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SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 disparitions| 19
25 SEPTEMBRE 1922 Nais-
sance à Espelette (Pyrénées-
Atlantiques)
1947 Ordonné prêtre
1970 Archevêque
de Marseille
1979 Créé cardinal
par Jean Paul II
1984 Nommé par le pape
au conseil pontifical Justice
et Paix
1994 Chargé par Jean Paul II
de la préparation du Jubilé
de l’an 2000
4 SEPTEMBRE 2019 Mort à
Cambo-les-Bains (Pyrénées-
Atlantiques) à 96 ans
Roger Etchegaray
Cardinal
A
vant qu’il ne retourne
dans son cher Pays
basque où il est mort,
mercredi 4 septembre,
à CambolesBains (PyrénéesAt
lantiques) à l’âge de 96 ans, le car
dinal Roger Etchegaray était l’un
des Français les plus connus et es
timés au Vatican et dans la ville
de Rome. Dans son appartement
du palais San Callisto dominant
le quartier populaire du Tras
tevere, chacun de ses visiteurs
était accueilli par un chaleureux
sourire qui, joint à l’accent chan
tant du SudOuest français, n’ap
partenait qu’à lui, et par une in
vitation discrète à la chapelle,
avant de passer à table.
Ce n’était pas le sourire du
prélat de cour auquel on vient
soutirer une faveur, ni celui du
diplomate calculateur, un rôle
qui n’était pas spontanément le
sien, mais qu’il aura si longtemps
joué auprès du pape Jean Paul II.
C’était le sourire du « pasteur »
qu’il n’aura cessé d’être, de sa ré
gion natale à Paris, à Marseille,
enfin à Rome et dans toutes ces
capitales où il se rendait pour des
missions à la fois spirituelles et
très politiques, conduites au nom
du pape, et qui exigeaient de lui la
plus grande discrétion.
Ce grand homme d’Eglise aura
eu plusieurs vies. Celle du jeune
prêtre basque, né le 25 septem
bre 1922, à Espelette (PyrénéesAt
lantiques), au cœur de ce pays
dont il portait, à travers le monde,
« la terre sous la semelle de ses
souliers », dont il connaissait la
foi, la sagesse et les excès et où il
aimait tant se ressourcer, avant
d’y finir sa vie. Son enfance est
marquée par la guerre d’Espagne
et les premières escarmouches
pour l’autonomie du Pays basque.
Roger Etchegaray fait son appren
tissage au contact de LéonAlbert
Terrier, évêque de Bayonne, dont
il est le secrétaire puis le directeur
des « œuvres » du diocèse.
Intelligence et souplesse
Ses qualités de pasteur et d’orga
nisateur le font vite remarquer
par l’Assemblée des cardinaux et
archevêques, qui l’appelle à Paris.
A 40 ans, il participe comme ex
pert au concile Vatican II (1962
1965), où il voit se métamorpho
ser une Eglise qui renonce à ses
fastes, se définit comme « peuple
de Dieu », encourage les dialogues
avec le monde et les autres reli
gions, ne condamne plus tout ce
qui vient de la modernité et prend
davantage en compte les besoins
de l’humanité. Roger Etchegaray
est à l’école de ces grands théolo
giens réformateurs, français et al
lemands (Congar, de Lubac, Rah
ner), qui ont fait Vatican II. Il y ren
contre des figures qui le marque
ront toute sa vie : Paul VI, Dom
Helder Camara, Karol Wojtyla...
Une autre vie commence après
ce concile, dont il accueille avec
enthousiasme les nouveautés,
mais devine aussi, avec réalisme,
les risques d’explosion. En 1966,
il est le premier secrétaire de la
Conférence des évêques de
France, nouvellement créée, dont
il sera élu président en 1975. Il
n’est pas homme d’appareil, mais
il doit affronter des tempêtes.
L’affaire Lefebvre, du nom de cet
évêque français récalcitrant de
Vatican II, divise l’Eglise. Le prési
dent des évêques est impuissant
face à la montée de la dissidence
traditionaliste consommée par
un schisme en 1988. Il hérite
aussi de Mai 68, qui creuse
d’autres fractures et une contes
tation mettant en cause le statut
du clergé, la raideur doctrinale de
l’Eglise, son incapacité à hâter la
réunification des Eglises. Sept
mille prêtres vont quitter les or
dres dans les années 1970.
Commis voyageur du pape
La montée de l’union de la gauche
mobilise les militants catho
liques qui, dans les syndicats et
partis de gauche, identifient
leur combat pour la justice avec
l’Evangile. Commence alors un
procès de « connivence » de
l’Eglise de France avec le
marxisme que devra supporter
- et récuser véhémentement – le
président de la Conférence des
évêques. Dans cette période de
flottement, Roger Etchegaray fait
preuve d’intelligence et de sou
plesse pour, à la fois, ne pas dé
courager les forces militantes et
tenir le cap de l’indépendance
politique de l’Eglise. Ce qui le
conduit, en 1976, à refuser à la der
nière minute, devant la publicité
donnée à l’événement, un déjeu
ner programmé avec le premier
ministre de l’époque, Jacques Chi
rac. L’affaire fait alors grand bruit.
En 1970, il avait été nommé ar
chevêque de Marseille. Le Basque
sera vite adopté par la cité pho
céenne dont il sera, pendant qua
torze ans, le premier pasteur, se
partageant entre Marseille, Paris,
Rome – où il sera promu, en 1979,
dans la première fournée de cardi
naux de Jean Paul II – et toutes les
capitales qu’il traverse comme
président du conseil des confé
rences épiscopales d’Europe. Très
populaire à Marseille, il noue des
relations de confiance avec Gas
ton Defferre, maire emblémati
que, socialiste et protestant. Il
prend des initiatives de dialogue
avec toutes les communautés,
avec Joseph Sitruk, le grand rabbin
de la ville, futur grand rabbin de
France. Cette conviction œcumé
nique le poursuivra toute sa vie.
Roger Etchegaray n’a pas étudié
à l’Académie romaine d’où sor
tent les brillants sujets de la diplo
matie pontificale. Mais, au prix
d’une étonnante ruse du destin, il
commence, en 1984, à 62 ans, une
nouvelle vie. Jean Paul II l’appelle
au Vatican comme président du
conseil Justice et Paix et de Cor
Unum, deux dicastères (ministè
res) du gouvernement de l’Eglise
qui regroupent ses interventions
humanitaires dans les pays en
conflit. Ce poste, où la langue de
bois diplomatique le cède au lan
gage du cœur et de la confiance,
lui va comme un gant.
Là, il collabore à la rédaction des
célèbres encycliques sociales de
Jean Paul II, le représente dans
les institutions internationales
(Nations unies, Banque mon
diale), participe à la plupart de ses
voyages, est avec lui témoin et ac
teur de la chute du communisme,
noue des liens puissants avec le
patriarche orthodoxe russe
Alexis. Il devient le commis voya
geur du pape polonais, son confi
dent, son ambassadeur privé.
Dans les armoires qui ornent
son bureau de San Callisto, les éti
quettes (Cuba, Irak, Iran, Haïti,
Rwanda, Congo, Soudan...) lais
sent deviner un tourbillon de
voyages, de rencontres, de dia
logues et d’impressions. Elles
contiennent des tonnes de notes,
rapports de missions, souvenirs
personnels dont il n’aurait ja
mais, même sous la torture, trahi
le secret. Il attendra d’avoir 85 ans
pour livrer – en partie – leur
contenu (J’ai senti battre le cœur
du monde, conversations avec
Bernard Lecomte, Fayard, 2007).
Sur tous les champs de bataille
Prélat romain atypique, le cardinal
Etchegaray est sur tous les champs
de bataille, là où des hommes et
des femmes souffrent, meurent,
pleurent. La caution de Jean Paul II
lui vaut d’être reçu par les diri
geants du monde entier, chinois,
vietnamiens, arabes, américains
du Nord et du Sud, etc. Ses premiè
res missions le conduisent dans
les Balkans en guerre, puis en
Amérique centrale, déchirée entre
les guérillas et les dictatures mili
taires. Il est, jusqu’en 1998, l’aumô
nier de la planète. Sur 53 pays afri
cains, il en aura visité 49.
A Cuba, il négocie avec Fidel Cas
tro la visite du pape à La Havane,
en 1998, et le dictateur se confesse
à lui des heures entières : « Dans
ma vie, lui confietil, deux cho
ses m’importent : le marxisme et
l’Evangile! » En février 2003, à
la veille des bombardements sur
Bagdad, il retourne voir Saddam
Hussein pour éviter le pire, mais
sans succès. Ses nombreux
séjours auprès des chrétiens liba
nais, ses visites sur la tombe de
Mgr Oscar Romero, assassiné au
Salvador en 1980, d’autres prêtres
et religieux martyrs en Amérique
centrale, puis au Chili, ses plon
gées dans l’enfer au Congo, au Bu
rundi, au Rwanda crucifient
l’homme d’Eglise.
« J’ai côtoyé les pires folies des
hommes », se désoletil à Kigali,
après le génocide rwandais de
- Son absolue fidélité lui vau
dra de devenir l’organisateur des
rencontres interreligieuses d’As
sise, auxquelles Jean Paul II accor
dait tant de prix, puis du Jubilé de
l’an 2000, qui attirera jusqu’à
25 millions de pèlerins à Rome.
En 2014. GAIZKA IROZ/AFP
Nie Yuanzi
Figure de la Révolution culturelle
S
on nom est indissociable
de la Révolution cultu
relle : le dazibao – une affi
che écrite en gros carac
tères – dont elle fut l’une des
sept signataires (en réalité le pre
mier nom sur la liste et le seul que
l’histoire a retenu) et qui fut collé,
le 25 mai 1966, sur le mur exté
rieur du principal réfectoire de
l’université de Pékin marqua le
coup d’envoi de la vaste entre
prise de démolition du Parti com
muniste voulue par Mao Zedong.
Nie Yuanzi est morte le 28 août à
l’hôpital de l’université de Pékin à
l’âge de 98 ans. La presse chinoise
a passé sa mort sous silence.
En cette année 1966, le fonda
teur de la République populaire
est persuadé que la direction du
parti veut l’écarter et le rendre
responsable du désastre de la
grande famine du début des an
nées 1960, suivant ainsi le mo
dèle de la déstalinisation mise en
œuvre par Khrouchtchev en
Union soviétique dix ans plus tôt.
Alors secrétaire du Parti commu
niste du département de philo
sophie de la prestigieuse uni
versité de Pékin (Beida), Nie
Yuanzi, qui a alors 45 ans, est une
gauchiste dont la carrière est en
berne : elle est censée être mutée
en raison d’une vendetta politi
que ratée contre le président de
Beida, un an auparavant.
Le dazibao qu’elle rédige avec
des collègues dénonce les « mani
gances » de Lu Ping, le président
de l’université, et de sa direction,
pour dévoyer la Révolution cultu
relle prolétarienne de Mao. Lu
Ping est en effet sous la protec
tion de Peng Zhen, le chef du parti
de Pékin, qui devient alors la pre
mière cible d’importance de Mao
dans cette campagne qu’il mène
depuis Shanghaï contre les « révi
sionnistes » au sein du parti.
« Exterminer les révisionnistes »
Nie Yuanzi rédige le dernier para
graphe du dazibao, où elle appelle
les camarades à « exterminer réso
lument, complètement et totale
ment tous les révisionnistes à la
Khrouchtchev » et à « tenir haut le
drapeau rouge de la pensée Mao
Zedong... » Dans La Dernière Révo
lution de Mao : histoire de la Révo
lution culturelle. 19661976 (Galli
mard, 2009), l’historien britanni
que, Roderick MacFarquhar, mort
en février, identifie Nie Yuanzi
comme la personne de confiance
que contacte la femme de Kang
Sheng, le chef des services secrets
chinois et l’homme des basses
œuvres au service de Mao, dans
son entreprise d’agitation politi
que au cœur du campus.
Celleci aboutit au chaos : des
centaines de dazibaos apparais
sent, soit pour critiquer la direc
tion de l’université, soit pour dé
noncer les gauchistes. Mais c’est
le verdict du leader chinois qui
pèse dans la balance, explique
MacFarquhar : Mao désigne, le
1 er juin, le dazibao de Nie Yuanzi
comme « le manifeste de la Com
mune de Pékin » (en référence à
celle de Paris), un document « très
important, à diffuser dans son in
tégralité » : « C’est le début de la
destruction de la place forte réac
tionnaire qu’est l’université de Pé
kin », déclare Mao.
Bouc émissaire
Le texte au vitriol de Nie Yuanzi
est repris par Le Quotidien du peu
ple et la radio : ce coup de semonce
ouvre la phase la plus destructrice
de la Révolution culturelle. Les
écoles sont fermées. Des hordes
de gardes rouges qui se réclament
du Grand Timonier s’attaquent
aux enseignants et aux cadres
du parti dans un déchaînement
de violence. On parlera d’« août
rouge » (1 800 morts, rien qu’à Pé
kin). Après ce dazibao, Nie Yuanzi
devient une sorte de célébrité.
Elle est reçue par Mao, qui la
charge, en juin, de former un co
mité de la Révolution culturelle au
sein de Beida – autrement dit, un
nouveau centre de pouvoir pour
remplacer la direction déchue.
Nie Yuanzi sera toutefois mise
au placard dès 1968, comme elle
le raconte dans un témoignage au
Monde en juin 2006 : « J’ai ensuite
été arrêtée et placée en isolement
durant un an dans une pièce gla
ciale aux fenêtres obstruées par
des planches et des journaux, où
je n’avais que le droit d’être immo
bile, debout, assise ou couchée,
sans jamais pouvoir me déplacer.
Plus tard, j’ai été envoyée en camp
de détention dans la province du
Jiangxi. La femme de Mao, Jiang
Qing, m’accusait d’être une contre
révolutionnaire! »
En 1978, après le retour de Deng
Xiaoping au pouvoir, Nie Yuanzi
est un bouc émissaire tout
trouvé : « Il a voulu se venger en
me faisant de nouveau emprison
ner. En 1983, j’ai été condamnée à
dixsept ans de prison. J’en suis
sortie en 1986, car les années pré
cédentes en détention ont été
comptabilisées », poursuitelle.
Nie Yuanzi niera toujours avoir
pris part à des violences. La Révo
lution culturelle a fait entre 1,
et 3 millions de victimes de 1966 à
1976, selon les historiens.
Née le 5 avril 1921 dans la pro
vince du Henan, la plus jeune de
sept enfants, Nie Yuanzi entre au
parti, alors une organisation clan
destine, en 1938, et part s’installer
dans la base de Yan’an, le quar
tier général des forces maoïstes.
Spécialiste de marxismeléni
nisme, elle rejoint l’université de
Pékin en 1960 et devient secré
taire du parti du département de
philosophie en 1963. « J’ai accom
pli une seule chose dans la Révolu
tion culturelle : prendre la tête de
la rédaction de ce dazibao, atelle
déclaré, en 2016, sur le site en chi
nois du New York Times. Ce dazi
bao m’a apporté une renommée et
une notoriété extraordinaires,
mais également une douleur et
des tourments sans fin pour le
reste de ma vie. »
brice pedroletti
Aujourd’hui, c’est toute l’Eglise,
pas seulement en France, qui
rend hommage à celui qui ne se
présentait jamais que comme un
humble et fidèle serviteur de
l’Evangile.
henri tincq
5 AVRIL 1921 Naissance
(province du Henan)
1966 Signataire d’un texte
dénonçant la direction de
l’université de Pékin
1968 Placée à l’isolement
1983-1986 Emprisonnée
après le retour au pouvoir
de Deng Xiaoping
28 AOÛT 2019 Mort à Pékin