Les Echos - 09.09.2019

(Elle) #1

10 // IDEES & DEBATS Lundi 9 septembre 2019 Les Echos


opinions


devenu obsolète. Il est b on de leur rappe-
ler, discrètement, mais fermement,
qu’ils ont, eux aussi, des rues de Moscou
à celles de Hong Kong, de petits problè-
mes avec leur système. Dans nos rela-
tions avec la Russie et la Chine, ignorer
totalement la société civile ne serait pas
seulement une faute morale, mais une
erreur stratégique, une forme d’autopa-
ralysie volontaire qui affaiblirait nos car-
tes et renforcerait celles de nos partenai-
res/adversaires. « Vous faites tout pour
nous affaiblir, peut-être devriez-vous
davantage regarder ce qui se passe chez
vous avant de disperser vos énergies et vos
ressources dans des attaques directes ou
indirectes contre nos systèmes. »
Il existe enfin, et c’est peut-être là le
plus important, le dossier américain.
Traiter de manière privilégiée avec son
président est une chose. La nature a hor-
reur du vide et la France remplit ce vide
en Europe. Mais cette volonté de rappro-
chement diplomatique – qui traduit
pour partie l’empathie personnelle
étrange qui peut exister entre les prési-
dents français et américain – ne saurait
conduire à des malentendus. Donald
Trump n’est pas le candidat de la France
aux élections présidentielles américai-
nes de 2020. Et le rôle d’Emmanuel
Macron ne peut être celui de « légiti-
mer » le candidat Trump auprès d’une
partie de l’électorat américain en le fai-
sant paraître plus raisonnable qu’il ne
l’est en réalité.
Ne pas oublier la Chine ou la Russie
éternelle, en allant au-delà des diri-
geants qui les incarnent à un moment
donné, est une tradition gaulliste. Mais il
ne faut pas aller trop loin sur cette voie.
Dans le cas des Etats-Unis, la nature
imprévisible du leader de la première
puissance mondiale est proprement
exceptionnelle. On peut tactiquement le
flatter, effectuer avec lui des rapproche-
ments aussi surprenants qu’éphémères.
Donald Trump n’e st pas, et ne sera
jamais, un partenaire fiable et stable. La
défense de nos intérêts et de nos princi-
pes passe par un mélange de fermeté et
de distance à son égard.
Enfin, il est nécessaire de comprendre
qu’il n’y a pas forcément d’opposition
entre les intérêts et les principes. En tra-
hissant ses valeurs, un pays trahit sou-
vent ses intérêts.

Dominique Moïsi est conseiller
spécial de l’Institut Montaigne.

junior de la Chine dans le monde n’est
déjà pas en soi une chose aisée. Pousser
Moscou à abandonner un mode de pen-
sée hérité de l’URSS, qui se traduisait par
la formule, toujours d’actualité à sa
manière : « ce qui est à moi est à moi, ce
qui est à vous est négociable », est sans
doute plus difficile encore. C’est lors-
qu’un animal est affaibli, et se sent vulné-
rable, qu’il est souvent le plus dangereux.
Ne pas se faire d’illusions sur la Russie,
sur la nature de son système et sur la
force de ses « mauvaises habitudes » est
une chose. Céder à la tentation du résul-
tat, à la volonté irrépressible d’annoncer
des percées diplomatiques spectaculai-
res, en est une autre. Il existe une contra-
diction majeure entre le temps long de la
diplomatie et le temps court, sinon
l’immédiateté, de la culture médiatique
contemporaine. La France a-t-elle fait

vraiment progresser le dossier ukrai-
nien ou a-t-elle sérieusement contribué
à la désescalade de la crise iranienne?
Seul l’avenir le dira. Et un peu d’audace et
d’imagination est préférable à un
mélange de résignation et de passivité.
Au-delà du dossier russe, il y a le dos-
sier c hinois. Il existe des secteurs de l’éco-
nomie française qui ont intérêt à une
levée des sanctions contre la Rus-
sie. Mais personne ne peut souhaiter
une escalade de la guerre commerciale
avec la Chine, qui ferait de nombreuses
victimes dans tous les camps. Peut-on
pour autant – Angela Merkel constitue
une heureuse exception – détourner les
yeux lorsque Pékin, à travers le gouver-
nement de Hong Kong, remet en cause
délibérément le statu quo qui existait
dans la péninsule, sur la base des
accords signés en 1984, entre la Chine et
la Grande-Bretagne? Ne pas inutile-
ment provoquer l’ire des Chinois est une
chose, considérer que « tout cela n e nous
concerne pas » en est une autre. Pékin,
tout c omme Moscou, s emble penser q ue
le modèle de la démocratie libérale est

Ne pas oublier la Chine
ou la Russie éternelle,
en allant au-delà
des dirigeants qui les
incarnent à un moment
donné, est une tradition
gaulliste.

Emmanuel Macron : le grand


écart entre intérêts et valeurs


Russie, Chine, Etats-Unis : la France veut jouer partout la puissance
de l’équilibre. Mais elle doit trouver un compromis pour ne pas sacrifier
ses principes sur l’autel de ses intérêts.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • « Les processus de paix peuvent être
    violents », constate « The Economist ».
    Le 2 septembre alors que l’envoyé spé-
    cial américain pour la « réconcilia-
    tion », Zalmay Khalilzad, détaillait un
    projet d’accord après neuf rounds de
    négociations avec les talibans, un
    camion piégé explosait à Kaboul tuant
    au moins 30 personnes. Il s’agissait de la
    troisième attaque en trois jours revendi-
    quée, encore, par les talibans. Quelques
    semaines auparavant, l’Etat islamique
    commettait un attentat suicide qui tuait
    80 personnes, vingt-quatre heures
    après des attaques des Talibans contre
    deux villes du Nord.
    Le constat de « The Economist » est
    amer : « Pour de nombreux Afghans, ces
    attaques risquent bien d’empêcher toute
    réconciliation et sont des signes de mau-
    vais augure pour l’avenir. » Le président
    Donald Trump a décidé samedi de met-
    tre un terme aux négociations de paix
    devant la reprise de la violence. Dix-huit
    ans après l’invasion par l’armée améri-
    caine de l’A fghanistan, qui abritait Ben
    Laden, la paix est à un horizon lointain.
    Le président Donald Trump comptait
    retirer, cinq mois après la signature d’un
    accord de paix, encore 5.400 militaires
    sur les 14.000 restants.
    D’après « The Economist », les Amé-
    ricains n’ont cependant pas clarifié ce
    qu’ils attendaient en retour d’un accord
    avec les talibans. Zalmay Khalilzad avait
    évoqué précédemment qu’il devait
    comprendre trois éléments : un engage-
    ment des talibans à lutter contre le « ter-
    rorisme djihadiste » comme Al Qaida,
    ouvrir un dialogue « inter-Afghans »,
    idéalement avec le gouvernement de
    Kaboul, et respecter un cessez-le-feu. Le
    29 août, le président Trump avait
    déclaré : « Nous ne faisons pas la guerre
    là-bas. Nous sommes juste des policiers. »
    En tout cas cette guerre est la plus lon-
    gue menée par les Etats-Unis, et la paix
    n’est pas pour demain.—J. H.-R.


La longue défaite
en Afghanistan

LE MEILLEUR DU


CERCLE DES ÉCHOS


Un siège pour les data


dans les comex


Depuis son utilisation massive et l’entrée
en vigueur du règlement général sur la
protection des données personnelles
(RGPD), les data ont pris une place très
importante dans les entreprises. Jacques
Padioleau, vice-président des ventes dans
une société du numérique, plaide pour que
les entreprises accueillent les responsables
data au sein des comités exécutifs.


NOUVEL ENJEU « Aujourd’hui, la donnée
est devenue un actif crucial pour toutes les
entreprises. Il faut la maîtriser et la qualifier
pour permettre à l’entreprise de rester
compétitive, voire de devenir une
championne du numérique dans son secteur.
Il faut également veiller à ce que cette base de
données reste traçable et cartographiable
pour répondre aux exigences de traitement
découlant du RGPD. »


NOUVEAU BINÔME « Le DPO (délégué à
la protection des données, en français) et
le CDO (directeur des données) doivent donc
devenir deux maillons essentiels dans
la stratégie “d onnées” des organisations
et travailler de manière complémentaire.
En outre, le DPO doit disposer d’une certaine
autonomie vis-à-vis des décisionnaires.
Autonomie cruciale pour mettre l’entreprise
en conformité et sensibiliser l’ensemble
de l’organisation à s’approprier ces
nouveaux réflexes, mais toujours en
concertation avec le CDO. »


NOUVEAU RÔLE « L’intelligence artificielle,
la 5G ou encore le “q uantum computing”
viennent rebattre les cartes de la gestion des
données. Pouvoir s’appuyer sur des référents
à même d’identifier, de comprendre,
d’éduquer et de tirer parti de celles-ci sera
indispensable pour développer de nouveaux
modèles économiques. Cela requiert pour
le DPO et le CDO d’avoir un rôle
décisionnaire, un lien direct avec la direction
générale, et une vision complète de la
stratégie data de l’entreprise et de la
gouvernance des données. »


a
A lire en intégralité sur Le Cercle :
lesechos.fr/idees-debats/cercle


A Biarritz, fin août, Emmanuel Macron est parvenu à redonner au G7 un certain dynamisme.

dpa

Picture-Alliance/AFP

I


l y a deux semaines se tenait à Biar-
ritz le sommet du G7. Avec le court
recul du temps, est-il possible d’en
tirer un premier bilan qui soit plus dis-
tancié? Sur u n plan global, le sommet de
Biarritz se caractérise p ar un double p ro-
cessus de légitimation : de la formule du
G7 dans le monde, d’Emmanuel Macron
en France. En apportant la preuve à ses
détracteurs que le G7 pouvait être utile
en dépit de ses limitations, le président
français a vu sa cote de popularité
remonter de manière significative dans
l’opinion.
Aujourd’hui, du fait de la rencontre
entre la personne de son président et du
vide qui existe autour d’elle en Europe, la
France a retrouvé – pour partie au moins


  • la place qui fut un temps la sienne sur
    l’échiquier européen et mondial.
    L’expression « la France est de retour »
    n’a jamais été plus juste. Mais avec
    l’influence r etrouvée vient l a responsabi-
    lité. Ce que dit, ce que fait la France va
    bien au-delà d’elle-même. Et la manière
    dont « le pays des droits de l’homme »
    aborde la tension qui peut exister entre
    les intérêts et les principes n’est pas neu-
    tre. Il ne saurait exister de contradictions
    trop criantes entre la défense des
    « valeurs des Lumières » sur le plan
    national et européen, et des choix diplo-
    matiques qui ne traduiraient que de froi-
    des considérations de géopolitique sur le
    plan international. La recherche d’une
    voie médiane, d’un juste compromis
    entre intérêts et valeurs s’applique tout
    particulièrement à la gestion de nos rela-
    tions avec Moscou, Pékin e t Washington.
    Commençons par la Russie. Peut-on
    raisonnablement continuer à l’isoler,
    alors même qu’elle est incontournable
    sur de nombreux dossiers, de l’Ukraine à
    la Syrie? Mais peut-on aussi, en se rap-
    prochant d’elle – comme le souhaite le
    président Macron – faire comme si elle
    ne cherchait pas de manière systémati-
    que à intervenir dans nos processus
    démocratiques? Convaincre la Russie
    que son avenir est en Europe, qu’elle ne
    saurait se satisfaire d’être le partenaire


LE REGARD
SUR LE MONDE
de Dominique
Moïsi

LE LIVRE
DU JOUR

Les trente glorieux


LE PROPOS En trente courts récits
et autant de personnages clefs,
célèbres ou anonymes, l’auteur fait
revivre avec autant de passion que
de rigueur historique le tourbillon
d’une époque qui a vu naître ou se
répandre en France la gastronomie,
le chemin de fer, les écoles de
commerce, les grands magasins,
le téléphone, les bains de mer...
Celui aussi du premier krach
boursier, des méfaits du chômage,
des grèves...

L’ INTÉRÊT Louis Hachette,
le baron Haussmann, la comtesse
de Ségur, Louis Renault, Gustave
Eiffel ou Louise Michel... Toutes
ces personnalités sont entrées
au panthéon de notre mémoire
collective. Mais quid d’Antoine
Beauvilliers qui écrit « L’Art du
cuisinier », d’Alice Guy qui réalise
le premier court-métrage de fiction
de l’histoire (51 secondes, 23 mètres
de pellicules), ou de Paul Lehideux,
major de la première promo
de l’ESCP? C’est tout le talent de
Marie-Paule Virard, férue d’histoire
économique et conquise par la
puissance créatrice du XIXe siècle,
que de donner corps et âme à tous
ces acteurs et à tous ces événements

qui vont engendrer le monde dit
« moderne ». Un voyage au long
cours dans une société en pleine
mutation et en perpétuelle remise
en cause tiraillée entre « modernité
et mélancolie », source ambivalente
de rêves et de désillusions.

L’AUTEUR Journaliste
économique, ancienne rédactrice
en chef du magazine « Enjeux-Les
Echos », Marie-Paule Virard a
cosigné de nombreux ouvrages
en tandem avec l’économiste
Patrick Artus. —Claude Vincent

Les Inventeurs du monde
moderne
par Marie-Paule Virard. Editions
Vendémiaire, 2019, 23 euros.
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