Le Monde - 14.09.2019

(Michael S) #1

10 |france SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019


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L’affaire Ferrand complique la rentrée de l’exécutif


Macron et Philippe soutiennent le président de l’Assemblée, dont la mise en examen trouble le début de l’acte II


L’


été indien s’annonce
plus court que prévu.
Alors que la rentrée
d’Emmanuel Macron
se présentait sous les meilleurs
auspices, après des vacances
apaisées au fort de Brégançon
(Var) et surtout après un sommet
du G7 réussi à Biarritz, à la fin du
mois d’août, la mise en examen
de Richard Ferrand vient pertur­
ber le lancement de l’acte II du
quinquennat, conçu pour répon­
dre à la crise des « gilets jaunes »
et relancer un exécutif menacé
de paralysie.
Officiellement, toute la Macro­
nie fait front depuis l’annonce de
la mise en examen de l’élu breton.
« La présomption d’innocence, ça
existe dans une démocratie », a
ainsi défendu Edouard Philippe,
jeudi soir 12 septembre sur TF1, af­
firmant apporter son « total sou­
tien » à Richard Ferrand. Pas ques­
tion pour le premier ministre
d’appeler à la démission du qua­
trième personnage de l’Etat. Au
contraire, l’éphémère ministre de
la cohésion des territoires « peut
continuer à assurer la présidence
de l’Assemblée nationale dans de
bonnes conditions », veut croire le
locataire de Matignon.
Même son de cloche du côté de
l’Elysée, où on a martelé toute la
journée de jeudi que Richard
Ferrand avait « naturellement » le
soutien d’Emmanuel Macron. Fi­
dèle parmi les fidèles du chef de
l’Etat, qu’il fut l’un des premiers à
rallier en 2016, l’ancien élu socia­
liste est il est vrai un rouage essen­
tiel de la Macronie, où son autorité
est respectée même si elle fait par­
fois grincer des dents. Dans l’en­
tourage du président de la Répu­
blique, on se convainc même que
sa mise en examen n’aura aucune
répercussion sur les réformes à ve­
nir. « La réforme des retraites est
engagée. Le calendrier judiciaire est
certes concomitant mais décou­
plé », affirme un proche.

Ligne de défense fragile
A bien y regarder, la ligne de dé­
fense de l’exécutif apparaît pour­
tant fragile. Toute la journée de
jeudi, les macronistes ont appelé à
la présomption d’innocence et
clamé que mise en examen ne
vaut pas condamnation. « La mise
en examen est quasi automatique,

pour que le justiciable ait accès à
l’ensemble des pièces du dossier, dé­
roule Cédric O, secrétaire d’Etat au
numérique et ex­conseiller du
chef de l’Etat. L’affaire était sortie
trois semaines avant les législati­
ves, et ses électeurs l’ont élu en
connaissance de cause. Idem pour
les députés, qui l’ont élu à la prési­
dence de l’Assemblée. Je n’ai pas de
doutes sur le fait qu’il soit blanchi. »
Des arguments étonnants, alors
que l’exécutif avait fait sienne de­
puis deux ans la jurisprudence
Balladur, qui veut que tout minis­
tre inquiété par la justice soit
obligé de quitter le gouvernement.
« Lorsqu’un ministre est mis en exa­
men, il convient qu’il démissionne
immédiatement », avait lui­même
rappelé Edouard Philippe sur RTL,
le 2 juin 2017, après la révélation de
l’affaire des Mutuelles de Bretagne
et alors que l’exécutif tentait de
sauver la place de l’ancien socia­
liste au sein du gouvernement. « Si
Richard Ferrand était mis en exa­

men, il serait immédiatement dé­
mis de ses fonctions », avait abondé
Christophe Castaner sur LCI.
Rien à voir avec la situation
d’aujourd’hui, argumente­t­on
dans les couloirs du pouvoir. « La
jurisprudence Balladur ne s’est tou­
jours appliquée qu’à des ministres,
pas à des parlementaires, explique
un conseiller ministériel. Elle pré­
sente un risque d’immixtion de
l’exécutif dans le judiciaire. » Plus
surprenant encore, l’Elysée défend

l’idée que cette règle avait du sens
lorsque les instructions indivi­
duelles au parquet étaient autori­
sées et n’en aurait plus depuis leur
interdiction en 2013. Comprendre :
une mise en examen ne serait plus
aujourd’hui qu’un « acte procédu­
ral d’une enquête », comme l’af­
firme Gabriel Attal, et n’entraîne­
rait donc pas de démission auto­
matique, alors qu’elle avait valeur
de quasi­condamnation aupara­
vant. « Si demain un ministre est
mis en examen, je pense qu’il dé­
missionnera », maintient néan­
moins Cédric O.
N’empêche, difficile de ne pas y
voir un renoncement, alors
qu’Emmanuel Macron avait fait de
l’exemplarité l’un des marqueurs
de sa campagne présidentielle. « Je
ferai de la moralisation de la vie pu­
blique l’une de nos priorités », avait
lancé le candidat d’En marche!
lors du débat télévisé qui l’avait
opposé le 20 mars 2017 à ses adver­
saires du premier tour, s’enga­

geant à mettre « la probité au cœur
de nos règles de fonctionnement ».
« Le soupçon qui pèse aujourd’hui
sur nombre de nos représentants
(...) et l’insuffisante responsabilité
de nos dirigeants menacent notre
démocratie », avait­il aussi écrit en
préambule de son programme
présidentiel.

Unanimité de façade
Derrière l’unanimité de façade,
certains cadres de la majorité s’in­
quiètent d’ailleurs des effets de ce
rebondissement judiciaire sur
l’opinion. « L’image que cela peut
renvoyer d’un entre­soi qui se dé­
fend est négative », s’agace une
source au sein du pouvoir. « Cela
me déçoit car cela montre que l’on
a renoncé sur notre promesse
d’exemplarité », se désole un cadre
du mouvement présidentiel,
pour qui l’argumentaire choisi
« ne fonctionne pas : (...) les Fran­
çais ne comprennent pas le distin­
guo entre l’exécutif et le législatif,

cela ne tient pas de dire qu’un mi­
nistre mis en examen doit démis­
sionner et pas Ferrand ». « Sur
l’échelle de l’emmerdement maxi­
mal, nous en sommes à un stade
tout à fait raisonnable », tente de
positiver un élu La République en
marche (LRM).
D’autres estiment que le main­
tien du conseiller régional de Bre­
tagne au perchoir n’est pas sans
risques sur la poursuite des réfor­
mes. Alors que se profile le big
bang des retraites et les premiè­
res manifestations catégorielles,
« ça ne peut pas être une bonne
nouvelle », soupire un ministre.
« C’est une sale affaire politique­
ment, pour la majorité et la classe
politique en général, ajoute un
poids lourd de La République en
marche. De Sylvie Goulard à Fran­
çois Bayrou et Marielle de Sarnez,
en passant par la condamnation
de Patrick Balkany, l’intégralité de
la classe politique en France est en­
gluée de près ou de loin dans des
affaires judiciaires. Ça participe du
“tous pourris”. »
Certains pensent d’ailleurs que
M. Ferrand aura du mal à se main­
tenir au perchoir. « Ethiquement et
dans l’opinion publique, c’est dévas­
tateur. Et dans les boucles de “mar­
cheurs”, il y a du grabuge. Il ne peut
rester. Dans aucun pays du monde,
il ne pourrait rester... La promesse
d’exemplarité, l’exigence de séré­
nité des débats, et l’image de l’insti­
tution à l’international devraient
primer sur la solidarité de clan », es­
time une députée LRM, très sé­
vère. « Je pense qu’il y a une diffé­
rence entre ce que perçoit le milieu
politique et les citoyens qui, eux, ne
comprennent pas depuis le dé­
part », ajoute un de ses collègues.
« C’est dommage, car la rentrée de
l’exécutif était parfaite. Le pro­
blème, c’est que cela instaure de la
tension à un moment où on a be­
soin de sérénité, avant d’attaquer
des grosses réformes, comme les re­
traites, la PMA et surtout le débat
immigration du 30 septembre, qui
risque de diviser la majorité... »,
abonde une députée MoDem. « Fi­
nalement, on n’aura pas mis long­
temps à rentrer dans le moule » de
l’ancien monde, philosophe un pi­
lier de la majorité.
olivier faye,
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

Les députés LRM défendent « l’intégrité » du président de l’Assemblée


Même si les macronistes font bouclier autour de Ferrand, les élus d’opposition regrettent les conséquences sur l’image de l’institution


S


ans déroger à l’emploi du
temps prévu, Richard
Ferrand a reçu, jeudi 12 sep­
tembre dans l’après­midi, les re­
présentants de collaborateurs par­
lementaires. Moins de vingt­qua­
tre heures après sa mise en exa­
men pour des soupçons de prise
illégale d’intérêts dans l’affaire des
Mutuelles de Bretagne, le prési­
dent de l’Assemblée nationale est
apparu « étrangement » en forme
et « avec de l’humour », selon un
participant à cette réunion consa­
crée à la lutte contre le harcèle­
ment au Palais­Bourbon.

Dans les couloirs de l’institution,
l’information était commentée
sur la pointe des pieds par les dé­
putés. Rares étaient ceux qui
s’aventuraient devant les micros,
alors que les discussions de la loi
mobilité se poursuivaient dans
l’hémicycle, et celles sur la bioéthi­
que en commission.
La majorité s’est déployée en
bouclier pour défendre celui qui
reste une figure tutélaire des dé­
putés de La République en mar­
che (LRM). Edouard Philippe a té­
moigné au journal de 20 heures
de TF1 de son amitié « réelle », et

de sa confiance « dans [la] capa­
cité [de Richard Ferrand] à faire
valoir son innocence lorsqu’il
pourra le faire devant un tribunal.
(...) [Il] croi[t] qu’il peut continuer à
assurer la présidence de l’Assem­
blée nationale dans de bonnes
conditions ».
Gilles Le Gendre, président du
groupe, l’a assuré, sur Twitter, de
son « soutien fidèle » : « Aucun
doute que l’examen des faits dé­
montrera son intégrité ». Dans la
matinée, M. Le Gendre s’affichait
tout sourire salle des Quatre­Co­
lonnes, lieu de rencontre entre
élus et journalistes, où certains dé­
putés LRM prenaient la défense du
député du Finistère au nom de la
présomption d’innocence. Les
plus réservés lâchaient un laconi­
que « pas de commentaire ».
« On n’avait pas besoin de ça », su­
surre pourtant une élue LRM. Pour
les députés, cette annonce est un
nouvel accroc à la promesse
d’exemplarité qu’ils ont portée
pendant la campagne des législati­
ves. « Tout le monde est dans une
phase d’attente », explique une
autre, qui poursuit : « S’il est aussi
sûr de lui, c’est qu’il n’a, en effet, rien
à se reprocher. On lui fait confiance.
Mais on lui fait aussi confiance sur

le fait que, s’il s’avère qu’il n’a pas
respecté la loi, il démissionnera. »
« Politiquement, est­ce tenable? Je
ne suis pas sûre », constate la dépu­
tée socialiste Christine Pirès­
Beaune. « On a besoin de débats se­
reins et je ne suis pas sûre qu’ils le
soient », ajoute celle qui rappelle
que, « dès l’arrivée de cette majorité,
[ils ont] voté une loi de moralisa­
tion de la vie publique ». « Hélas,
dans l’opinion publique, quand
vous êtes mis en examen, vous êtes
présumé coupable », observe le
centriste Charles de Courson, qui
ajoute : « Je suis plutôt pour la juris­
prudence Balladur [selon laquelle
tout ministre impliqué dans une
affaire judiciaire démissionne] qui
protège la personne et évite que nos
concitoyens considèrent que l’en­

semble de la classe politique est
abîmé. » « Tout cela n’est pas bon
pour notre démocratie », se désole
cet élu au Parlement depuis 1993.

« Période politique très agitée »
« Cette affaire éclabousse par rico­
chet une fois de plus l’Assemblée
nationale », s’inquiète aussi sur
Twitter le député Les Républicains
Philippe Gosselin, soulignant le
« risque de renforcer encore l’anti­
parlementarisme ». « Nous ren­
trons dans une période politique
très agitée sur le plan social, sur le
fond de l’éthique, nécessairement,
une telle procédure de justice fragi­
lise », abonde le communiste Hu­
bert Wulfranc.
Rares sont toutefois ceux qui ap­
pellent à la démission du prési­

dent. « On dirait que les médias
n’attendent que ça », s’agace un
communiste. Richard Ferrand a
reçu le soutien de Jean­Luc Mélen­
chon, président du groupe La
France insoumise à l’Assemblée.
« Il existe dans ce pays la présomp­
tion d’innocence », a lancé celui qui
dit ne « pas faire confiance aux ju­
ges ». « Le fait que la mise en exa­
men conduise à une démission est
une déviance démagogique et stu­
pide, assène Jean­Christophe La­
garde, président du groupe UDI,
Agir et indépendants. Je sais que
l’opinion n’est pas prête à l’enten­
dre, mais ce n’est pas une raison
pour ne pas dire la vérité. »
« La mise en examen du président
de l’Assemblée pose un problème
plus politique que juridique », ré­
sume Charles de Courson. « Ça va
passer », se rassure un cadre du
groupe qui table sur la « lassitude »
autour de cette affaire. « L’affaire
Rugy est passée par là, où on a vu
l’emballement médiatique auquel
il a prêté le flanc en démissionnant
si vite, mais les gens ne sont pas du­
pes », poursuit cet élu. LRM espère
que, comme elle, l’opinion ne fera
pas de ce problème juridique un
problème politique.
manon rescan

Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, et Emmanuel Macron, à Saint­Brieuc, le 3 avril. DAMIEN MEYER/AFP

« Cela me déçoit,
car cela montre
que l’on a
renoncé sur
notre promesse
d’exemplarité »,
se désole un
cadre de LRM

La compagne de Richard Ferrand
placée sous le statut de témoin assisté
Sandrine Doucen, la compagne de Richard Ferrand, a été placée,
jeudi, sous le statut de témoin assisté pour « complicité de prise il-
légale d’intérêts et recel » dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne,
a annoncé le parquet de Lille. Au lendemain de la mise en examen
du président de l’Assemblée nationale, Sandrine Doucen a, à son
tour, été entendue toute la journée de jeudi par les trois juges lil-
lois chargés de l’enquête. Elle était également entendue en qualité
de représentante légale de la SCI SACA.

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4 OCTOBRE 2019
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