Les Echos - 09.09.2019

(Elle) #1

Ninon Renaud
@NinonRenaud
— Correspondante à Berlin


Qui aurait pu le croire il y a un an?
Les premiers signes de difficultés
de l’industrie automobile alle-
mande apparaissaient alors
comme un épiphénomène lié à
l’adaptation à de nouvelles normes
antipollution et la question était
plutôt de savoir si l’industrie outre-
Rhin ne risquait pas la surchauffe.
Douze mois plus tard, les comman-
des domestiques au secteur auto-
mobile s ont e n chute de 25 % depuis
le début de l’année et le refroidisse-
ment prolongé de l’ensemble du
secteur industriel laisse présager
une récession en Allemagne.
Cheville ouvrière de l’économie
allemande, l’industrie ne cesse
d’accumuler les mauvaises nouvel-
les. Sa production a encore reculé


de 0,6 % en juillet, ce qui représente
une chute de 4,2 % sur un an, a indi-
qué vendredi l’Office allemand de la
statistique (Destatis). Le recul de la
production de biens intermédiaires
(–0,7 %) et de biens d’équipement
(–1,2 %) n’a pu être compensé par le
segment des biens de consomma-
tion (+0,6 %). Avec une progression
de tout juste 0,2 %, le secteur du
bâtiment montre en outre à son
tour des signes d’essoufflement.
Après un recul du produit inté-
rieur brut allemand de 0,1 % au
deuxième trimestre, ces premiers
chiffres n’augurent rien de bon
pour le troisième trimestre.
D’autant que les carnets de com-
mandes de l’industrie piquent du
nez : les commandes ont chuté de
2,7 % sur un mois et de 5,6 % sur un
an, selon les d onnées publiées jeudi.
Dans le secteur de la chimie, four-
nisseur de l’industrie, la production
du deuxième trimestre a chuté de
8,8 % sur un an. La fédération alle-
mande du secteur prévoit désor-
mais une baisse de 6 % sur l’année,
soit quasiment le double de ce
qu’elle craignait il y a trois mois.
Les tensions commerciales inter-
nationales, marquées par un bras de
fer entre la Chine et les Etats-Unis,

les menaces américaines sur la taxa-
tion des automobiles européennes
mais aussi les incertitudes liées au
Brexit sont les causes essentielles de
ce recul : les commandes des pays
hors zone euro ont ainsi plongé de
7 % sur le mois tandis que celles des
autres pays d e la zone euro et en pro-
venance d’Allemagne ont légère-
ment augmenté. Il reste à savoir
combien de temps résistera la pro-
pension des Allemands à consom-
mer dans ce contexte. Le manque de
main-d’œuvre qualifiée dans le pays
est à leur avantage car il dope les
salaires : le coût de la main-d’œuvre
par heure travaillée a ainsi aug-
menté de 3,2 % au deuxième trimes-
tre 2019, selon Destatis. Mais le nom-
bre de chômeurs a cessé de baisser
en mai et amorcé une légère remon-
tée cet été.

Retour du débat sur
une politique de relance
Les difficultés de la première écono-
mie européenne devraient donner
des arguments à Mario Draghi pour
décider la semaine prochaine d’un
nouveau stimulus monétaire avant
de passer le relais à Christine
Lagarde à la tête de la BCE. Mais cette
dégradation nourrit aussi le débat

au sein même de l’Allemagne sur la
nécessité d’une politique de relance.
Compte tenu des conditions
d’emprunt extrêmement favora-
bles – les investisseurs sont même
prêts à payer pour acheter de la
dette allemande à 30 ans –, les voix
s’élèvent en faveur d’un recours à la
dette pour doper les investisse-
ments. Le coprésident des Verts,
Robert Habeck, a suggéré de
desserrer le frein à l’endettement
inscrit dans la Constitution pour
mettre en place un Fonds d’investis-
sement fédéral pouvant aller jus-
qu’à 35 milliards d’euros afin de
financer la modernisation des
infrastructures publiques. Bien
qu’il ait encore dégagé au premier
semestre une cagnotte de 45,3 mil-
liards d’e uros lui garantissant une
sixième année d’affilée de surplus
budgétaires, le gouvernement
s’accroche toutefois à son orthodo-
xie budgétaire. « Il reste toujours des
dettes que quelqu’un va devoir rem-
bourser, même quand les taux sont
négatifs », a rappelé le ministre des
Finances Olaf Scholz. Il assure en
outre que son o rthodoxie ne l’empê-
che pas d’intégrer dans le budget
40 milliards d’euros d’investisse-
ments annuels.n

L’Allemagne sous la menace d’une récession


La production industrielle
allemande a de nouveau
reculé de 0,6 % en juillet,
ce qui représente une
baisse de 4,2 % sur un an.
Les perspectives pour
les mois à venir ne sont
pas plus encourageantes.


Catherine Chatignoux
@chatignoux

Porté par de très bons sondages
depuis qu’il est arrivé au pouvoir
en Grèce, il y a deux mois, le
conservateur Kyriákos Mitsotákis
a détaillé samedi à la foire de Thes-
salonique les réformes et les bais-
ses d’impôts qu’il compte mettre
en place. L’impôt sur les bénéfices
des entreprises, a-t-il promis, sera
ramené de 28 à 24 % l’an prochain
et l a taxation des dividendes de 1 0 à
5 %. Le taux d’imposition des reve-
nus inférieurs à 10.000 euros par
an et supérieurs à 40.000 euros
sera abaissé.

Le projet des Skouries
devrait voir le jour
Il a, en outre, promis une prime
annuelle aux r etraités, fin 2 020, la
réduction des charges des profes-
sions libérales et une baisse gra-
duelle de 5 % des cotisations de
Sécurité sociale pour les salariés
d’ici à 2023. La baisse de l’impôt
sur l’immobilier est déjà engagée.
Les propriétaires paieront dès
cette année entre 10 % et 30 % de
moins sur leur capital.
Le gouvernement souhaite
aussi attirer les investisseurs
étrangers. Les mesures de con-
trôle des changes, mises en place
dans l’urgence en 2015 ont été tota-
lement levées la semaine dernière
et il s’agit désormais d’accélérer la
privatisation de la compagnie
gazière Depa, la vente des parts de
l’Etat dans Hellenic Petroleum et

dans l’aéroport international
d’Athènes. Le projet très contro-
versé de la compagnie canadienne
Eldorado Gold dans la mine auri-
fère d e Skouries, bloqué depuis des
années devrait voir enfin le jour.
« La Grèce n’est plus le mouton noir
de l’Europe, c’est un pays qui a con-
fiance en lui. Avec une vague de
réformes audacieuses, nous allons
acquérir une forte crédibilité », a
assuré le Premier ministre.
L’objectif du nouveau gouverne-
ment est d’alléger la contrainte
imposée par les créanciers euro-
péens sur les finances publiques.
En sortant de son programme
d’aide financière, en août 2018, la
Grèce s’e st engagée à dégager un
excédent de ses finances publiques
de 3,5 % du PIB jusqu’en 2022, ce
qui obère, selon Athènes, ses capa-
cités d’investissement. Kyriakos
Mistotakis espère voir cet objectif
ramené autour de 2 % dès 2021. Il a
rendu visite à ses homologues à
Paris, Berlin et La Haye p our tenter
de les convaincre. Pour l’instant,
ces capitales n’ont rien promis et
s’en tiennent à exiger le respect des
excédents à leur niveau actuel.
L’année 2020 s’annonce difficile
car les r éductions massives
d’impôts annoncées vont faire
chuter les recettes fiscales. Une
solution envisagée par Bruxelles
permettrait de soutenir la Grèce
sans que cela coûte un euro aux
Européens. Selon le j ournal
« Kathimerini », il s’agirait
d’inclure dans le calcul de l’excé-
dent primaire les profits dégagés
par la Banque centrale euro-
péenne dans le cadre du rachat
d’obligations d’Etat grecques. Le
gouvernement pourrait ainsi pro-
fiter de 1,2 milliard d’euros, ce qui
réduirait d’autant l’effort financier
à réaliser. Le sujet sera débattu lors
d’un prochain Eurogroupe.n

A Thessalonique,
le Premier ministre grec,
Kyriákos Mitsotákis,
a confirmé des réductions
d’impôts massives
pour relancer l’économie
et attirer les investisseurs.

La Grèce veut obtenir


un allégement de ses


contraintes budgétaires


caine a créé 130.000 emplois au mois
d’août, loin des 150.000 à 160.
estimés par le consensus et juste en
dessous des chiffres de juillet
(131.000). Le total a, en outre, été gon-
flé par 25.000 emplois temporaires
créés par le gouvernement dans le
cadre du recensement de la popula-
tion, prévu l’an prochain. Le privé,
lui, a créé 96.000 e mplois s ur le mois.
Plusieurs secteurs commencent à
donner des signes inquiétants. C’est
le cas de l’industrie, qui n’a créé que
3.000 postes en août, mais aussi de
la distribution, qui a perdu des
emplois (11.000) pour le septième
mois d’affilée. En cause, les effets de
la guerre commerciale, mais sur-
tout la concurrence d’Amazon.
L’éducation et la santé ont aussi

connu leurs plus faibles performan-
ces depuis février. Cela n’inquiète
pas Donald Trump. Jeudi sur Twit-
ter, il s’était félicité des « très bons
chiffres de l’emploi ». Tout en accu-
sant la Fed ne pas en faire assez et en
mettant la pression sur Jerome
Powell : « Où est-ce que j’ai trouvé ce
gars? Bon, on ne peut pas gagner à
tous les coups. » Les marchés, eux,
ont bien résisté vendredi, le Dow
Jones gagnant même 0,26 %.

4
À NOTER
En août, les salaires américains
ont augmenté plus que prévu :
+3,2 % sur un an et +0,4 %
par rapport à juillet.

lLes chiffres de l’emploi publiés vendredi sont moins bons que prévu.


lPlusieurs secteurs apparaissent en difficulté et commencent à ressentir les effets de la guerre commerciale.


Etats-Unis : le ralentissement pousse


la Fed vers une nouvelle baisse des taux


Nicolas Rauline
@nrauline
—Bureau de New York


Les signaux d’un ralentissement se
multiplient pour l’économie améri-
caine. A tel point qu’il semble désor-
mais acquis que la Fed baissera de
nouveau ses taux d’intérêt d’un
quart de point, lors de sa prochaine
réunion de politique monétaire, les
17 et 18 septembre. Selon le « Wall
Street Journal », des discussions ont
déjà eu lieu dans ce sens, même si
une baisse plus franche, d’un demi-
point, ne remporte pas les suffrages.
Invité à une conférence à l’uni-
versité de Zurich, vendredi, pour sa
dernière apparition publique avant
cette réunion, Jerome Powell a con-
fié que la Fed continuerait d’« utili-
ser tous les outils à sa disposition
pour soutenir la croissance ». Selon
lui, la récession n’est pas envisagée à
court terme, ni aux Etats-Unis ni au
niveau mondial, mais plusieurs ris-
ques pèsent, comme la guerre com-
merciale, qui ralentit les investisse-
ments des entreprises.


Un conflit de dix ans?
Dans une étude publiée jeudi,
six chercheurs de la Fed estiment
que les incertitudes liées aux ten-
sions commerciales pourraient coû-
ter jusqu’à un point de croissance au
pays, en fin d’année et début 2020, et
que ces effets pourraient se prolon-
ger. Or, si les négociations entre les
Etats-Unis et la Chine doivent bien
reprendre début o ctobre à Washing-
ton, un accord reste peu probable à
court terme. « Les attentes sont si éle-
vées. Nous devons faire les choses bien.
Et si cela prend dix ans, qu’il en soit
ainsi », a confié le conseiller écono-
mique de la Maison-Blanche, Larry
Kudlow, vendredi, avant de compa-
rer la situation à la guerre froide.
« Cela a pris des décennies d’arriver là
où nous sommes aujourd’hui avec
l’ex-Union soviétique. »
Mais le commerce n’est p as le seul
motif d’inquiétude et les tensions
semblent peu à peu se propager à


CONJONCTURE


l’ensemble de l’économie améri-
caine. La croissance a déjà montré
des signes de ralentissement au
deuxième trimestre. L’indice manu-
facturier s’est retourné en août, à
son plus bas niveau depuis 2016.

Et c’est désormais l’emploi qui
ralentit. Si le taux de chômage reste
stable à 3,7 %, l’économie améri-

Les incertitudes
liées aux tensions
internationales
pourraient coûter
jusqu’à un point
de croissance au pays.

MONDE


Lundi 9 septembre 2019Les Echos

Free download pdf