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SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 international| 5
L’opposant camerounais Maurice
Kamto devant la justice militaire
L’excandidat avait contesté la réélection de Paul Biya en octobre 2018
D
e quoi devront réelle
ment répondre Mau
rice Kamto, et une
centaine de coaccu
sés, qui doivent être jugés à partir
du vendredi 6 septembre de
vant un tribunal militaire de
Yaoundé? De l’organisation de
marches interdites au Cameroun
et du saccage des ambassades à
Paris et Berlin, comme le stipule
l’ordonnance de renvoi? Ou, plus
prosaïquement, du refus d’ad
mettre le maintien au pouvoir de
Paul Biya après le scrutin d’octo
bre 2018, comme l’analysent
nombre d’observateurs?
En apparence, Maurice Kamto,
65 ans – arrivé deuxième avec of
ficiellement 14,23 % des suffra
ges – n’a rien d’un opposant radi
cal ni d’un boutefeu susceptible
d’enflammer les foules. Son
crime le plus grave paraît être
d’avoir qualifié – avec son parti, le
Mouvement pour la renaissance
du Cameroun (MRC) – la réélec
tion de l’inamovible M. Biya de
« holdup électoral » et de l’avoir
contestée dans les rues.
Il avait été arrêté le 28 janvier à
Douala, la capitale économique,
ainsi que plus de 150 de ses mili
tants et alliés, parmi lesquels
l’avocate Michelle Ndoki, l’ancien
conseiller à la présidence Chris
tian Penda Ekoka et le rappeur
Valsero. Deux jours plus tôt, le
MRC avait organisé une marche
interdite par les autorités ; et des
membres de la diaspora, regrou
pés au sein d’un mouvement
hostile au pouvoir, avaient en
vahi et dégradé les ambassades
en France et en Allemagne.
« Ultra-durs »
Transférés à Yaoundé, où ils ont
été placés en détention depuis,
Maurice Kamto et les siens sont
notamment accusés d’« insur
rection », d’« hostilité contre la
patrie », de « rébellion » et
d’« outrage au président de la Ré
publique ». Ils encourent la peine
de mort, même si cette sentence
n’est plus appliquée au Came
roun. « C’est un procès banal, un
nonévénement. Des bandits se
ront jugés devant la justice mili
taire, car les délits commis relè
vent de sa compétence », mini
mise une source haut placée à la
présidence, agacée par les dé
nonciations de justice instru
mentalisée à des fins politiques
et par la mobilisation internatio
nale qui s’organise en faveur de
ces opposants.
« Nous faisons pression forte
ment sur le président Biya pour
qu’il puisse agir et élargir ces pri
sonniers », a déclaré mardi le mi
nistre français des affaires étran
gères, JeanYves Le Drian.
En mars, à quelques jours de
rencontrer le président Biya, le
soussecrétaire d’Etat américain
aux affaires africaines, Tibor
Nagy, a estimé : « Que ce soit vrai
ou faux, [M. Kamto] est perçu
comme ayant été incarcéré pour
ses activités politiques. » La diplo
matie européenne avait consi
déré en écho que « l’arrestation et
la détention prolongée de plu
sieurs dirigeants d’un parti de l’op
position, dont son leader Maurice
Kamto, et d’un nombre important
de manifestants et de sympathi
sants, ainsi que l’ouverture de pro
cédures disproportionnées à leur
encontre devant la justice mili
taire, accroissent le malaise politi
que au Cameroun ».
« Les dénonciations, les accusa
tions, on s’en fout! Nous ne som
mes pas une colonie et nous som
mes très étonnés par la déclara
tion de M. Le Drian, qui n’a ni écrit,
ni appelé le président Biya ou le
ministre des affaires étrangères
pour parler de Kamto », fulmine
le responsable déjà cité.
Cette réplique cinglante s’expli
que en partie, selon un diplo
mate, par la réaffirmation récente
du soutien de la Chine à la politi
que menée par Yaoundé, notam
ment dans les deux régions an
glophones, en proie à un conflit
entre l’armée camerounaise et
des groupes séparatistes.
« Une aile d’ultradurs a pris le
dessus au palais présidentiel,
poursuit cette source. On peut
s’attendre à un procès sommaire
suivi d’une condamnation à la
prison à vie, comme ce fut le cas
dans le procès de Julius Ayuk Tabe
[le leader séparatiste anglo
phone et neuf de ses proches ont
été condamnés le 20 août à la pri
son à perpétuité], où la justice mi
litaire s’est prononcée en moins
de vingtquatre heures et a rendu
sa décision à 5 h 38 du matin, pour
qu’aucun observateur internatio
nal ne soit présent. »
« Tontinards, sardinards »
Dans l’espoir d’éviter un procès à
huis clos, M. Kamto et ses coaccu
sés ont conditionné leur pré
sence à la barre à l’ouverture des
audiences au public et à la presse.
« Si la logique juridique l’emporte,
toutes les accusations fallacieuses
seront dégommées. Mais comme
ce procès est par nature politique,
les voleurs d’élection vont essayer
de mettre à l’écart un rival encom
brant. Nous allons bien sûr ripos
ter politiquement pour prouver
l’instrumentalisation de cette pro
cédure », prévient Olivier Bibou
Nissack, le porteparole du MRC.
Les avocats de l’opposant ont de
mandé à entendre deux minis
tres et plusieurs responsables po
liciers et militaires.
Si depuis plusieurs années la
justice camerounaise est deve
nue un outil de régulation politi
que, permettant de couper au
moment choisi les ailes de ceux
qui affirment un peu trop fort
leurs ambitions, plusieurs obser
vateurs s’inquiètent désormais
de la teneur des discours où pri
ment les considérations com
munautaires. « La nature de
Maurice Kamto est ethnofasciste.
Il se proclame démocrate, mais sa
volonté est de renverser l’ordre
établi pour en instaurer un nou
veau, basé sur la domination
d’une ethnie », accuse la source
du Monde à la présidence.
Depuis l’élection d’octobre, le
dictionnaire de la politique came
rounaise s’est ainsi enrichi de
nouvelles insultes. Désormais,
les « tontinards », en référence
au système d’épargne collective
très développé dans la commu
nauté bamiléké – celle de Maurice
Kamto –, font face aux « sardi
nards », ceux dont l’engagement
politique se monnaye contre une
boîte de sardines – ce qui, par ex
tension, désigne les partisans du
chef de l’Etat et sa communauté.
Entre les deux groupes, la frac
ture est désormais ouverte et
tout porte à croire qu’une con
damnation de l’étatmajor du
MRC ne fera que l’aggraver.
cyril bensimon
IsraëlPalestine :
l’émissaire de Trump
démissionne
Le départ de Jason Greenblatt alimente les
doutes sur le projet de plan de paix américain
washington correspondant
L
e 28 août, Jason Greenblatt
avait publié sur son compte
Twitter, où il était très actif,
un message indiquant que le plan
de paix israélopalestinien dont il
était chargé ne serait pas présenté
avant les élections israéliennes du
17 septembre. Jeudi 5 septembre,
cet assistant de Donald Trump a
quitté ses fonctions de « représen
tant spécial pour les négociations
internationales », son titre officiel.
Le gendre du président, Jared
Kushner, est officiellement la tête
de pont de cette initiative améri
caine. Compte tenu de la multi
tude de dossiers que ce dernier a à
gérer du fait de la confiance que lui
accorde son beaupère, Jason
Greenblatt était rapidement de
venu la cheville ouvrière de ce
plan, de concert avec l’ambassa
deur des EtatsUnis en Israël, Da
vid Friedman.
M. Greenblatt est l’exviceprési
dent exécutif et responsable juri
dique de Donald Trump et de la
Trump Organization. Ses convic
tions proisraéliennes et sa proxi
mité avec le président avaient ex
pliqué sa promotion spectaculaire
à des fonctions où il succédait à
des diplomates chevronnés, tou
tes administrations confondues.
Il devrait être remplacé par un
homme encore moins expéri
menté, Avi Berkowitz, bras droit de
Jared Kushner, sorti de l’école de
droit de Harvard en 2016. Ce der
nier serait épaulé par un autre avo
cat entré au département d’Etat
en 2017 avec la nouvelle adminis
tration, Brian Hook, déjà chargé
d’un gros dossier puisqu’il est re
présentant spécial pour l’Iran.
« Aveu définitif d’échec »
L’annonce du départ inattendu de
Jason Greenblatt, qui devrait rester
encore quelques semaines en
fonction, a alimenté les doutes sur
la solidité de la proposition améri
caine de règlement du conflit is
raélopalestinien. En dépit de son
titre, le juriste n’a jamais organisé
la moindre table ronde rassem
blant les deux parties.
La décision de M. Trump de re
connaître unilatéralement Jérusa
lem comme capitale d’Israël, puis
la suppression du financement
américain de l’agence des Nations
unies chargée des réfugiés palesti
niens de 1948 et de 1967, ainsi que
les attaques contre leur statut, a
provoqué une crise sans précé
dent entre Washington et l’Auto
rité palestinienne. L’accord tacite
donné par les EtatsUnis à l’expan
sion des colonies israéliennes en
Cisjordanie occupée, en rupture
avec les précédentes administra
tions démocrates comme républi
caines, y a aussi contribué.
Dans ses entretiens, Jason
Greenblatt n’a cessé de défendre
ces choix, opposant le dogma
tisme présumé des autorités pa
lestiniennes au pragmatisme
d’une société civile avec laquelle il
a toujours assuré entretenir dis
crètement le contact, même si ce
dernier ne s’est jamais matérialisé.
Aux Nations unies, le 23 juillet, il
avait prononcé un discours fracas
sant visant à retirer toute légiti
mité aux résolutions de l’ONU vo
tées en leur temps par les Etats
Unis et qui constituent la base juri
dique du conflit depuis plus d’un
demisiècle. Il n’avait d’ailleurs pas
mentionné explicitement la solu
tion des deux Etats (la création de
la Palestine aux côtés d’Israël), qui
fait l’objet d’un « consensus inter
national » qualifié par lui de « pa
ravent pour l’inaction ».
Cette volonté de rupture n’a ce
pendant pas produit de résultats
probants jusqu’à présent. Elle s’est
traduite en juin par une confé
rence ambitieuse consacrée à
l’avenir économique de la région,
à Bahreïn, suivie cependant
d’aucune mesure concrète. Le
choix de ce royaume avait illustré
le souhait des EtatsUnis de faire
de la question palestinienne l’élé
ment d’un éventuel rapproche
ment entre les poids lourds arabes
du Golfe et Israël pour contrer
l’Iran. La nomination de Brian
Hook le confirmerait.
Indépendamment de la démis
sion de Jason Greenblatt, la pré
sentation de la « vision de la paix »
de l’administration Trump reste
tributaire du calendrier électoral
israélien et de l’issue des législati
ves. A la veille des précédentes, en
avril, M. Trump avait apporté un
soutien appuyé au premier minis
tre Benyamin Nétanyahou, en re
connaissant unilatéralement la
souveraineté israélienne sur le pla
teau syrien du Golan conquis mili
tairement en 1967, en violation
des résolutions des Nations unies.
« Je pense que c’est un aveu défini
tif d’échec, a déclaré Hanane
Achraoui, une haute responsable
de l’Organisation de libération de
la Palestine (OLP), peu de temps
après l’annonce de la démission
du conseiller. Je pense que les Pa
lestiniens dans leur ensemble vont
dire “bon débarras”. (...) M. Green
blatt n’a jamais manqué une occa
sion de dénigrer les Palestiniens. (...)
Il était totalement engagé non pas
en faveur de la paix, mais en faveur
de la justification de toutes les vio
lations israéliennes. »
Le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, a de son
côté remercié M. Greenblatt dans
un communiqué « pour son travail
dévoué en faveur de la sécurité et la
paix et pour n’avoir jamais hésité à
dire la vérité sur l’Etat d’Israël face à
ses détracteurs ».
gilles paris
La justice du
Cameroun est
devenue outil
de régulation
politique,
permettant
de couper
des ailes au
moment choisi
Les EtatsUnis annoncent être en pourparlers
avec les houthistes au Yémen
Avec l’enlisement du conflit, l’influence de l’Iran sur les rebelles n’a cessé d’augmenter
A
lors que les fronts se mul
tiplient dans le conflit au
Yémen et que les tensions
avec l’Iran se poursuivent, Wa
shington a annoncé, jeudi 5 sep
tembre, par la voix de l’assistant
du secrétaire d’Etat au Proche
Orient, David Schenker, être en
pourparlers avec les houthistes,
soutenus par Téhéran. Les Etats
Unis, comme la France et le
RoyaumeUni, soutiennent la coa
lition internationale, aujourd’hui
branlante, emmenée par l’Arabie
saoudite et les Emirats arabes unis
contre les rebelles qui contrôlent
la capitale, Sanaa, et de larges pans
du territoire yéménite.
« Nous avons (...) des pourparlers
dans la mesure du possible avec les
houthistes pour essayer de trouver
une solution négociée mutuelle
ment acceptable au conflit », a
ainsi déclaré M. Schenker, en vi
site en Arabie saoudite.
Le haut diplomate américain a
fait cette annonce précisément
après une intensification des
frappes menées par les rebelles
du nord contre des cibles dans le
royaume saoudien, frontalier de
leur territoire, ces dernières se
maines. Loin d’assurer la sécurité
de l’Arabie saoudite, l’interven
tion lancée par Riyad à leur en
contre début 2015 semble dans
une impasse, sur les plans aussi
bien militaire que politique.
Dans le sud du pays, les forces
gouvernementales, soutenues
par l’Arabie saoudite, et les sépa
ratistes sudistes, soutenus par les
Emirats arabes unis, s’affrontent
en effet depuis le mois d’août.
Alors qu’ils sont formellement
alliés, les intérêts de Riyad et
d’Abou Dhabi divergent donc de
plus en plus. Au nord, les frappes
saoudiennes, coûteuses en vie ci
viles et dénoncées – comme les
actions des autres belligérants –
par les Nations unies, ne permet
tent pas d’avancées significatives
contre les rebelles.
Parrain
Pour Mustapha Noman, ancien vi
ceministre yéménite des affaires
étrangères, la décision américaine
d’engager publiquement des
pourparlers avec les rebelles pour
rait contribuer à débloquer des né
gociations au point mort entre les
différentes parties en conflit.
« Si les EtatsUnis parlent aux
houthistes, ils le feront en coordi
nation étroite avec Riyad qui est,
jusqu’à présent, réticent à l’ouver
ture d’un nouveau dialogue avec
ses adversaires, estime l’ancien
diplomate, joint par Le Monde.
Un résultat positif des discussions
américaines pourrait ouvrir la
voie à de nouveaux pourparlers
avec les pays de la coalition, dont
l’Arabie saoudite. »
Pourtant, la récente annonce ne
devrait pas tant être comprise
dans le contexte chaotique du Yé
men que dans celui des tensions
entre les EtatsUnis et l’Iran.
« Washington a déjà parlé avec les
houthistes dans le passé, mais il est
intéressant de voir que les Etats
Unis mettent en avant de nou
veaux pourparlers en ce moment,
en pleine crise diplomatique sur le
nucléaire iranien et l’influence ré
gionale de Téhéran », estime Farea
AlMuslimi, président du Centre
d’études stratégiques yéménite
de Sanaa et chercheur associé au
thinktank Chatham House.
Avec l’enlisement du conflit,
l’influence de la République isla
mique sur les rebelles n’a cessé
de croître. Les houthistes conti
nuent de se rapprocher de leur
parrain iranien au moment où
les relais de la République islami
que sont au cœur du bras de fer
que celleci soutient avec les
EtatsUnis. Le 13 août, une délé
gation houthiste a rencontré le
guide suprême, Ali Khamenei, à
Téhéran, peu de temps avant d’y
ouvrir une ambassade.
« Sans la participation réelle et
officielle des Saoudiens, les pour
parlers entre Américains et hou
thistes ne vont pas changer grand
chose à la situation du Yémen,
juge Farea AlMuslimi. En revan
che, pour Washington, c’est une
opération de la dernière chance
pour éloigner les houthistes de l’or
bite iranienne avant qu’ils y soient
définitivement absorbés. »
allan kaval
S O U D A N
Le premier
gouvernement
post-Bachir dévoilé
Le premier ministre souda
nais, Abdallah Hamdok, a
présenté, jeudi 5 septembre,
son gouvernement, le pre
mier depuis la chute, en avril,
d’Omar AlBachir. « Nous en
tamons ce jour une ère nou
velle », a déclaré l’économiste
chevronné, en présentant les
dixhuit ministres, dont qua
tre femmes. Après des décen
nies de régime autoritaire,
c’est une étape majeure du
processus de transition – qui
doit durer trois ans et con
duire à des élections démo
cratiques – piloté par le
Conseil souverain, instance à
majorité civile, mais dirigée
par un militaire. L’accord, si
gné le 17 août, entre le conseil
militaire de transition et les
meneurs de la contestation
prévoit aussi la formation
d’un corps législatif de
300 membres. – (AFP.)
« M. Greenblatt
était en faveur
non pas
de la paix,
mais de toutes
les violations
israéliennes »
HANANE ACHRAOUI
Organisation de libération
de la Palestine
LE PROFIL
Maurice Kamto
Ancien ministre camerounais
délégué à la justice, avocat ins-
crit au barreau de Paris, Maurice
Kamto, 65 ans, a été candidat à
l’élection présidentielle d’octo-
bre 2018. Il est arrivé deuxième,
avec officiellement 14,23 % des
suffrages, mais il a vigoureuse-
ment contesté les résultats. Il a
été arrêté le 28 janvier ainsi que
plus de 150 militants de son
parti, le Mouvement pour
la renaissance du Cameroun.
Sur le terrain,
les intérêts
de l’Arabie saoudite
et des Emirats,
à la tête de la
coalition, divergent
de plus en plus