Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
7septembre 2019—MLemagazine du Monde

Les poLémiques sur Les réseaux sociaux sont
souvent si violentes qu’elles en deviennent dangereuses.
Elles disent l’hystérie de l’époque. Mais révèlent aussi
les secousses qui l’agitent.Il n’est jamais vain d’y prêter
attention.Ainsi,àlafindel’été,surTwitter et Instagram,
beaucoup se sont émus quand Jill Kortleve, une man-
nequin néerlandaise,aremercié le géant du textile Zara
de l’avoir engagée pour une campagne mettant en
avan tses«rondeurs».Mais cette brune adepte des
messages«body positive»–l’idée anglo-saxonne qui
inciteàaccepter son corps tel qu’il est–fait du 40-42,
soit la taille moyenne des Françaises!Zara et Jill
Kortleve ont donc été condamnées par la vox populi
numérique quiapointé une publicité mensongère en
forme d’insulte aux vraies rondes.
Sur les réseaux,les plus jeunes,notamment,font preuve
d’une grande vigilance sur les questions d’égalité, d’in-
clusivité, de racisme, d’homophobie ou d’appropriation
culturelle.Ils se chargent de remettreàniveau le secteur
de la mode quialongtemps piétiné, ignoré ou simple-
ment méconnu ces notions.C’est ce que raconteValentin
Pérez dans ce numéro Spécial mode deMLemagazine
du Mondeàtravers le phénomène des«watchdogs»de
la mode. Sur les réseaux sociaux, ces chiens de garde,
lanceurs d’alerte ou justiciers du style scannent les
images de défilés,les publicités ou les nouveaux produits
àlar echerche de ce qui leur semble être des dérapages.
Acteurs du milieu qui tiennentàrester anonymes ou
simples fans, ils s’appellent Diet Prada, Estée Laundry
ou Haute Le Mode et dénoncent ici un plagiat, là une
imag eraciste. Les plus grandes maisons en ont fait les
frais, victimes de bad buzz phénoménaux. Et beaucoup

ont embauché des personnes chargées de mettre les
marques«enconformité avec leurs valeurs».Onpeut
déplorer que ces manières de comité de salut public nui-
sent àlac réativité car elles génèrent de l’autocensure.
Serait-il possible aujourd’hui de voir émerger un esprit
aussilibre,sauvage,maisgénialqu’AlexanderMcQueen?
Serait-il admis de le voir lancer sur le podium ses créa-
tures masquées, entravées, malmenées parfois?
Ànotre sens,tout est une question de regard.La femme
est-elle objet ou actrice de ce qui est montré?Endécider
demande souvent quelque chose dont notre époque
manque cruellement:lasubtilité.Ainsi des images pro-
posées cette semaine par la directrice de la mode deM,
Suzanne Koller,etlaphotographe Brianna Capozzi.
Leurs femmes sont puissantes, selon une expression
devenue banale, fortes préfèrent-elles dire. Dans
cette série, les mannequins n’ont pas peur de porter
du cuir et des clous.Elles ne craignent ni de montrer leur
corps, ni d’écarter les cuisses dans une posture qui n’est
pas loin de cemanspreadingque l’on reproche
aux hommes.Le regard fier et le menton haut,elles sont
toutes en contrôle. Le pluriel est d’ailleurs au centre de
la démarche de Suzanne Koller:elle s’attacheàmontrer
des mannequins,donc des femmes, danstoute leur
diversité.Ainsi,ilyaici aussi bien la plantureuse Precious
Lee, une«vraie»mannequinplus size,Afro-Américaine
de 30 ans, originaire d’Atlanta, que la jeune Coréenne
Sohyun Jung–qui fait la couverture deM–beauté
androgyne toutàfait singulière. Elles sont deux visages
de la mode d’aujourd’hui. Mais aussi deux corps
qui disent que la mode change... Et pas seulement
d’une saisonàl’autre. Marie-Pierre LanneLongue

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agazine du Monde.

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