Les Echos - 09.09.2019

(Elle) #1
D
Les points à retenir


  • Les grandes entreprises
    françaises investissent. Mais
    l’injonction faite aux banques
    de créer une réserve spéciale et
    de ne prêter qu’en fonction des
    carnets de commandes et un
    contexte international tendu,
    vont donner un sérieux coup de
    frein au second semestre 2020.

  • La consommation des
    ménages reste le principal
    vecteur de croissance, même
    si, pour l’instant, les Français
    épargnent plus qu’attendu.

  • Les conditions qui favorisent
    l’augmentation
    du pouvoir d’achat – baisse
    de divers prélèvements,
    augmentation des salaires
    et faible inflation – finiront
    par se heurter à la stagnation
    de la productivité et
    au manque de marge
    de manœuvres budgétaires
    de l’Etat.


LE COMMENTAIRE


d’Agnès
Verdier-Molinié


Réforme des retraites : la liste de nos hypocrisies


L


a réforme des retraites prend
de plus en plus la forme d’un
grand bal des hypocrites. Ici
la liste des hypocrisies en vogue.

lSur l’état financier actuel
Nous comptons une des dépenses
en retraites publiques parmi les
plus élevées (14 % du PIB), pour un
déficit qui sera peu ou prou de
10 milliards en 2022 et de 15 mil-
liards en 2025. Voilà le tableau offi-
ciel. Mais nos déficits cachés sont
immenses. Chaque année, l’Etat
verse des subventions d’équilibre à
plusieurs régimes, en p articulier les
régimes publics, pour une ving-
taine de milliards d’euros. Ces sub-
ventions aggravent le déficit public
de la France. L’équilibre apparent
du système n’est qu’une façade.

lSur l’âge de départ
à taux plein
La CFDT fait mine, aujourd’hui,

d’être contre le report de l’âge de
départ à la retraite et contre un âge
pivot. Elle a pourtant bel et bien
signé un accord en 2015 mettant en
place un âge pivot à 63 ans pour les
retraites complémentaires... des
salariés du privé uniquement. En
effet, les salariés du privé se sont vu
appliquer, depuis 2019, un malus
sur leurs pensions complémentai-
res et partent déjà après 62 ans : en
moyenne, à 63 ans et demi.
En face, les agents du secteur
public continuent à partir avec des
pensions plus importantes et plus
jeunes : 61 ans en moyenne dans les
trois fonctions publiques. Sans par-
ler des agents roulants de la SNCF
ou des catégories actives d’EDF qui
partent encore à 55 ou 57 ans.

lSur l’augmentation
du nombre de trimestres
On a beaucoup entendu que, pour
les cadres, un report de l’âge était

Passer uniquement par l’aug-
mentation du nombre de trimes-
tres basculerait, de facto, une partie
du coût des pensions publiques
vers les salariés du privé. Quitte à
faire le choix de l’iniquité?

lSur l’équilibre
du nouveau régime en 2025
Le gouvernement nous dit que le
nouveau système de pensions
devra être « équilibré » en 2025
alors que la réforme systémique est
censée commencer... en 2025! Le
déficit 2025 est déjà évalué à 15 mil-
liards d’euros, et le gouvernement
s’est engagé, d’ici là, à ne toucher
aucun paramètre.
Avoir un système équilibré en
2025 suppose pourtant d’accélérer
la réforme Touraine en ajoutant un
trimestre p ar an à cotiser e n plus, au
lieu d’un tous les trois ans, et de
reporter l’âge de départ à 64 ans
d’ici à 2025. Et même en actionnant

ces deux leviers, le système ne serait
pas tout à fait à l’équilibre en 2025.

l Sur les « réserves »
du privé
Le gouvernement lorgne sur les
réserves de ceux qui ont bien géré
leurs systèmes de pension. Comme
il va y avoir u n gros souci de finance-
ment des cotisations de l’Etat et de
celles des agents sur leurs primes, il
y a fort à parier que les réserves
seront utilisées en partie pour
financer la convergence du mode
de calcul des pensions publiques
vers le mode de calcul du régime
général. P our r appel : il a été dit de la
convergence qu’elle pourrait durer
quinze ans, soit jusqu’en 2040.
Les fourmis risquent bien, si on
n’y prend garde, de payer pour les
cigales.

Agnès Verdier-Molinié est
directrice de l’Ifrap.

plus favorable qu’une augmenta-
tion du nombre de trimestres de
cotisation. Les cadres ayant fait des
études plus longues et commen-
çant à travailler plus tard.

Mais on a très peu entendu dire
que ce choix d’une augmentation
des trimestres était beaucoup plus
favorable aux agents publics, qui,
avec un e mploi garanti à vie, ne sont
pas concernés par le chômage et les
carrières hachées.

Chaque année l’Etat
verse des subventions
d’équilibre à plusieurs
régimes,
en particulier
les régimes publics,
pour une vingtaine
de milliards d’euros.

Jean-Marc Vittori
@jmvittori


L’économie française retrouve son
terrain d’excellence : la course de
lenteur. Quand la production accé-
lère, elle reste à la remorque de ses
partenaires. Mais quand l’environ-
nement devient moins favorable,
elle résiste. C’est ce qui s’était passé à
l’extrême lors de la grande récession
de 2009, quand son produit inté-
rieur brut s’était contracté de « seu-
lement » 2,9 % contre plus de 5 % en
Allemagne.
C’est ce qui se passe aujourd’hui
alors que le commerce mondial lan-
guit, que la Chine poursuit un ralen-
tissement lissé dans les chiffres offi-
ciels, que l’Amérique perd de la
vapeur. Avec une c roissance
modeste de 1,3 % depuis un an (mi-
2018 à mi-2019), la France dépasse le
Royaume-Uni, fait trois fois mieux
que l’Allemagne et infiniment plus
que l’Italie, qui stagne. Et peut espé-
rer continuer à ce rythme au moins
jusqu’au printemps prochain.
Ce n’est pas glorieux mais c’est
mieux que rien. Dans l’état actuel de
son économie, la France ne peut
sans doute pas faire beaucoup plus :
cette vitesse correspond à ce que
nombre d’économistes estiment
être sa « croissance potentielle ». Le
problème, c’est que pour parvenir à
ce sentier de basse montagne, le
gouvernement a déployé d es
moyens massifs, qu’il aura du mal à
remobiliser. E n particulier à
l’approche des élections de 2022.
Le dynamisme relatif de la France
repose en effet sur deux piliers. Le
premier est l’investissement des
entreprises, composante la plus
dynamique de l’économie. Après
avoir progressé de 5 % en 2017 et de
4 % en 2018, il devrait à nouveau
gagner plus de 3 % en 2019. Tant
mieux car c’est le signe de firmes qui
renouvellent et modernisent leurs
équipements.
Cet effort est financé par des mar-
ges revenues à leur niveau d’avant-
crise. Au printemps, ces marges ont


dépassé 33 % de la valeur ajoutée.
Mais ce t aux a été enflé p ar deux bal-
lons de 20 milliards d’euros chacun,
la baisse massive des cotisations
sociales patronales en janvier et le
crédit d’impôt pour la compétitivité
et l’emploi dû au titre de l’an dernier.
Il va donc mécaniquement baisser
l’an prochain.
Les entreprises peuvent bien sûr
financer leurs investissements par
l’emprunt. Elles ne s’en privent
d’ailleurs pas. D’après la Banque de
France, leurs crédits bancaires ont
progressé de 7 % en un an! Mais les
autorités de tutelle s’en inquiètent.
Le 1er juillet, le Haut Conseil de stabi-
lité financière a imposé aux ban-
ques la création de réserves spécia-
les en face de leurs prêts (« coussin
de fonds propres contra-cyclique »),
dont le taux sera doublé au prin-
temps prochain.
Et surtout, p our emprunter, i l faut
être sûr des carnets de commandes.
Or les tensions i nternationales com-
mencent à mordre sérieusement.
Dans la dernière e nquête sur l’inves-
tissement réalisée en juillet dans la
seule industrie, les entreprises con-
sultées ont annoncé un sérieux
coup de frein au second semestre.
Le second pilier de la résistance
française semble plus solide, au
moins pour les trimestres à venir.
C’est certes beaucoup moins vite que
l’investissement (+1,3 % seulement
en un an). Mais comme elle pèse
quatre fois plus dans la demande,
elle reste le principal vecteur de la
croissance. Or il y a ici des raisons
d’espérer. Car le gouvernement s’est
montré généreux avec les Français.
Il a abaissé les prélèvements fin 2018
(taxe d’habitation, cotisations socia-
les) puis ouvert sa bourse début 2019
pour calmer les « gilets jaunes ». Un
nouveau dégrèvement de la taxe
d’habitation sera visible sur les avis
envoyés à l’automne.
Jusqu’à présent, les dépenses
n’ont pas été à la hauteur de la pro-
gression du pouvoir d’achat, qui
dépassera 2 % pour l’ensemble du
pays. Les Français ont préféré met-

tre de l’argent de côté. Du début 2018
à la mi-2019, leur taux d’épargne a
augmenté de 2 points, pour attein-
dre 15,3 % de leur revenu. Certains
experts ont parlé d’énigme, voire de
déception. Mais c’est tout à fait clas-
sique. Quand on subit un choc sur
son revenu, à la hausse comme à la
baisse, on n’adapte pas ses dépenses
instantanément. D’après l’Insee, il
faut pratiquement deux ans pour

que le choc se transmette du pou-
voir d’achat à la consommation.
Dans les trimestres à venir, sauf
choc financier ou remontée brutale
du chômage actuellement peu pro-
bable, les Français vont donc accroî-
tre tranquillement leurs achats.
D’autant plus que les entreprises
continuent d’augmenter leurs sala-
riés et d’en embaucher de nouveaux
(non sans peine). Et que l’inflation,

elle, est retombée à un rythme
annuel de l’ordre de 1 % alors qu’elle
dépassait 2 % l’an dernier.
La suite s’annonce plus compli-
quée. Les entreprises ne pourront
pas continuer à augmenter leurs
salariés alors que la productivité
patine. L’Etat ne pourra pas conti-
nuer à distribuer de l’argent qu’il n’a
pas. La résistance française est salu-
taire. Mais elle n’est pas éternelle.n

L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Avec 1,3 % de
croissance, la France
fait bien mieux que
l’Allemagne. Cette
modeste énergie vient
de l’investissement,
qui risque de ralentir,
et de la consomma-
tion, qui devrait rester
ferme jusqu’au
printemps 2020.
Ensuite, ça deviendra
plus compliqué.

Comment la France résiste


au ralentissement mondial


Boll pour « Les Echos »

Les Echos Lundi 9 septembre 2019 // 09


idées&débats

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