Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
0123
SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 france| 7

Rentrée sous


tension pour


La République


en marche


Les municipales seront au cœur


des débats de l’université d’été


du parti, ce week­end à Bordeaux


« Les municipales


sont une épreuve »


Pour le secrétaire d’Etat à la jeunesse, Gabriel
Attal, LRM devra évoluer après les élections

ENTRETIEN


S


ecrétaire d’Etat à la jeunesse,
Gabriel Attal estime que
LRM ne doit pas craindre les
dissidences lors des municipales.

Peut­on parler de virage social
en cette rentrée?
Nous portons une politique so­
ciale résolue depuis 2017. Ce que je
ressens, c’est un vrai virage envi­
ronnemental visant à intégrer les
inquiétudes et les attentes des
Français. D’où l’importance de la
participation citoyenne. Nous
portons l’urgence climatique au
niveau national et international.
La loi sur l’économie circulaire, la
lutte contre le gaspillage ou le plas­
tique, ou les annonces qui vont
être faites sur la bientraitance ani­
male, sont aussi de vraies interro­
gations de nos modes de produc­
tion et de consommation.

Que répondez­vous à ceux qui
vous accusent d’immobilisme?
J’entends certains dire que notre
changement de méthode serait
une tactique pour continuer à ré­
former à marche forcée. D’autres
disent qu’il est la preuve que nous
aurions renoncé à réformer! Nous
avons des deux côtés de l’échi­
quier politique des gens qui vou­
draient qu’on ait l’acte II honteux.
Or, nous ne cédons rien à l’ambi­
tion de notre projet et souhaitons
le porter avec les Français. Ceux
qui nous donnent des leçons
aujourd’hui sont ceux qui n’ont
pas fait les réformes nécessaires et
ne croyaient pas au grand débat.
Ils ne voient pas l’intérêt d’asso­
cier les Français aux réformes.

Les « gilets jaunes » ont­ils
tout changé?
Je le pense profondément. Avec
cette rentrée et dans les prochains
mois, les Français vont mesurer à
quel point il y a un avant et un
après grand débat dans la pratique
du pouvoir. On a conscience que
ce qui est imposé, qui vient d’en
haut, ne peut pas prospérer. La le­
çon des derniers mois, c’est que, si
on veut aller loin, il faut faire avec
les citoyens.

Un courant de gauche doit­il
se structurer dans la majorité?
Je viens de la gauche et du PS, et
je l’assume. Mais je suis très inter­
rogatif quant à l’idée qu’il nous
faudrait organiser la division de ce
que nous avons su rassembler.
Que des élus, des personnalités,
des militants souhaitent s’organi­
ser autour d’un cercle de réflexion,

cela ne me choque pas. L’idée d’En
marche! n’est pas de proposer un
modèle unique pour tous. Mais je
ne ferai partie d’aucun courant.

Faut­il interdire la création
de courants au sein de LRM?
J’ai vécu les courants au sein du
PS, ce n’est pas la logique de notre
mouvement aujourd’hui. En re­
vanche se posera à un moment
donné la question de l’aboutisse­
ment d’En marche! comme for­
mation politique. LRM a été créée,
dans ses statuts, dans son organi­
sation, dans son fonctionnement,
dans l’optique de gagner la prési­
dentielle. Le travail porté depuis
deux ans par Christophe Castaner,
Philippe Grangeon, Stanislas Gue­
rini, et qui va se poursuivre, est
d’en faire une formation structu­
rante dans la vie politique fran­
çaise et le débat des idées.

Pour préparer l’après­Macron?
On ne crée pas une formation
politique aboutie en deux ans.
L’enjeu est d’avancer étape par
étape. Il va y avoir les municipales
pour lesquelles nous visons
10 000 élus LRM. Cela interroge
leur place dans le mouvement,
leur rôle, ce qu’ils doivent porter. Il
y aura une nouvelle donne. Les
nouveaux statuts que nous discu­
terons ce week­end à Bordeaux
sont une étape importante.

Le cas Villani ne va­t­il pas
susciter d’autres dissidences?
C’est un risque, qu’il faut assu­
mer. Si notre formation était par­
faitement aboutie, avec vingt ans
d’expérience, et qu’on s’engageait
dans un scrutin avec des élus sor­
tants et une structuration locale
déjà organisée, la réponse serait
peut­être différente. Mais nous
n’avons pas de maires ou de con­
seillers municipaux déjà élus avec
l’étiquette LRM. Nous abordons
ces municipales avec une forme de
page blanche qu’il faut assumer.

Ces tensions menacent­elles
la majorité?
Pour notre jeune parti, ce scrutin
est une épreuve nouvelle dans le
dépassement politique, car on voit
que le soutien à des candidats fait
débat à la fois localement et natio­
nalement. Si cela peut frotter avec
nos alliés et nos partenaires, cela
ne nous empêche pas de réformer
la France ensemble. La conscience
des enjeux historiques que nous
vivons nous invite collectivement
à un esprit de responsabilité.
propos recueillis par
al. le. et cédric pietralunga

A Bordeaux, la majorité continue de se diviser


La capitale girondine est le symbole des désaccords entre LRM et le MoDem aux municipales


Q


ue sont­ils allés faire
dans cette galère? En or­
ganisant leur université
d’été, alias « campus des
territoires », à Bordeaux, samedi 7
et dimanche 8 septembre, les diri­
geants de La République en mar­
che (LRM) ont braqué les projec­
teurs sur une ville où la majorité
part divisée, à l’aube des élections
municipales de mars 2020.
Le parti présidentiel a en effet in­
vesti un candidat controversé
dans la cité girondine en la per­
sonne de Thomas Cazenave, délé­
gué interministériel à la transfor­
mation publique. D’aucuns
auraient préféré que le mouve­
ment soutienne plutôt le maire
sortant, Nicolas Florian (Les Répu­
blicains), un élu « macroncompati­
ble » apprécié aussi bien de Fran­
çois Bayrou, au MoDem, que du
premier ministre, Edouard Phi­
lippe. « On ne peut pas dire

qu’Edouard était ravi de l’investi­
ture de Cazenave, il aurait préféré
qu’il s’entende avec Nicolas Flo­
rian », convient ainsi un proche de
M. Philippe.

« Liens nombreux »
M. Florian est en effet le succes­
seur d’Alain Juppé, le mentor du
chef du gouvernement, qui a
quitté sa ville, en février, pour par­
tir siéger au Conseil constitution­
nel. La filiation politique partagée
par les deux hommes est donc loin
d’être anodine. Nicolas Florian
pourrait d’ailleurs s’entretenir du­
rant le week­end avec M. Philippe.
« De façon informelle, autour d’un
café ou d’un apéro, de façon ami­
cale », glisse­t­il au Monde, ajou­
tant, prudent, que « rien n’est
moins sûr car [leurs] agendas sont
compliqués ce jour­là ».
Rien n’est prévu « à ce stade », ju­
re­t­on du côté de l’entourage du

premier ministre. Mais, comme le
reconnaît un proche du chef du
gouvernement, « c’est compliqué
d’aller à Bordeaux et de ne pas voir
Florian », de par leurs positions
institutionnelles respectives.
François Bayrou, de son côté, l’as­
sure tout de go : il ira rencontrer
Nicolas Florian à l’occasion de ce
week­end bordelais. Rien de plus
normal, selon lui, dans la mesure
où le premier adjoint de la ville, Fa­
bien Robert, est un membre du
MoDem. « Tout le monde sait que je
soutiens Nicolas Florian et Fabien
Robert, assume auprès du Monde
le président du parti centriste.
Quand le maire de Pau se rend à
Bordeaux, il rencontre le maire de
Bordeaux, et inversement. Nous
sommes les deux principales villes
de l’ancienne Aquitaine, nous
avons des liens nombreux. »
Alain Juppé lui­même, enfin, de­
vrait aussi être présent dans la ca­

pitale girondine durant une partie
du week­end. Mais on ne sait, pour
l’heure, s’il a prévu de rencontrer
Edouard Philippe, Nicolas Florian,
voire Thomas Cazenave, le candi­
dat officiel des « marcheurs ». Se­
lon un de ses proches, l’ancien pre­
mier ministre continue en tout cas
à regarder de près ce qu’il se passe
dans la ville qu’il a dirigée quasi­
ment sans interruption de 1995 à


  1. « Il ne laissera pas passer la
    campagne sans exprimer un point
    de vue sur sa ville », assure un de
    ses amis, qui ne précise pas quel
    candidat aura sa préférence.
    De leur côté, François Bayrou et
    Edouard Philippe prononceront
    chacun un discours, dimanche, en
    clôture du « campus des territoi­
    res » de LRM ; leurs propos seront
    scrutés de près. Encore six mois de
    campagne pour la majorité...
    olivier faye
    et claire mayer (à bordeaux)


C’


est le paradoxe de
cette rentrée en Ma­
cronie : alors que le
chef de l’Etat pour­
suit sa remontée dans les sonda­
ges, en tirant essentiellement pro­
fit du G7 à Biarritz, fin août, consi­
déré comme un « succès diploma­
tique », sa formation, elle, voit les
nuages s’accumuler avant sa pre­
mière université d’été, baptisée « le
campus des territoires », qui doit
se tenir samedi 7 et dimanche
8 septembre, à Bordeaux. « La sé­
quence est compliquée », reconnaît
un dirigeant de La République en
marche (LRM), anticipant un ren­
dez­vous « animé ».
La faute, surtout, à la préparation
des élections municipales, qui sus­
cite de nombreuses tensions au
sein de la majorité. Le cas le plus
épineux reste celui de Paris. La
candidature dissidente de Cédric
Villani face au candidat « officiel »,
Benjamin Griveaux, sème la divi­
sion en interne, en poussant les
uns et les autres à choisir leur
camp. Mais le « pataquès pari­
sien », dixit un élu LRM, n’est pas le
seul sujet susceptible d’instaurer
une ambiance électrique lors de ce
grand rassemblement, qui doit
réunir près de 3 000 personnes,
dont la plupart des membres du
gouvernement, des parlementai­
res, et des cadres du parti.
La crainte de voir des dissidences
se multiplier dans d’autres villes,
en suivant la « jurisprudence Vil­
lani », est un autre motif d’inquié­
tude. Car la grogne monte ailleurs
contre les choix de la commission
d’investiture nationale (CNI). A
Lille, la députée du Nord Valérie Pe­
tit, qui n’a pas obtenu l’investiture,
a ainsi annoncé son refus de sou­
tenir la candidate désignée. Des
risques de concurrence interne
existent également à Montpellier,
Besançon, Metz ou Annecy... Dans
d’autres villes, comme Tours, An­
gers, Niort, Orléans, ou Dijon, la
fronde vient de la base : les mili­
tants s’opposent à la tentation du
parti de soutenir des maires sor­
tants macron­compatible. Un col­
lectif des « marcheurs libres », qui

tente de fédérer les adhérents mé­
contents « des décisions verticales
dénuées de tout sens » du siège, a
même vu le jour le 29 août, à Cour­
bevoie (Hauts­de­Seine).
La stratégie au « cas par cas » de la
CNI, qui consiste à investir des
purs macronistes ou à s’allier avec
un sortant bien implanté, suscite
parfois de l’incompréhension. Et
de la frustration. « Les municipales,
c’est la première grosse zone de tur­
bulences que l’on doit affronter car
il y a un problème de cohérence
dans nos choix, analyse un poids
lourd de la majorité. Un coup, on
soutient un candidat de gauche,
une autre fois un de droite, ou un
pur En marche !... A force de faire de
la dentelle, cela devient illisible et
incompréhensible. »

Lenteur du processus
« En voulant respecter les équili­
bres, on arrive à des aberrations.
Pour le commun des “marcheurs”,
cela devient compliqué de s’y re­
trouver. Pire, cela fait tambouille »,
regrette Philippe Peruchon, réfé­
rent LRM d’Indre­et­Loire. Face
aux critiques contre la CNI, le pa­
tron du parti, Stanislas Guerini,
défend « une instance démocrati­
que et légitime ». « Le fait de centra­
liser le choix de nos têtes de liste a
un mérite : veiller à la cohérence
d’ensemble, notamment pour res­
pecter la parité. »
La lenteur du processus est éga­
lement pointée du doigt. A six
mois d’une échéance cruciale
pour cette jeune formation, la CNI
n’a investi ou soutenu que 137 tê­
tes de liste. La situation se révèle
alarmante dans certaines grandes
villes. Car il reste à trancher plu­
sieurs dossiers sensibles : Lyon, où
les macronistes Gérard Collomb
et David Kimelfeld n’ont pas en­
core trouvé un accord ; Marseille,
où LRM n’a pas acté sa stratégie ;
ou encore Toulouse et Nice, où le
parti tente de s’allier avec le maire
sortant Les Républicains (LR).
Autre point noir : la relation
avec les partenaires. En particu­
lier avec le MoDem de François
Bayrou, qui se montre irrité par

plusieurs sujets en cette rentrée.
Au point de laisser planer le doute
sur sa venue au campus. Invité de
longue date, le principal allié de
M. Macron n’avait toujours pas
confirmé publiquement sa pré­
sence, 48 heures avant... Outre le
récent choix de l’Elysée de propo­
ser Sylvie Goulard comme com­
missaire européenne, le maire de
Pau regrette certaines décisions
de LRM pour les municipales.
Comme l’investiture d’un macro­
niste à Clermont­Ferrand et Aix­
en­Provence, alors que le parti
centriste espérait pouvoir y im­
poser son candidat. Symbole de
ces « désaccords stratégiques » : à
Bordeaux, où se déroule le raout
de ce week­end, et où LRM a in­
vesti Thomas Cazenave, le Béar­
nais, lui, soutient le maire LR sor­
tant, Nicolas Florian.
D’après ses proches, M. Bayrou
sera pourtant bien présent di­
manche à Bordeaux, où il a prévu
de s’exprimer. « On redoute un peu
qu’il balance une ou deux pi­
ques... », s’inquiète un élu « mar­
cheur ». Le Béarnais doit parler
avant le discours de clôture du
premier ministre, Edouard Phi­
lippe. Lequel, pour ne rien arran­

ger, se montre également en dé­
saccord avec des investitures du
parti présidentiel : lui aussi aurait
préféré que LRM soutienne M. Flo­
rian, et ne digère pas qu’à Vannes,
le maire sortant de droite, David
Robo, pro­Macron, ait un candidat
LRM face à lui... « Quand un maire
fait un pas vers la majorité, on n’est
pas obligés d’investir un candidat
face à lui », avait regretté M. Phi­
lippe, le 2 juillet, lors du petit dé­
jeuner de la majorité à Matignon.
Un point de vue partagé par Agir
et les radicaux, autres partis alliés
de LRM, qui s’estiment parfois lé­
sés dans le choix des candidats
aux municipales. « Les responsa­
bles d’En marche! doivent com­
prendre qu’ils ont face à eux des
partenaires et pas des concur­
rents », souligne Alain Chrétien,
qui préside la CNI d’Agir.
Ultime motif de désaccord à
LRM : l’ampleur de la réforme des
statuts du mouvement, censée
renforcer la démocratie interne,
qui doit faire l’objet d’un débat
lors du campus. Alors que le dé­
puté Aurélien Taché plaide pour
l’instauration de « scrutins de liste
pour composer les comités politi­
ques », la direction du parti s’y op­
pose, afin de ne pas créer « des
courants », comme c’était le cas au
Parti socialiste.
Autant de sujets qui risquent de
pimenter la rentrée de la majorité.
« On reste une jeune formation po­
litique et c’est la première fois que
l’on prépare des municipales. Il est
donc normal qu’il y ait des difficul­
tés à régler, tempère le député
LRM, Guillaume Chiche. On est en­
core en phase de construction et de
structuration. Cela prend du
temps. On avance pas à pas. »
alexandre lemarié

Le premier
ministre,
Edouard
Philippe
(à gauche),
et le président
du MoDem,
François
Bayrou,
en mars,
à Aubervilliers
(Seine­Saint­
Denis).
STÉPHANE
DE SAKUTIN/AFP

« Pour le commun
des “marcheurs”,
cela devient
compliqué
de s’y retrouver.
Pire, cela fait
tambouille »
PHILIPPE PERUCHON
référent LRM d’Indre-et-Loire
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