Les Echos - 09.09.2019

(Elle) #1

Elsa Freyssenet
@ElsaFreyssenet


L


a scénographie du G7 de Biarritz,
Emmanuel Macron y a veillé jusque
dans les moindres détails, tels la
lumière et le cadrage de la photo officielle du
club très privé des dirigeants de la planète.
C’est une habitude chez ce président qui,
selon un ancien collaborateur, « aime mettre
en scène et se mettre en scène ». La nouveauté
a résidé dans l’attention portée aux journa-
listes – autrefois tenus à l’écart – et le soin mis
dans l’explication aux citoyens. Les mots
compliqués o nt été bannis au profit
d’expressions volontairement humbles et
inclusives – « en votre nom », « rendre
compte », « tous ensemble ». L’enjeu était de
taille : montrer que la « nouvelle méthode »
de gouvernance, promise par Emmanuel
Macron après le mouvement des « gilets jau-
nes », est en marche. Dans la communica-
tion présidentielle avant de l’être dans les
politiques publiques.
Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis
Kohler, résume le changement en ces ter-
mes : « Faire venir les Français dans la cuisine
pour voir comment on prépare les plats. » Les
professionnels de la communication
approuvent en connaisseur : « Avoir réussi à
mettre dans la tête des gens qu’il y a un acte II
du quinquennat, en changeant la méthode
mais pas le fond de la politique, est déjà une
réussite en termes de communication, » note
Clément Leonarduzzi, président de Publicis
Consultants. Le fond, la méthode et la com-
munication... Le triptyque de la politique. Si
difficile à aligner pour des exécutifs percutés
par l’actualité et si ardu à tenir sur la lon-
gueur. « On revient à l’esprit de la campagne
présidentielle, on renoue avec le fil de notre
offre politique. Seul le temps montrera notre
capacité collective à tenir nos promesses »,
assure le conseiller spécial du président Phi-
lippe Grangeon. Jupiter peut-il descendre
dans l’agora et y rester? Comme il est bien
trop tôt pour juger du sort qui sera réservé
aux conventions et consultations citoyennes
annoncées sur le climat et sur les retraites,
reste la communication. C ela n’a r ien d’anec-
dotique chez un président convaincu, dixit
un proche, que « 50 % de l’action, c’est de la
faire comprendre ».


Verticalité du pouvoir
Gouverner autrement, Emmanuel Macron
l’avait déjà promis pendant sa campagne
présidentielle : il s’agissait non seulement de
dépasser le clivage droite-gauche, mais
aussi – on l’a un peu oublié – de « redonner
une voix à ceux qui n’en ont pas », de faire de
leur avis « le socle du plan d’action pour trans-
former le pays ». C’était la « grande marche »
de 2016 et Ismaël Emelien, un trentenaire
passé par Havas, fidèle d’entre les fidèles,
était à la manœuvre. L’heure était à la partici-
pation et à l’horizontalité. Alors forcément,
une partie des Français n’avaient pas ima-
giné élire Jupiter.
Le candidat Macron avait pourtant des-
siné dans plusieurs interviews la verticalité
du pouvoir, tant François Hollande était son
contre-exemple. Le président devait incar-
ner, décider et « délivrer », afin de combattre
l’idée d’une impuissance des politiques.
« Jupiter, ce n’est pas une erreur, c’était néces-
saire. Il fallait délivrer pour ramener les Fran-
çais à la politique et le président de la Républi-
que est quelqu’un d’extrêmement jeune qui
suscitait une vraie interrogation sur sa capa-
cité à embrasser le rôle. Cette question, il fallait
s’en débarrasser immédiatement », explique
aujourd’hui le producteur Jean-Marc
Dumontet, qui a aidé le candidat à s’expri-
mer sur une scène. Ils ne sont pas nombreux
à assumer encore ce concept dans l’entou-
rage du p résident. C ar beaucoup de Français
n’y ont vu qu’arrogance et déconnexion. La


ne sais pas s’il s’agit d’esprit de clan ou de seuil
d’incompétence, mais ils ne veulent pas du
regard des autres », s’emporte une con-
seillère. Ils ont, certes, contribué à la bunké-
risation du chef de l’Etat mais ils ne sont pas
responsables de tout. Car il est aussi arrivé
qu’Emmanuel Macron ne les écoute pas
lorsqu’ils étaient de bon conseil (Ismaël
Emelien et Sibeth Ndiaye avaient tenté de le
dissuader d’organiser le dîner de La Rotonde
au soir du premier tour). Et puis, l’Elysée
isole même des fidèles. « Macron est un
patron dur qui parle trop peu avec son équipe,
soupire un dirigeant de LREM. Aujourd’hui,
90 % de sa communication, c’est avec Kohler. »
S’ouvre alors une drôle de période de tran-
sition à l’Elysée. Les conseillers historiques
s’en vont un à un. Philippe Grangeon rejoint
la présidence et doit recruter une nouvelle
équipe mais le processus s’éternise. Emma-
nuel Macron n’aime ni laisser partir ses fidè-
les ni choisir de nouvelles têtes. Et comme
ses prestations performantes dans le cadre
du grand débat sont saluées...
On l’a beaucoup entendu a u cours d e cette
enquête : « Macron est convaincu de n’avoir
besoin de personne pour penser sa stratégie de
communication », « il pense que la com, c’est
lui »... Et en même temps, il exige toujours
plus de disponibilité de ses conseillers.
« Pour ses collaborateurs, c’est mieux d’attein-
dre la perfection et de la dépasser », explique
Sibeth Ndiaye en avril 2019. Il met trois mois
à décider du sort de cette dernière (finale-
ment nommée porte-parole du gouverne-
ment). Jean-Marc Dumontet et Philippe
Grangeon jouent les chasseurs de têtes :
Franck Louvrier (ex-dircom de Nicolas
Sarkozy passé chez Publicis), Clément Leo-
narduzzi (Publicis), Mayada Boulos (Havas),
Grégoire Lucas (Image 7) et d’autres encore
défilent dans leurs b ureaux. Certains ne sont
pas retenus ou renoncent rapidement.
D’autres rencontrent aussi Alexis Kohler, le
président, voire Brigitte Macron... Ils par-
lent, lui écoute et se dévoile peu.
Leur diagnostic est sans fard. Franck Lou-
vrier : « Les Français veulent à la fois être fiers
de leur président et être compris par lui. »
Mayada Boulos : « Toute la première partie

du quinquennat, il a géré l’image au détriment
du message. Il y avait des images léchées mais
pas les sous-titres. La séquence du G7 montre
qu’il a compris. » Ils ne comprennent pas
toujours comment Emmanuel Macron
envisage le poste mais tous retiennent trois
impératifs : savoir nourrir une joute intellec-
tuelle et sentir l’air du temps, mettre la
loyauté au-dessus de tout. Emmanuel
Macron se méfie des personnes dont les
noms fuitent et recherche en fait quelqu’un
qu’il a côtoyé avant son élection. L’idée d’un
patron unique de la communication ély-
séenne est abandonnée – « il n’en voulait
pas », souligne un auditionné. Ce sera un
tandem officiel avec Nathalie Baudon (qui
reste en place pour la presse internationale)
et Joseph Zimet pour le national.
L’ancien patron de la Mission du cente-
naire de la Première Guerre mondiale a
connu le président à Sciences Po et a contri-
bué à l’engagement du résistant Daniel Cor-
dier entre les deux tours de la présidentielle.
Ce n’est pas un communicant professionnel
mais un préfet qui connaît l’Etat, les départe-
ments et l’histoire. Il prend ses quartiers le
20 août et nous déroule sa feuille de route :
« normaliser » les relations avec la presse,
tenter de hiérarchiser les dossiers portés par
le président et souligner l’ancrage amiénois
de ce dernier (pour contrer l’idée de décon-
nexion). « La présidentialité est acquise pour
le quinquennat et elle a résisté au mouvement
des “gilets jaunes” », dit-il.
Quant à la « nouvelle méthode », « il faut
que ce soit durable pour que ce soit crédible et
ressenti », convient Joseph Zimet. Un prési-
dent peut-il changer d’image en cours de
mandat? Un président peut-il changer tout
court? « C’est difficile de tenir compte des réac-
tions quand toute votre vie, vous avez pris des
décisions à contresens des conseils qu’on vous
donnait, de son mariage avec Brigitte à sa can-
didature présidentielle », analyse Jean-Marc
Dumontet. Ceux qui y croient invoquent le
jeune âge du président, gage de souplesse, et
son « pragmatisme » – « si une méthode ne
marche pas, il en change ». L es sceptiques son-
gent à ses prédécesseurs. « J’ai changé, Nico-
las Sarkozy l’a dit et pas toujours fait, donc ce

La fabrique du


Macron nouveau


POLITIQUE// Ce fut un été sans petites phrases et


sans arrogance de la part du chef de l’Etat. Ses efforts


pour corriger sa communication et rétablir le lien


avec les Français sont réels. Mais pour qu’ils soient


crédibles, ils doivent être durables. Un vrai défi pour


celui qui pense souvent avoir raison seul contre tous.


faute à quelques certitudes et rancœurs b ien
ancrées alors chez le président et son équipe
de communication. Sur les corps intermé-
diaires – élus locaux, syndicats, journalis-
tes – qu’il faut court-circuiter. Sur la parole
politique qui n’imprime plus. I ls optent donc
pour une « communication disruptive », for-
mes nouvelles et parler cash.
« Aucune des prises de parole du président
n’est faite pour plaire mais toutes sont faites
pour être entendues », nous confie Ismaël
Emelien en avril 2018. Cela peut donner des
coups de génie comme le détournement du
slogan de Donald Trump juste après
l’annonce de son retrait de l’Accord de Paris
sur le climat : « Make our planet great
again. » Cela produit aussi des fautes majeu-
res comme la vidéo sur « le pognon de din-
gue » dépensé dans les aides sociales,
approuvée par le chef de l’Etat et toute son
équipe de communication d’alors (Ismaël
Emelien, Sylvain Fort, Sibeth Ndiaye). A
l’Elysée, la référence, c’est la présidence
Obama : de belles images d’un président
serein et un hors-champ absent ou totale-
ment maîtrisé. Sauf que dans le pays centra-
lisé qu’est la France, les citoyens ont une exi-
gence supérieure à celle des Américains
envers leur président. Sauf qu’Emmanuel
Macron multiplie les petites phrases
impromptues où il fait la leçon à des gens
qui l’interpellent sur leurs difficultés. Le
fossé se creuse.
En coulisse, un membre fondateur d’En
marche resté proche du chef de l’Etat
s’inquiète. Ancien communicant de la
CFDT, Philippe Grangeon n’oublie pas que
seul le score du premier tour de la présiden-
tielle (24 %) donne une indication sur la pro-
portion de Français qui ont approuvé le pro-
jet du président. « Ce quinquennat est fragile,
fragile, fragile, » nous déclare-t-il en
février 2018. Homme de stratégie, il a quel-
ques principes de communication : « parier
sur l’intelligence des Français », « ne pas hési-
ter à reconnaître ses erreurs », « donner des
perspectives positives ». « Quand on exerce le
pouvoir, on fatigue. Plus on avance, plus c’est
difficile et le jour où il y a un problème, vous
vous retrouvez tout seul si vous avez blessé les
corps intermédiaires », dit-il alors. Il fait plai-
doyer commun avec le démocrate-chrétien
qu’est François Bayrou. Le président les
écoute mais il faut attendre la crise des
« gilets jaunes » de l’automne 2018 pour qu’il
les entende vraiment.

Au dire des uns et des autres, le déclic se
produit début décembre 2018. Le 2, Emma-
nuel Macron se fait huer quand il va consta-
ter le saccage de l’arc de triomphe. Le 4, alors
qu’il se rend à la préfecture incendiée du
Puy-en-Velay, il doit renoncer à parler à la
vingtaine de manifestants qui l’attend.
« Comment en est-on arrivé là? » répète-t-il à
son retour. Il touche du doigt une haine à
laquelle ses réussites fulgurantes de jeu-
nesse ne l’avaient pas habitué. Et fuir n’est
pas l’image qu’il veut donner de lui-même.
Pour sortir de la crise, il imagine le grand
débat et l’impose contre l’avis de ses minis-
tres et de ses conseillers. « Vous vous rendez
compte, il veut le faire lui-même! » s’émeut
alors l’un d’eux.
Les « mormons » – la jeune garde rappro-
chée du président – agacent dans les ministè-
res. « Ils ont conscience d’avoir fait un casse. Je

Emmanuel Macron
aime les combats
et leur mise en scène.

Jupiter n’a pas disparu,
il n’abat plus la foudre
au même endroit.

Emmanuel Macron
lors du G7 de Biarritz,
en août dernier.
Photo Jacques Witt/Sipa

n’était pas crédible, se souvient Franck Lou-
vrier. Changer de méthode de communication,
il faut le faire et pas le dire. » Il y a, chez Emma-
nuel Macron, des invariants. Le goût du
secret, l a propension à penser qu’il p eut avoir
raison tout seul, à décider au dernier
moment et un curieux mélange de goût du
risque et de volonté de contrôle. Pour l’anec-
dote, l’agence Bestimage de Mimi Marchand
fournit toujours les belles photos du couple
présidentiel à la presse.
Emmanuel Macron aime les combats et
leur mise en scène. Autrefois, il scénarisait
un bras d e fer avec les cheminots de la SNCF ;
aujourd’hui, il affronte Jair Bolsonaro (ce qui
est tout bénéfice en France). Jupiter n’a pas
disparu, il n’abat plus la foudre au même
endroit. Vis-à-vis des Français, il semble
désormais faire la différence entre surprise
et provocation. La prise de risques sera dans
la gestion des consultations citoyennes.
« S’exposer, ce n’est pas réfléchi, c’est son
caractère, souligne un ministre de premier
plan. Chaque président a un axiome fonda-
mental, celui qui l’a fait gagner et dont il ne
change pas. Et Emmanuel Macron pense qu’il
n’y a pas de victoire sans prendre de risques. »
Alors, prise de conscience réelle ou simple
mouvement de balancier d’un président qui,
comme tant d’autres avant lui, voudrait
retrouver le sel de sa campagne victorieuse?
Il y a encore beaucoup de colères et des pro-
fessions en ébullition, les urgentistes, les
policiers, les agriculteurs, les routiers... Mais
mine de rien, la rentrée 2019 est la première
du quinquennat que l’exécutif n’aborde pas
sur la défensive.n

« Faire venir
les Français
dans la cuisine,
pour voir comment
on prépare les plats. »
ALEXIS KOHLER
Secrétaire général de l’Elysée

Les Echos Lundi 9 septembre 2019 // 13


enquête

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