Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1

MLemagazine du Monde —7septembre 2019


Quiadit Que la reine d’angleterre n’avait aucun
pouvoir?Qu’elle n’était qu’un merveilleux
bibelot posé sur la luxueuse étagère de
Buckingham Palace?Qu’elle n’avait d’autres
problèmesdans la vie que d’accorder ses cha-
peauxàses tailleurs, d’inaugurer des rangées
de chrysanthèmes, de débiter chaque année
sonChristmas message,de retenir le nom de
sesWelsh Corgis, de gourmander ses deux gar-
çons qui lui ont fait bien des misères:Charles,
l’aîné, prince de Galles, mari volage de la dé-
funte princesse Diana, désormais casé et assagi


aux côtés de Camilla Parker Bowles, et An-
drew,duc d’York, son cadet, qui ne devrait pas
tenir par la taille des jeunes filles mineures
–surtout quand elles lui ont été présentées par
Jeffrey Eptsein. Bien sûr,lorsque, le 28 août,
Boris Johnson, premier ministre dont on pen-
sait naïvement qu’il était un peu son vassal, est
venu lui demander de suspendre le Parlement
du pays, réputé la plus ancienne démocratie
du monde, elle n’a pas pipé mot. Pas même un
«indeed?»,légèrement étonné.L’ imprévi-
sible blondinet de Downing Streetaquitté le

bureau tapissé de tentures vert pâle de la
Queen Elizabeth avec son blanc-seing. Elle ne
pouvait, paraît-il, pas faire autrement, comme
l’explique l’universitaire Thibault Guilluy
dans un entretien publié sur le site duFigaro:
«Sur un plan strictement juridique, la reine
n’est pas tenue de suivre les recommandations
de l’exécutif.(...)En revanche,[elle]n’a pas
de légitimité démocratique. »Donc elle se tait,
comme elle l’avait fait lorsqueTo ny Blair avait
décidé de l’intervention de l’armée britan-
nique en Irak. Le silence, c’est sa nature... Et
alors, direz-vous, son pouvoir,oùest-il?
Pour le découvrir dans toute sa subtilité, ou-
vrons l’hebdomadaireLe Pointdu 29 août
qui, dans un long article de Marc Roche (qui
arencontré trois fois la reine) consacréàla
duchesse de Sussex, Meghan Markle, épouse
de Harry,lepetit-fils de la reine, lui-même
frère deWilliam, duc de Cambridge, lequel
estl’époux de Kate Middleton (ça suit der-
rière ?), nous révèle que, dans son bureau, la
Queenaplacé la photo de ses petits-enfants
et de leurs conjointes dans l’ordre inverse de
celuiauquel on pouvait s’attendre.
Ainsi, le cadre de Meghan et Harry précède
celui de Kate etWilliam, quand bien même le
prince de Galles serait promisàplus ou moins
brève échéanceàunavenir de roi d’Angleterre
(Harry n’est que sixième dans l’ordre de suc-
cession). Par ce geste incroyablement disruptif
la reine Elizabeth démontre, selon les buckin-
gamologues ou les windsoristes les plus fins et
les mieux avertis, son immense capacité à
comprendre etàanticiper ce que doit être une
monarchie moderneàl’aube du troisième mil-
lénaire.À93ans, quand onasurvécu au Blitz,
àl’émergence du British blues boom,àlavi-
site des Beatles dans son palais,àl’apparition
des minijupes de Mary Quant dans les rues de
Soho,àlacréation des Sex Pistols etàlamort
de Lady Di sans bouger un cil, ce n’est pas ce
malheureux Brexit qui va bouleverser votre
agenda de souveraine. EtLe Pointde s’inter-
roger :«SaMajesté a-t-elle voulu signifier que
la monarchie entend profiter du glamour
qu’apporte Meghanàune cour compassée?»
Jouer avec des photos sur un guéridon dans un
bureau tapissé de tentures vert pâle?Levoilà,
le vrai pouvoird’une reine.

elle estcomme ça...

5—La reineElizabeth II.


parphilippe ridet–illustrationdamien Cuypers

À93ans, quand on a


survécu au Blitz et


àlacréation des Sex Pistols,


ce n’est pas ce malheureux


Brexit qui va bouleverser


votre agenda de souveraine.


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