12 |économie & entreprise SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019
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A
près les médias et les
centrales à charbon,
l’homme d’affaires
tchèque Daniel Kre
tinsky continue à investir en
France, cette fois dans le secteur
de la distribution alimentaire. Le
groupe Casino a en effet annoncé,
jeudi 5 septembre, que l’indus
triel, actionnaire indirect du
Monde, était entré à son capital.
Vesa Equity Investment, la hol
ding dont M. Kretinsky détient
53 % aux côtés de son associé Pa
trik Tkac (47 %), a racheté en
Bourse 4,63 % du distributeur,
pour un montant estimé à envi
ron 200 millions d’euros. Avec
cette participation, elle devrait
obtenir environ 3 % des droits de
vote du groupe détenant Leader
Price, Monoprix ou Géant. Loin
derrière JeanCharles Naouri, qui
possède, à travers sa holding Ral
lye, 51,7 % du capital de Casino et
61 % des droits de vote.
L’opération a été saluée par une
hausse de près de 6 % du cours de
Casino, à l’ouverture, jeudi. De
puis le 30 août, l’action du distri
buteur stéphanois a grimpé de
plus de 12 %, un gain qui pourrait
être en partie lié aux rachats ef
fectués par Vesa. Cette hausse ré
cente constitue une mauvaise
nouvelle pour les fonds spécula
tifs, qui parient, depuis des mois
- voire des années, pour cer
tains –, sur la chute du cours du
groupe, dénonçant une fragilité
de sa structure actionnariale.
« Nous apportons notre soutien
au management du groupe Ca
sino et adhérons pleinement à sa
vision stratégique à long terme »,
indique M. Kretinsky dans le
communiqué de presse com
mun diffusé par Casino et Vesa.
Selon les règles de l’Autorité des
marchés financiers, la holding
n’était pas tenue de dévoiler au
marché une position inférieure à
5 % du capital. Mais dans le con
texte de la lutte à mort à laquelle
se livrent JeanCharles Naouri, le
propriétaire de Casino, et les ven
deurs à découvert, ce nouvel ac
tionnaire a vite été paré des
atours d’un chevalier blanc.
L’opération est présentée com
me « amicale » par le distributeur,
qui prévoit d’octroyer à Vesa
ment comme un vote de con
fiance d’autant plus probant.
Vesa possède une participation
de 40 % dans Mall Group, un ac
teur du commerce en ligne en Eu
rope centrale et orientale au chif
fre d’affaires dépassant 630 mil
lions d’euros. Surtout, les deux as
sociés tchèques ont un pied dans
Metro, le géant allemand de la dis
tribution en restructuration, dont
ils ont échoué à prendre le con
trôle, en août. Ils en détiennent
17,52 %, ainsi que des options leur
permettant de monter au capital.
Dette financière de 2,9 milliards
« Quels sont les investissements
réussis de M. Kretinsky dans la dis
tribution? Nous n’avons connais
sance d’aucun et il est beaucoup
trop tôt pour juger du succès de
l’investissement dans Metro », ju
gent de leur côté les analystes de
Bernstein, dans une note diffu
sée, jeudi, à leurs clients.
M. Kretinsky atil en tête des
coopérations entre Metro et Ca
sino, déjà alliés dans leurs achats à
l’international? Espèretil pren
dre le contrôle du français, de fa
çon amicale cette fois, après avoir
échoué, sur un mode hostile,
auprès de l’allemand? « Il a la vo
lonté d’aider Casino. Le cours de
Bourse très bas du distributeur lui
offre un point d’entrée attrayant. Il
a une vision industrielle, mais s’il
s’en sort avec une belle plusvalue
sur cette participation, il sera tou
jours gagnant », souligne un ban
quier d’affaires.
Chacun se demande surtout si
Vesa pourrait jouer un rôle dans le
cadre des discussions en cours
entre les banques et M. Naouri?
En mai, le dirigeant a placé trois
de ses holdings de contrôle – Ral
lye, Finatis et Foncière Euris –
sous procédure de sauvegarde
pour pouvoir renégocier sa dette.
Rallye affichait une dette finan
cière nette de 2,9 milliards d’euros
au 30 juin. La dette nette de Ca
sino en France, de 2,9 milliards en
juin (contre 4 milliards d’euros en
juin 2018), doit, elle, selon les ob
jectifs du groupe, passer sous
1,5 milliard d’ici à la fin de 2020,
grâce à un plan de cession de
4,5 milliards d’euros entre
juin 2018 et mars 2021.
Aux dires de proches, M. Kre
tinsky et M. Naouri, qui ne se con
naissaient pas personnellement
auparavant, se sont rencontrés en
août. Juste après que l’homme
d’affaires tchèque a échoué dans
sa tentative d’OPA sur Metro. Les
deux hommes ont discuté de cette
volonté d’investissement dans le
capital de Casino, dont M. Kre
tinsky appréciait le positionne
ment avec davantage de magasins
de proximité que d’hypermarchés.
Ils ont longuement échangé sur le
secteur de la distribution.
isabelle chaperon
et cécile prudhomme
Daniel
Kretinsky,
aux
rencontres
de l’Udecam,
Salle Pleyel,
à Paris, jeudi
5 septembre.
UDECAM
Equity Investment un siège au
conseil d’administration lors de la
prochaine assemblée générale, en
mai 2020. JeanCharles Naouri sa
lue en M. Kretinsky un « investis
seur industriel », et son entourage
insiste sur le fait que l’homme
d’affaires est « un connaisseur du
secteur de la distribution ». De quoi
faire apparaître son investisse
Première sortie dans le monde des
médias pour l’homme d’affaires tchèque
Invité, jeudi 5 septembre, à l’Udecam, grand-messe annuelle des
agences médias, Daniel Kretinsky, actionnaire indirect du Monde,
s’offrait sa première sortie publique dans le monde des médias.
« Le numérique va contribuer à l’humanité, mais a ouvert la porte
à un flux massif et sauvage d’informations à la légitimité
inconnue », a déclaré l’homme d’affaires tchèque, qui a racheté
des magazines, comme Elle ou Marianne. Dans un discours de
quinze minutes en français, Daniel Kretinsky a souligné qu’il
fallait légiférer sur les Google, Amazon, Facebook et Apple, afin
de les rendre « coresponsables » des contenus. « Facebook doit
avoir les mêmes responsabilités qu’un média », a-t-il dit. Et ce
d’autant que l’un des problèmes des médias en Europe est celui
du financement, « qui limite drastiquement les investissements
du numérique. Il faut permettre aux groupes de médias européens
de coopérer et de développer ensemble leurs propres outils ».
Altice capitule
face à Orange et à Free
L
a menace se profilait depuis déjà plu
sieurs jours. Orange l’a finalement
mise à exécution, jeudi 4 septembre au
matin. Peu après 9 heures, l’opérateur, faute
d’accord avec Altice, a cessé la diffusion de
BFMTV sur ses box, puis, quelques minutes
plus tard, celle de RMC Story et RMC Décou
verte. Un coup dur pour Altice, propriétaire
des trois chaînes : quelques jours plus tôt,
Free (dont le fondateur, Xavier Niel, est ac
tionnaire du Monde à titre individuel), avait
lui aussi opté pour l’écran noir.
Au cœur de la discorde : le renouvellement
des contrats de distribution des chaînes du
groupe de médias. Altice souhaitait en profi
ter pour réclamer à l’opérateur une rémuné
ration pour l’accès à ses chaînes et à leurs
services associés (télévision de rattra
page, contenus en avantpremière...). Mais
Orange, comme Free, lui a opposé une fin de
nonrecevoir. La maison mère de SFR a pour
tant tenté jusqu’à la dernière minute de né
gocier un accord. Mercredi 4 septembre au
soir, une nouvelle proposition avait encore
été envoyée à Orange. En vain. L’opérateur
est resté inflexible.
Services associés payants
Acculé, le groupe de médias a finalement
préféré battre en retraite. La coupure du si
gnal par Orange aura été un détonateur. « Il
n’est pas question de mettre nos chaînes en
danger », a reconnu Alain Weill, le patron
d’Altice France. Se passer des 6,5 millions
d’abonnés de Free, qui représentent 15 % de
l’audience de BFMTV de l’aveu de son nou
veau directeur, MarcOlivier Fogiel, n’était
déjà pas sans risque pour la chaîne d’infor
mation et ses deux petites sœurs du groupe.
Mais se priver aussi des quelque 12 millions
d’abonnés fixes du premier opérateur
télécoms de France devenait périlleux. Un
brusque plongeon des audiences aurait en
effet de sérieuses conséquences sur les recet
tes publicitaires des trois chaînes. Or, elles
sont indispensables à leur survie.
Altice a finalement capitulé. A contrecœur,
le groupe de Patrick Drahi a renoncé à être
rémunéré pour la distribution de ses chaî
nes. Seuls leurs services associés, propo
sés en option, seront
payants. « Finalement,
nous rentrons dans la lo
gique des opérateurs (...),
nous les prenons au
mot : s’ils ne veulent pas
des services associés
parce qu’ils considèrent
que leur prix ne leur con
vient pas, ils n’auront
pas les services asso
ciés », a précisé M. Weill,
tout en insistant sur
la pertinence de son
modèle. « Nous sommes
convaincus que nos ser
vices associés ont beaucoup de valeur.
Nous voyons bien que leur usage est exponen
tiel, et je pense qu’un opérateur qui s’en pri
vera proposera un service dégradé à ses
clients », atil poursuivi.
Les discussions entre Orange et Altice ont
repris jeudi matin. Les deux camps cher
chent de nouveau un terrain d’entente, mais
les négociations restent tendues. Le groupe
de médias a beau avoir mis de l’eau dans son
vin, sa tentative de passer en force a fort peu
été goûtée par l’opérateur historique. Ven
dredi 6 septembre au matin, les trois chaînes
n’étaient d’ailleurs toujours pas réapparues
sur les box de l’opérateur.
zeliha chaffin
UN BRUSQUE
PLONGEON DES
AUDIENCES AURAIT
DE SÉRIEUSES
CONSÉQUENCES
SUR LES RECETTES
PUBLICITAIRES
DES TROIS CHAÎNES
Patrick Drahi met la main sur la célèbre
maison de ventes Sotheby’s
Le magnat français des télécommunications et des médias
a obtenu le feu vert des actionnaires de la société
L
e suspense a pris fin. Jeudi
5 septembre, les actionnai
res de Sotheby’s ont ap
prouvé à 91 % son rachat par le ma
gnat français des télécommunica
tions et des médias Patrick Drahi,
dont l’offre de 3,7 milliards de dol
lars (environ 3,4 milliards d’euros)
avait déjà été validée à la mijuin
par le conseil d’administration de
la célèbre maison de ventes.
En dépit du soutien de l’un des
principaux actionnaires, Daniel
Loeb, à la tête du fonds Third
Point, le patron d’Altice n’était pas
assuré de pouvoir acheter le nu
méro deux mondial des ventes
aux enchères. Quatre actions
pour vice de procédure avaient
été engagées devant la justice
newyorkaise contre Sotheby’s.
Détenteur de 2,5 % des parts, le
gestionnaire de fonds RWC
Partners est monté au créneau cet
été pour contester les méthodes
de cession et la valeur de l’offre
(57 dollars par action), pourtant
supérieure de 61 % au cours du ti
tre. Il regrettait que la compagnie
d’assurance chinoise Taikang Life
Insurance, propriétaire de 17 % des
parts et longtemps vue comme un
repreneur potentiel, n’ait pas été
sollicitée pour une contreoffre.
D’après certaines rumeurs, le
patron de cette firme, Chen
Dongsheng, un collectionneur
qui possède aussi la deuxième
maison de ventes aux enchères
en Chine, China Guardian, prépa
rait sa montée en puissance dans
le capital, mais aurait été pris de
court par l’offre de M. Drahi.
En Chine, personne ne croyait à
une surenchère locale. « Pour Chen
Dongsheng, acheter une entreprise
américaine, c’est politiquement
compliqué en pleine guerre com
merciale sinoaméricaine, d’autant
qu’il est marié à la petitefille de
Mao », note le galeriste de Pékin
Hadrien de Montferrand. Quant à
l’hypothèse évoquée par le Journal
du dimanche sur une possible
contreoffre du PDG de LVMH Ber
nard Arnault, qui s’était offert les
maisons de ventes Phillips et Ta
jan avant de s’en désengager, elle a
été démentie par son entourage.
Carnet d’adresses précieux
La nouvelle du rachat par
M. Drahi n’a pas enthousiasmé
Wall Street, l’action de Sotheby’s
cédant 0,4 % lors des premiers
échanges. Qu’importe pour le
milliardaire français. D’ici à la fin
de l’année, Sotheby’s ne sera plus
cotée en Bourse. Un coup porté à
la transparence du marché de
l’art, sa rivale Christie’s ne pu
bliant pas non plus ses comptes
Reste à voir quelle sera la future
stratégie de Patrick Drahi, connu
pour compresser les coûts, alors
que Sotheby’s a affiché une baisse
de 8,7 % de son chiffre d’affaires
au premier semestre. « Il y a deux
options : soit il pense réduire le
nombre de départements à quel
ques segments phares, mais ça ne
marche pas ; soit il coupe les coûts,
et ça ne marche pas non plus, car il
faut un minimum de gens pour un
grand paquebot comme celuilà.
M. Drahi doit savoir qu’une mai
son de ventes ne gagnera jamais
beaucoup d’argent », lance un fin
observateur du marché.
A défaut d’une grande rentabi
lité, la maison de ventes fondée
en 1744 à Londres apportera à Pa
trick Drahi une image, une belle
publicité à chaque prix record, un
carnet d’adresses précieux pour
ses affaires et une mine d’infor
mations que seul François Pi
nault, propriétaire de Christie’s,
détenait jusqu’à présent.
Qui possède quoi et où? Quels
artistes pourraient voir leur cote
grimper? Sotheby’s, qui s’est di
versifié dans une multitude de
domaines connexes (l’immobi
lier de luxe, les services financiers
lucratifs, la technologie de recon
naissance d’images, l’indice Mei
et Moses...), offre enfin des pers
pectives élargies à un homme en
quête de coups d’éclat.
roxana azimi
Les fonds
spéculatifs
parient, depuis
des mois, sur la
chute du cours
du distributeur
Daniel Kretinsky
entre au capital
du distributeur
français Casino
Après la prise de contrôle ratée de
Metro, le rachat de 4,63 % du groupe
est jugé « amical » par l’enseigne