie d’un CFA
historique comme le nôtre, dé­
plore Mme Leblanc. On peut espé­
rer que la région compense un peu
malgré tout. Mais il n’y aura pas
assez pour tout le monde. Et il est
hors de question de demander une
compensation aux familles. »
élise barthet
et bertrand bissuel

Ce mode
de formation
a accueilli près
de 59 000
nouveaux jeunes
entre début
janvier et fin juin

chamboule également les modali­
tés et les circuits de financement.
« Avec la loi avenir professionnel,
le gouvernement a créé une dyna­
mique positive, estime Philippe
Darmayan, président de l’Union
des industries et des métiers de la
métallurgie. Il y a désormais une
cohérence entre le ministère du
travail et le ministère de l’éduca­
tion nationale. L’idée qu’il s’agit
d’une voie d’excellence, débou­
chant sur un emploi dans 80 % des
cas et permettant de combattre
l’échec scolaire, s’impose enfin. »
M. Darmayan estime que l’un des
grands mérites de la réforme
adoptée l’an passé réside dans la
possibilité désormais offerte aux
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