Les Echos - 09.09.2019

(Elle) #1

La question reste entière, malgré les
pronostics optimistes des cabinets
de consultants : quand les ventes de
véhicules à batterie décolleront-elles
vraiment? Certes, les courbes sont
spectaculaires. Le marché mondial
a grimpé de 67 % en 2018, après avoir
déjà crû de 58 % en 2017. En Europe,
la hausse a été de 39 % en 2017, de
33 % en 2018, et à nouveau de 34 %
sur la première moitié de
l’année. Des chiffres à faire pâlir
d’envie : quel industriel ne rêverait
pas d’opérer sur un marché affi-
chant de telles croissances?
Pour autant, au regard des inves-
tissements gigantesques consentis


par les constructeurs (145 milliards
d’euros annoncés selon le cabinet
IHS et l’ONG Transport & Environ-
nement), ils ne sont pas à la hauteur.
Quelque 2,2 millions d’unités (véhi-
cules 100 % électriques et hybrides
rechargeables) vendus dans le
monde en 2018, c’est à peine 3,8 % du
marché mondial. En Europe, avec
408.000 voitures « vertes » livrées en
2018, et 260.000 sur la première
moitié de 2019, on est aussi loin du
compte : cela représente 2,7 % du
marché. Encore bien loin des prévi-
sions (19 % en 2025 estimés par Alix-
Partners, ou même 40 % en 2023,
prévus par PwC).
Le directeur de la recherche de
BMW Klaus Fröhlich a jeté un pavé
dans la mare au début de l’été, en
affirmant publiquement que la
demande des consommateurs euro-
péens pour le 100 % électrique est
aujourd’hui tout bonnement nulle.
Les freins au décollage du marché
sont désormais bien connus. Avec la
multiplication à venir des modèles
proposés, celui de l’insuffisance de

espère Guillaume Crunelle, chez
Deloitte France.
Reste l’ultime obstacle, celui de
l’infrastructure. Même si l’autono-
mie des voitures électrique est de
plus en plus élevée (plus de 500 kilo-
mètres, pour certains nouveaux
modèles), la crainte de la panne reste
un frein à l’achat souvent rédhibi-
toire. « Les réseaux de recharge sont
encore insuffisants, c’est peu de le
dire! », commente Guillaume Cru-
nelle. Preuve de l’urgence, l’associa-
tion des constructeurs européens
(ACEA) vient de s’associer à celle des
électriciens (Eurelectric) et à T&E
pour interpeller les autorités euro-
péennes sur la nécessité de faciliter
l’installation de bornes, et leur finan-
cement. Eurelectric estime à 1,2 mil-
lion le nombre de points de recharge
nécessaires en 2025. L’Avere (Euro-
pean Association for Electromobi-
lity) en recensait 161.000 au dernier
pointage. —A. F.

(


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Le décollage du véhicule électrique encore incertain


Les ventes de voitures à
batterie restent marginales
au regard des ventes
globales de voitures neuves.
Si les freins d’une offre
insuffisante ou du prix trop
élevé pourraient être levés
assez vite, reste l’énorme
obstacle des bornes de
recharge encore trop rares.


Faute de vendre suffisamment de véhicules verts, les amendes risquent d’être salées pour les constructeurs comme Volkswagen. Photo Friso Gentsch/Volkswagen

et 2015, puis –37,5 % entre 2021
et 2030).
« Si l’Europe maintient son
calendrier, les conséquences seront
très importantes pour certains
constructeurs », avance José
Baghdad, c hez P wC. De fait, on e st
encore loin du compte : les émis-
sions ont dépassé les 120 gram-
mes l’an dernier, et ont plutôt ten-
dance à monter avec la chute du
diesel et le boom des ventes de
SUV.

La peste et le choléra
Pour é viter d’avoir à payer d e lour-
des amendes, les constructeurs
vont pourtant devoir vendre des
véhicules moins polluants, avec
une grosse inconnue : la
demande sera-t-elle au rendez-
vous? « Aujourd’hui, le surcoût
est grosso modo de 6.000 euros
pour un hybride rechargeable et de
10.000 pour le 100 % électrique »,
observe Gaëtan Toulemonde,
analyste chez Deutsche Bank.
« Une bonne partie de la popula-
tion n’a pas les moyens, les
constructeurs devront en absorber
eux-mêmes une part. » Et ce,
même en tenant compte des sub-
ventions. Les constructeurs
devront choisir entre la peste des
amendes et le choléra des coups
de pouce commerciaux, avec,
dans tous les cas, un impact sur le
compte de résultat.
Comme si ce n’était pas suffi-
sant, bon nombre d’entre eux ris-
quent d’être affectés par la guerre
commerciale sino-américaine et,
surtout, par le Brexit, si le scéna-
rio d’un « no deal » prend corps.
Alors que le Royaume-Uni
exporte 80 % de sa production
auto et importe près de 90 % de sa
consommation, le renchérisse-
ment des tarifs douaniers et des
coûts logistiques pourrait tou-
cher beaucoup de constructeurs
de plein fouet. —A. F.

Les constructeurs automobiles
ont mangé leur pain blanc. Leurs
résultats ont déjà commencé à se
dégrader ces derniers mois, et les
choses ne vont pas s’arranger
dans les prochaines années. « Il y
a un vrai risque d’effet ciseau : ils
doivent mener leur transforma-
tion vers le véhicule électrique, con-
necté et autonome, au moment
même où les marchés ralentis-
sent », relève Guillaume Crunelle,
chez Deloitte France.
De fait, les trois grandes zones
cruciales pour le secteur sont en
panne, à commencer par
l’immense marché chinois. LMC
Automotive y prévoit une con-
traction de 5 % des ventes cette
année, après un recul de 2,6 % en
2018, inédit depuis les années


  1. Au niveau mondial, le cabi-
    net table sur un recul de 2 % en
    2019, à peine compensé par un
    léger rebond de 3 % l’an prochain.


Risque de lourdes
amendes
Ce n’est certes pas la bérézina,
mais les constructeurs auraient
plutôt eu besoin de croissance
l’an prochain. Non seulement ils
doivent continuer à financer
leurs colossaux investissements
dans leur transformation
(145 milliards d’euros, selon le
cabinet IHS et l’ONG Transport &
Environnement), mais 2020 sera
la première année d’application
des nouveaux objectifs environ-
nementaux fixés par Bruxelles.
Les émissions de CO 2 devront
être tombées à 95 g/km en
moyenne, avant l’entrée en
vigueur de réductions encore
plus sévères (–15 % entre 2021

La nécessité d’électrifier
les gammes pèsera sur
les résultats des construc-
teurs, au moment où
les marchés ralentissent.

Les nuages noirs


s’accumulent


l’électrique de ses huit marques
(Audi, Seat, Porsche, etc.) lui coûte-
rait la bagatelle de 30 milliards
d’euros entre 2019 et 2023.
Si l’on exclut le cas de BMW, l’un
des pionniers des engins lithium-
ion avec la i3 lancée fin 2013, le mou-
vement a été entamé au début de
2019 sur le haut de gamme. Audi a
livré ses premiers e -tron en mars, et
Mercedes s es premiers SUV EQC en
mai. « Le succès de Tesla a montré
aux Allemands que premium et bat-
terie n’étaient pas incompatibles »,
poursuit Marc Mechaï.
Plusieurs raisons les ont con-
traints à prendre le virage en accé-
léré. Notamment, la stratégie des
autorités chinoises, qui poussent
massivement la voiture zéro émis-
sion en imposant des quotas (10 %
des ventes cette année). « La Chine
représente 35 % de leurs ventes : ils ne
pouvaient pas prendre le risque de ne

pas avoir de modèles à proposer »,
souligne le consultant. Mais c’est
sans doute surtout l’onde de choc
du « dieselgate », suivie du durcis-
sement spectaculaire des contrain-
tes réglementaires en matière
d’émissions polluantes, qui les a
convaincus. « On voit aujourd’hui
arriver une nouvelle offre sur les
véhicules plus populaires appelés à
faire du volume », relève Guillaume
Crunelle, chez Deloitte France.

Amendes européennes
L’épée de Damoclès des objectifs
CO 2 fixés par l’Union européenne
pour 2020 plane au-dessus des
têtes : faute de vendre suffisam-
ment de véhicules verts, les amen-
des risquent d’être salées pour les
constructeurs retardataires. Une
étude du cabinet AlixPartners
publiée avant l’été estimait, sur la
base de la flotte de 2017, que Volks-

wagen serait le plus lourdement
taxé (plus de 1,8 milliard d’euros par
an). Pour le groupe de Wolfsburg,
l’enjeu est crucial.
Encore faudra-t-il que le succès
soit au rendez-vous. Pour l’heure,
les ventes de véhicules à batterie
restent marginales (2,2 millions en
2018 de voitures 100 % électriques et
hybrides rechargeables), soit 2,2 %
du marché mondial. Avec l’abon-
dance à venir de l’offre, l’un des
freins au décollage du marché va
disparaître. Selon Transport &
Environnement, 19 nouveaux
modèles 100 % électriques seront
mis sur le marché en Europe cette
année, et 33 l’an prochain. Leur
nombre « dépassera 100 en 2022, et
atteindra 172 en 2025 », ont calculé
les spécialistes de l’ONG. Reste
maintenant à lever les autres obsta-
cles, comme le prix ou les infras-
tructures.n

lLes véhicules à batterie des géants allemands du secteur tiendront la vedette du grand Salon qui s’ouvre mardi.


lTraditionnellement attachés au moteur à explosion, ils ont finalement été contraints de faire leur mue culturelle.


A Francfort, l’automobile allemande


met en scène sa conversion à l’électricité


Anne Feitz
@afeitz


La révolution électrique de l’auto-
mobile entre dans le dur. Après la
première salve de lancements sur-
venue depuis un an, les construc-
teurs continuent de dégainer leurs
armes : les nouveaux modèles à
batterie tiendront la vedette au
Salon de Francfort, qui ouvre mardi
ses portes à la presse. En première
ligne cette année, les constructeurs
allemands – il est vrai qu’ils sont
quasi seuls à ne pas avoir boudé la
grand-messe européenne, autre-
fois incontournable dans le secteur.
Le géant Volkswagen, en particu-
lier, va dévoiler cette semaine en
avant-première mondiale la Volks-
wagen ID.3, le premier modèle de la
marque conçu sur sa nouvelle
plate-forme dédiée à l’électrique :
une citadine compacte qui débar-
quera sur les routes mi-2020, à
moins de 30.000 euros. Un concur-
rent direct pour la Renault Zoe et la
Nissan Leaf, aujourd’hui encore
seules sur ce créneau des citadines
à batterie et leaders du marché
européen (derrière Tesla).


Culture de la voiture
puissante
De son côté, Opel présentera sa
nouvelle Corsa ( la première sur une
plate-forme de PSA), avec pour la
première fois une version électri-
que. Les groupes BMW et Daimler
ne sont pas en reste, prévoyant de
présenter la Mini électrique pour le
premier et une nouvelle limousine
Mercedes électrique, baptisée
« EQS », pour le second. Porsche
vient aussi de soumettre au public
son modèle à batterie, la Taycan.
« Les constructeurs allemands ont
compris qu’ils n’avaient plus telle-
ment le choix, commente Marc
Mechaï, consultant chez Accen-
ture. Il y a deux ans, on les sentait
encore un peu réticents à l’égard de
l’électrique, dans un pays où la cul-
ture de la voiture puissante, au
moteur ronflant, est très forte. Mais
aujourd’hui, ils manifestent une
volonté f orte d’électrification de leurs
gammes. » Avec d’énormes investis-
sements à la clef : le groupe Volks-
wagen a annoncé que le virage vers


AUTOMOBILE


l’offre est en passe de se résoudre. T
& E estime que 176 modèles seront
disponibles à la vente en Europe en
2020 et 214 en 2021.

Crainte de la panne
L’autre grand obstacle régulière-
ment évoqué, le prix des véhicules,
pourrait lui aussi disparaître dans
un avenir pas si lointain – rendant a u
passage inutiles les lourdes subven-
tions aujourd’hui consenties par les
Etats pour soutenir le marché. Les
études, comme tout récemment
celle d’A lixPartners, montrent que
grâce à la chute du coût des batteries,
liée aux progrès technologiques ou
aux effets d’échelle, le surcoût par
rapport à une voiture diesel ou à
essence devrait s’effacer dans les
années à venir.
« En prenant également en compte
le coût d’utilisation du véhicule, on y
sera encore plus vite : l’entretien ou le
carburant sont bien moins chers »,

ANALYSE


ENTREPRISES


Lundi 9 septembre 2019Les Echos

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