Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
0123
SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019

PLANÈTE


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REPORTAGE
mokpo, wando (corée du sud) – envoyé spécial

D


ans le vaste hall lumineux et
rutilant de la société Shinan
1004 Seaweed (1004, pour le
nombre d’îles de cette région
du sud­est de la Corée du
Sud), tous les labels possibles
ornent les murs : « sans OGM », « organic »
(biologique), « HACCP » pour la sécurité sani­
taire, « SGS » pour le respect des normes na­
tionales et internationales... et même « Star K
Kosher » pour la certification casher. Ici, tout
est fait pour conquérir le monde avec la pro­
duction de chips et de snacks à base d’algue.
A l’unisson de tout un pays pour lequel l’al­
gue représente un élément essentiel de sa pro­
duction maritime et de ses exportations et,
surtout, de son alimentation quotidienne.
Pour les bienfaits aussi de la planète, disent
chercheurs et professionnels de la filière. Les
algues, brunes, rouges ou vertes, présentent
de nombreux avantages pour la santé et la dié­
tétique, permettent de lutter contre le réchauf­
fement climatique en captant et en stockant le
CO 2 et, enfin, ne risquent pas de souffrir de sé­
cheresse, étant cultivée dans la mer. L’algue,
un atout gagnant sur lequel les Sud­Coréens
misent à fond.
A Shinan, le PDG, Kwon Dong­hyuk, fait
donc visiter fièrement son usine de transfor­
mation de « gim » (une algue rouge, Porphyra
de son nom latin), un incontournable de la
cuisine coréenne. Depuis plusieurs siècles


  • on en trouve mention dans un document
    consacré à la période des Trois Royaumes,
    soit de l’an 57 avant J.­C. à l’an 668 de l’his­
    toire de la Corée –, on la consomme notam­
    ment en feuille enroulée autour de riz farci
    avec du poisson ou d’autres ingrédients, les
    fameux gimbap. Au Japon, on l’appelle la
    nori, et elle sert à réaliser les makis. Dans
    cette usine, les feuilles de gim sont surtout


grillées. Sur une table sont exposés tous les
produits dont une grande part est destinée à
l’exportation : salades d’algues fraîches en
sachet, snacks d’algues aux amandes, chips
d’algues avec riz gluant, feuilles de gim
grillées nature ou aux parfums variés,
wasabi, gingembre, sel marin ou encore
teriyaki (une sauce à base de soja et de mirin,
sorte de saké doux). On trouve même des
algues croustillantes à l’huile d’olive. En bou­
che, les saveurs iodées, un vrai bain de mer,
laissent place à de discrets arômes de cham­
pignon, voire de noisette.

PALETTES DE CARTONS DE SNACKS
« Cela fait des années que l’on essaie nos pro­
duits auprès des consommateurs, et cela mar­
che fort. Les Coréens ont par exemple du mal à
les préparer en salade, alors on a mis au point
nos sachets d’algues fraîches déjà prêtes. La
société américaine Costco Wholesale [impor­
tante société de commerce de détail] a eu
vent de nos préparations, et le panel étranger
qui les a testées a adoré », se félicite Kwon
Dong­hyuk. De fait, dans l’entrepôt d’expédi­
tion, des palettes de cartons de snacks atten­
dent de partir pour les Etats­Unis. Les autres
destinations principales sont le Canada, le
Japon, la Chine ou encore le Royaume­Uni.
Et les affaires de M. Kwon se portent bien.
« Le taux de croissance est de l’ordre de 10 % à
20 % chaque année, et si notre chiffre d’affaires
2018 était de 4,8 milliards de wons [3,6 millions
d’euros], nous comptons atteindre 24 milliards
en 2020 », confie le PDG. Avec la hausse de la
demande, la société vient d’ouvrir une nou­
velle usine de production, la quatrième, à
Gangjin, dans la province de Jeolla du Sud.
Pour assurer cette réussite, 250 salariés


  • blouse, charlotte, masque et gants blancs, ta­
    blier bleu – s’affairent, dans un bruit assour­
    dissant, sur seize lignes de production. Le
    17 juillet, des snacks aux amandes sortent des
    chaînes. Les feuilles de gim sont grillées deux
    fois, avec un mélange d’huile de sésame et de


tournesol, puis sont découpées en petits car­
rés. Tout est automatisé, et les amandes tom­
bent régulièrement sur les feuilles qui défilent
sur un tapis roulant. Sont ajoutées ensuite de
petites graines de sarrasin grillées et une
deuxième feuille de gim vient se coller sur la
première. Le tout est séché et refroidi pendant
une journée avant d’être mis en paquet.
Dans une salle mitoyenne, ce sont des
snacks de gim grillé qui sont produits. Son
Eun­hae, jeune ouvrière de 35 ans, explique,
derrière son masque, tout en surveillant sur
un moniteur que le poids des packs n’est pas
inférieur à 34,5 grammes, qu’elle en mange
tous les jours en faisant des rouleaux avec le
riz ou nature en buvant une bière. « On ne fait
pas de différence entre le goût du marché co­
réen et l’export. Nous voulons garder les arô­

LA CONSOMMATION 


RÉGULIÈRE D’ALGUES


DIMINUE


LES RISQUES 


CARDIOVASCULAIRES 


ET PERMET


DE LUTTER CONTRE 


L’OBÉSITÉ


La Corée du Sud cuisine


ses algues pour la planète


MANGER DEMAIN  6  |  6 Bonne pour l’environnement et la santé, la plante marine, consommée fraîche, en soupe


ou en chips, a de nombreux atouts. Mais la production massive doit faire face au réchauffement des eaux


SHINAN

Mer Jaune

Mer
Séoul du Japon

 

Gangjin

Mokpo

CORÉE
DU NORD

CORÉE DU SUD
JEOLLA
DU SUD

Le 18 juillet, à Shinan.
Dans l’usine de transforma­
tion de la société
Shinan 1004 Seaweed.

Des feuilles de gim
(« porphyra ») séché,
à Mokpo (Corée
du Sud), le 20 juillet.
PHOTOS : JULIEN GOLDSTEIN
POUR « LE MONDE »

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