Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1

22 |planète SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019


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mes naturels de l’algue, et notre but est de pro­
duire un aliment sain pour l’humanité. Nos
snacks d’algue, sans colorant ni conservateur,
sont quand même meilleurs que les chips tra­
ditionnelles », vante Kwon Dong­hyuk.
C’est l’un des arguments majeurs qui doit as­
surer le succès mondial des algues. Comparé
aux chips de pomme de terre, et à leurs 487
kcal pour 100 grammes, les 123 kcal revendi­
qués par les snacks de gim font presque office
de régime diététique. Selon des études scienti­
fiques relayées consciencieusement par l’orga­
nisation professionnelle Korea Agro Fisheries
& Food Trade Corporation, la Porphyra con­
tiendrait « dix fois plus de fibres alimentaires
que le chou, trois fois plus de bétacarotène que
les carottes, neuf fois plus de fer que la viande de
porc et trois fois plus de calcium que le lait ». Si
l’on ajoute qu’elle contient 40 % de protéines
et l’ensemble des huit acides aminés essen­
tiels, les bénéfices de cette algue sont évidents.


AIDE À LA LUTTE CONTRE LE CANCER DU SEIN
Si les propriétés diffèrent selon le type d’al­
gues comestibles, leur consommation régu­
lière diminue les risques cardio­vasculaires,
permet de lutter contre l’obésité, renforçant
aussi le système immunitaire ou encore
aidant à lutter contre le cancer du sein. Pour­
tant, dans un avis d’août 2018, l’Agence natio­
nale de sécurité sanitaire de l’alimentation,
de l’environnement et du travail française
alerte sur la consommation excessive d’al­
gues. « Au regard du risque non négligeable de
dépassement des limites supérieures de sécu­
rité d’apport en iode, l’Agence déconseille la
consommation d’algues et de compléments
alimentaires à base d’algues à certaines popu­
lations à risque et recommande aux consom­
mateurs réguliers de rester vigilants. »
Une incongruité pour Philippe Potin, direc­
teur de recherche au CNRS, à Plogoff (Finis­
tère), spécialiste de l’algue. « C’est paradoxal
au vu de tous les avantages des algues dans
l’alimentation, bienfaits que retiennent l’Orga­
nisation mondiale de la santé et la FAO [Orga­
nisation des Nations unies pour l’alimenta­
tion et l’agriculture]. Si l’on mange trop d’huî­
tres ou de poissons, le problème est identi­
que », dit le chercheur.
En Corée du Sud, la question ne se pose pas.
L’algue est omniprésente et occupe des


rayons entiers dans les grandes surfaces. Fraî­
che, grillée, en chips... Elle fait partie, avec le
chou (kimchi) et le riz, des trois produits les
plus consommés. « Les algues frites que prépa­
rait ma mère reste mon plat préféré. J’ai 64 ans,
mais si j’ai l’air très jeune, c’est grâce à elles », se
félicite avec aplomb Kim Young­rok, le préfet
du district de Mokpo, ville de 250 000 habi­
tants de la région de Jeolla du Sud.
Surtout, la plante marine représente le pou­
mon économique de la Corée du Sud. Les trois
quarts de la production nationale provien­
nent de cette région, et quelque 2 400 foyers
en vivent. Les revenus provenant de ce secteur
sont de 400 milliards de wons pour la produc­
tion brute et de 1 000 milliards de wons pour
les produits transformés, annonce le préfet,
confortablement installé derrière son bureau.
« La majorité des algoculteurs travaillent dans
ce secteur de décembre à avril, pour la récolte,
puis font de la préparation et de la pêche le reste
du temps », explique Kim Young­rok, qui se
souvient d’avoir récolté et coupé au couteau,
enfant, le gim avec sa famille.
Autre atout régional, avance encore le pré­
fet, la production d’ormeaux, au deuxième
rang mondial après la Chine, qui se nourris­
sent d’algues. Un tiers de la production co­
réenne d’algues servirait à nourrir ce mol­
lusque marin à coquille. Car les revenus of­
ferts par les ormeaux sont considérables. Oh
Ji­su en témoigne. Ce patron de l’entreprise
Luxury Abalone (« ormeaux de luxe »), dans
le district de Wando, surveille la manœuvre
d’un bateau équipé d’une grue qui déverse
des tonnes de dashima (en japonais,
kombu), de grandes algues brunes à l’aspect
caoutchouteux, dans des réservoirs où sont
élevés des milliers d’ormeaux, à quelques
centaines de mètres de la côte.
A cause du passage de la tempête tropicale
Danas, l’accès à cette gigantesque plate­
forme flottante était impossible pendant
deux jours. Celle­ci a d’ailleurs été prudem­
ment réduite de cent vingt réservoirs à
quarante­huit, le souvenir restant vif du pas­
sage de plusieurs typhons dévastateurs, à
l’été 2012, en Corée du Sud méridionale.
Mais, avec 25 000 coquilles dans chaque pe­
tit bassin, Oh Ji­su ne se plaint pas : « La
culture de dashima est intéressante parce que
les investissements sont faibles, mais l’élevage
d’ormeaux, qui se fait toute l’année, repré­
sente un chiffre d’affaires cinq fois supérieur à
celui des algues. »

C’est sur le littoral de cette région de Wando
que l’on retrouve le plus de producteurs d’al­
gues et d’ormeaux. « Plus de la moitié de la
production nationale se fait ici, et même 70 %
pour le dashima. Et 80 % des ormeaux produits
le sont à Wando », affirme Shin Woo­cheol, le
maire de cette ville de 52 000 habitants.
En effet, partout au large de ces côtes méri­
dionales, la vue des centaines de bâtons plan­
tés ou des bouées alignées flottant en pleine
mer, à perte de vue, est saisissante. Chaque
baie ou presque, innombrables dans ce pays
aux milliers d’îles, est envahie par ces
« champs » d’algues ou par les plates­formes
d’élevage des ormeaux. Entre les piquets ou
les bouées, des cordes ou des filets sont ten­
dus. C’est là que les cultivateurs accrochent les
semences d’algue, en mars, afin qu’elles pros­
pèrent. La récolte, elle, se fait jusqu’en avril­
mai, les eaux devenant trop chaudes ensuite.

PEU DE CONFLITS D’USAGE
En ce mois de juillet, il reste encore à récolter
quelques algues dashima. Sur son petit ba­
teau, Shin Yeon­ju tire à lui une lourde corde
encombrée d’algues. Celle­ci pèse quelque
300 kg. Prestement, alors qu’un treuil hisse
l’important chargement de la plante marine,
aux larges et épaisses lames pouvant attein­
dre 5 mètres de long, il coupe la laminaire à la
racine. « Chaque corde fait 200 mètres et j’en
possède deux cents à trois cents, pour un re­
venu annuel de 300 millions de wons », an­
nonce l’homme de 33 ans, revenu de Séoul,
où il était décorateur, pour reprendre la petite
entreprise familiale.
Contrairement aux algues sauvages récol­
tées en France, l’algue consommée en Corée
du Sud, comme en Chine et au Japon, est sys­
tématiquement cultivée. « On a découvert,
dans les années 1950, comment l’algue se re­
produisait, et on a compris comment maîtri­
ser la semence. A l’époque de Mao, les scientifi­
ques chinois ont travaillé sur les problèmes de
carence en iode et comment l’algue pouvait
être une solution. Ils ont inventé la culture sur
corde et ont creusé des grands bassins à terre
pour pouvoir maîtriser la température de
l’eau », raconte le spécialiste français des al­
gues Philippe Potin.
Les algues représentent une solution pour
la planète. Si 15 000 litres d’eau sont nécessai­
res pour produire 1 kg de viande de bœuf,
5 000 pour 1 kg de riz ou 600 litres pour 1 kg
de pommes de terre, les algues poussent dans

la mer, usant principalement d’eau de mer
filtrée pour les étapes de rinçage. Elle n’ont,
de plus, pas besoin d’engrais, et captent et
stockent le CO 2 , rappelle Régine Quéva, dans
son ouvrage Les Super­pouvoirs des algues
(Larousse, 144 p., 12,90 euros). De plus, con­
trairement aux productions agricoles ter­
riennes, il existe peu de conflits d’usage, les
autres productions aquacoles, poissons,
crustacés, se faisant plus près des côtes.
L’aquaculture intégrée multitrophique, soit
une forme de permaculture en mer, est même
conseillée : on combine sur un même site un
élevage de poisson, de coquillage et la culture
de l’algue. De tels projets sont à l’étude en
France, affirme Jérôme Lafon, délégué pêche
et filières de l’aquaculture, à FranceAgriMer.
Les algues représentent une solution face au
réchauffement climatique, mais elles pour­
raient aussi en souffrir. Il faut s’adapter. Au
Seaweed Research Center, sur le bord de mer,
dans le district d’Haenam, on prépare l’avenir.
Ici, dans des petites pièces verrouillées, sur des
dizaines d’étagères, sont entreposés d’innom­
brables flacons abritant des souches d’algue,
de gim essentiellement, à tous les niveaux de
développement, et de toutes les couleurs. Une
dizaine de chercheurs travaillent à « inventer
des espèces résistantes au changement climati­
que, explique la directrice de cet institut de re­
cherche créé en 2004, Hwang Mi­sook. Si la
tendance au réchauffement se confirme, les
périodes de récolte seront plus brèves. »
Premier problème, la température des eaux
marines. Pour un bon développement, cel­
le­ci devrait, idéalement, se situer entre 5^0 C
et 13^0 C, que ce soit pour les algues gim, les
dashima ou encore les miyeok (en japonais,
wakamé), ces dernières servant entre autres à
nourrir les ormeaux. Avec le réchauffement à
la surface de l’eau, qui a été mesurée avec
+ 1,23^0 C en cinquante ans dans les eaux du
sud de la Corée, les données changent : une
partie de la production a migré plus au nord,
sur le littoral oriental.
Mais le réchauffement n’est pas le seul pro­
blème. « Le taux de salinité, qui est primordial
pour la culture des algues, peut aussi varier s’il
pleut beaucoup ou avec la survenue de ty­
phons, ces derniers entraînant aussi des tem­
pêtes et de fortes vagues susceptibles de dé­
truire les lieux de culture. Cette masse d’eau
douce tombée du ciel fait baisser la salinité et
les algues ont du mal à survivre », avance Park
Eun­jeong, chercheuse au centre.

POUR ANTICIPER 


LES MENACES 


LIÉES AU 


RÉCHAUFFEMENT, 


LE CENTRE 


DE RECHERCHE 


SUR LES ALGUES 


A MIS AU POINT 


DE NOUVELLES 


SEMENCES


Près de Wando (Corée du Sud), le 22 juillet. Les innombrables baies du pays aux milliers d’îles abritent des champs d’algues. Ici, des dashima sont accrochées à des cordes tendues entre des bouées.


suite de la page 21

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