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SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019 france| 11
Avant de comparaître dans l’affaire
des perquisitions au siège de son
mouvement, le leader de LFI se dit
victime d’un « procès politique »
U
ne semaine décisive
s’ouvre pour La France
insoumise (LFI). Les
19 et 20 septembre se
tiendra, au tribunal correctionnel
de Bobigny, le procès des perquisi
tions au sein du siège du mouve
ment, qui ont eu lieu il y a près
d’un an. JeanLuc Mélenchon et
cinq de ses proches – dont les dé
putés Alexis Corbière et Bastien
Lachaud et le député européen
Manuel Bompard – comparaî
tront pour actes d’intimidation
envers l’autorité judiciaire, rébel
lion et provocation.
En octobre 2018, une quinzaine
de perquisitions avaient visé le
siège du Parti de gauche, celui de
LFI et le domicile de JeanLuc
Mélenchon. Elles étaient réali
sées dans le cadre de deux en
quêtes préliminaires ouvertes
par le parquet de Paris. La pre
mière concerne l’emploi d’assis
tants parlementaires européens.
L’autre fait suite à un signale
ment du président de la Commis
sion nationale des comptes de
campagne et des financements
politiques (CNCCFP) visant ceux
de la présidentielle 2017, soup
çonnés d’irrégularité.
Les « insoumis », M. Mélenchon
en tête, sont convaincus qu’ils
font face à un « procès politique ».
Et pas question, pour eux, d’atten
dre d’être au tribunal pour ripos
ter. « Il s’agit de me condamner.
Nous ne sommes pas convoqués à
un procès, mais à une condamna
tion publique. Et Nicole Belloubet
[la ministre de la justice] est char
gée d’assurer le spectacle, a ainsi
affirmé le leader de LFI lors d’une
conférence de presse jeudi après
midi, où il s’est emporté à de
nombreuses reprises. Je n’ai pas
peur. Ni des campagnes de presse,
ni des procès, ni des magistrats.
Vous pouvez me mettre en prison,
je n’ai pas peur. »
Il résume son état d’esprit ainsi :
« Je ne crois personne. Je n’ai pas
confiance dans la justice. » Une lo
gique qui l’a conduit à prendre le
parti de... Richard Ferrand, prési
dent macroniste de l’Assemblée
nationale, mis en examen pour
des soupçons de prise illégale d’in
térêts dans l’affaire des Mutuelles
de Bretagne : « Peutêtre que M. Ri
chard Ferrand est tombé dans un
piège », atil ainsi estimé.
Pour le député des Bouchesdu
Rhône, la situation française est
comparable à ce qu’il peut se pas
ser en Amérique du Sud : « Ce sont
les mêmes méthodes, les mêmes
mensonges, les mêmes juges mani
pulés politiquement qui s’atta
quent aux opposants. » M. Mélen
chon va même jusqu’à évoquer
« l’opération “Condor” », qui coor
donnait les assassinats ciblés d’op
posants par les dictatures sud
américaines dans les années 1970.
Le « lawfare » en fil rouge
Car M. Mélenchon a décidé de
porter la contradiction politique
ment, en amont de son procès, en
déroulant un fil rouge : celui du
lawfare, c’estàdire l’utilisation
de la justice instrumentalisée par
le pouvoir contre les opposants. Il
a ainsi signé une tribune pour
« dénoncer les procès politiques »,
publiée dans le Journal du diman
che le 7 septembre, avec plus de
200 personnalités dont l’ancien
président brésilien Lula.
Ce dernier effectue, depuis
avril 2018, une peine de huit ans
et dix mois de prison pour cor
ruption. Une condamnation que
Lula et la gauche contestent, en
raison des révélations sur « un
pacte existant entre grands mé
dias, procureurs et le juge » qui di
rigeait l’enquête, selon l’ancien
chef d’Etat. M. Mélenchon, qui a
réalisé cet été une tournée en
Amérique latine (Mexique, Ar
gentine, Uruguay et Brésil), a
d’ailleurs rencontré Lula en pri
son pour qu’ils échangent sur
leurs situations respectives.
La démarche est limpide : mon
trer que les « insoumis » pour
raient subir le même sort judi
ciaire à l’issue de leur procès. « Je
ne me compare pas à Lula. Il a été
président, ce n’est pas mon cas. Il
est en prison, je n’y suis pas en
core », précise M. Mélenchon. De
tout cela il sera question dans le
livre que l’ancien sénateur socia
liste publie le jour du procès,
chez Plon. Intitulé Et ainsi de
suite. Un procès politique en
France, l’ouvrage devrait revenir
sur ce voyage et les leçons que le
député en tire.
Dans cette guerre face « au pou
voir », toutes les victoires sont
bonnes à prendre pour les mélen
chonistes. Et ils sont persuadés
d’en avoir obtenu une majeure
mercredi 11 septembre avec la
mise en ligne de la totalité des
rushes que l’émission « Quoti
dien » de TMC avait filmés lors
des perquisitions de 2018. Jusqu’à
présent, le public connaissait les
images où l’on voyait notamment
M. Mélenchon s’emporter, crier
« la République, c’est moi! » face à
un gendarme imperturbable.
L’ensemble des enregistre
ments diffusés sur Internet mon
tre une réalité plus complexe, où
M. Mélenchon alterne énerve
ments et retours au calme et où il
dit qu’il ne s’oppose pas aux per
quisitions. « Nous avons enfin ré
cupéré ces images que nous récla
mions au procureur depuis deux
mois et qu’il refusait de nous trans
mettre, se félicite Me Mathieu
Davy, l’avocat du leader « insou
mis ». Nous comprenons mieux,
en les visionnant, le pourquoi de ce
refus, les images montrant à plu
sieurs reprises la volonté de Jean
Luc Mélenchon de demander la
poursuite de la perquisition, et
d’échanger calmement avec les
forces de l’ordre, une fois entré, ce
qui était son droit le plus strict. »
Reste une question essentielle :
quelles conséquences aura la stra
tégie d’affrontement politique
menée, hors du tribunal, par
M. Mélenchon? Ce dernier et les
autres prévenus sont sur une li
gne de crête. En accusant la justice
d’être manipulée, ils risquent de
braquer les magistrats. Mais, si
condamnation il y a, cela valide
rait leur raisonnement adossé à la
doctrine du lawfare. En revanche,
une clémence du tribunal dégon
flerait cette argumentation, la vi
dant de sa substance.
Enjeux énormes
Les cadres « insoumis » l’assurent
en privé : l’attitude sera différente
dans la salle d’audience, où le ton
devrait être plus mesuré. La dé
fense devrait se concentrer sur le
droit et « les nombreuses irrégulari
tés constatées lors des perquisi
tions », selon Me Davy. Celuici
tient d’ailleurs à être clair : « Je vais
démontrer qu’il n’y a pas de rébel
lion, et démonter un par un tous les
délits qui sont reprochés. Et au fi
nal, tout tombe du fait de la perqui
sition irrégulière. Nous devrons
être très vigilants quant à l’instru
mentalisation du juge judiciaire
par le parquet. »
Car la défense de M. Mélenchon
estime avoir plusieurs atouts dans
la manche. « Le principe de la per
quisition est légal, mais celleci
était gravement irrégulière. On a re
levé une trentaine d’erreurs, de dys
fonctionnements, de fautes, voire
de mensonges », avance Me Davy. Il
dénonce une « perquisition qui a
été provoquée dans la hâte avec un
dispositif considérable », soit « une
centaine de personnes mobilisées,
onze points de perquisition... Cela
ne peut se justifier que s’il y a un ris
que de disparition de preuves ou de
fuites, ce qui est totalement aber
rant en l’espèce ».
L’avocat relève également que la
présence des journalistes lors
d’une perquisition est une cause
de nullité, « ce que savait pertinem
ment le parquet ». Mais surtout
que l’ordonnance du juge des li
bertés et de la détention n’a jamais
été versée au dossier : « Et pour
cause, les mesures n’ont cessé d’évo
luer au cours de la matinée sans
que l’on en connaisse les ordres. Or,
la rébellion est la résistance vio
lente à un ordre donné. Ici c’est l’in
verse, l’accumulation d’ordre et de
contrordres. »
Les enjeux de ce procès sont
énormes pour les « insoumis »,
qui craignent une peine d’inéligi
bilité contre leur leader. Ce qui
pourrait, potentiellement, l’empê
cher d’être à nouveau candidat à
l’élection présidentielle 2022. Ils
en ont conscience : c’est leur sur
vie politique qui est en jeu.
abel mestre
Ian Brossat : « Personne, à gauche, ne peut gagner seul »
Le porteparole du PCF et chef de file communiste pour les municipales à Paris invite la gauche à travailler au rassemblement « partout où c’est possible »
ENTRETIEN
A
lors que la Fête de L’Hu
manité débute vendredi
13 septembre au Parc de
La Courneuve (SeineSaintDe
nis), Ian Brossat, porteparole du
Parti communiste français (PCF)
et maire adjoint de la ville de Paris
chargé du logement, plaide pour
la construction d’une nouvelle
union de la gauche.
Après des européennes très
décevantes, comment le PCF
abordetil les municipales?
Les élections européennes nous
ont permis de retrouver une cer
taine visibilité, avec une belle
campagne militante, mais le ré
sultat n’a pas été à la hauteur.
Nous avons deux défis. La pre
mière mission du PCF – et de la
gauche –, c’est de recréer de l’es
poir, notamment dans les catégo
ries populaires qui subissent le
plus durement la politique de Ma
cron. On a assisté à l’expression
d’une colère sociale très forte.
Mais la colère sans espoir se tra
duit par un vote d’extrême droite.
Le PCF doit aussi faire la dé
monstration de son utilité. S’il y a
un échelon pour cela, c’est l’éche
lon local, municipal : nos élus
sont reconnus pour leur proxi
mité, leur capacité à faire exister
des alternatives aux politiques li
bérales. Les élections municipa
les ne sont pas seulement une
étape avant les élections prési
dentielles et législatives de 2022,
elles sont importantes pour tra
vailler au rassemblement de la
gauche partout où c’est possible.
Le PCF atil encore un rôle
à jouer dans cette
recomposition politique?
On l’a vu aux européennes : la
gauche est à environ 30 % des
voix, mais elle est dispersée façon
puzzle. Le peuple de gauche n’a
pas la représentation politique
qu’il mérite. Les différentes com
posantes de la gauche et de l’écolo
gie devront travailler ensemble,
car les écolos ne peuvent pas pré
tendre diriger le pays avec 13 %.
Personne, à gauche, ne peut ga
gner seul. Il va falloir que l’on tra
vaille ensemble. Et il ne suffira pas
de crier « unité, unité, unité » sur
toutes les estrades. Nous devons
passer aux travaux pratiques.
Comment comptezvous faire?
Il y a trois pistes : la riposte à
Macron avec la bataille sur le réfé
rendum contre la privatisation
d’Aéroports de Paris. Cela faisait
longtemps que l’on n’avait pas
vu la gauche tenir des estrades
communes. Il faut mener ce com
bat jusqu’au bout.
Ensuite, il faut travailler à un pro
gramme partagé. Quelles proposi
tions communes pouvonsnous
apporter, par exemple sur les re
traites? Faisons des débats com
muns avec les syndicats, les asso
ciations, les autres formations.
Enfin, les élections municipales.
On gère de nombreuses villes en
semble et si on peut montrer que
la gauche peut se rassembler et ga
gner, ce sera une première étape.
Cela ressemble à ce que pro
pose le premier secrétaire du
Parti socialiste, Olivier Faure...
J’ai adhéré au PCF en 1997. Il y
avait alors 319 députés de gauche
et treize Etats européens sur
quinze qui étaient à gauche.
Aujourd’hui, il n’y a plus que
64 députés de gauche et sept Etats
européens sur vingtsept diri
gés par la gauche. Que s’estil
passé? La gauche socialedémo
crate s’est dissoute dans le libéra
lisme, elle a tourné le dos aux inté
rêts du plus grand nombre. Et la
gauche radicale n’a pas su prendre
le relais et apparaître comme une
alternative crédible.
On ne peut pas reconstruire la
gauche si on ne remet pas en
cause les dogmes que la gauche
socialedémocrate a mis en œuvre
quand elle était au pouvoir, no
tamment lors du quinquennat de
François Hollande. Le seul moyen
de rassembler, c’est de le faire sur
une ligne radicalement opposée
aux logiques libérales.
Cette union estelle
encore possible? Europe
écologieLes Verts (EELV)
et La France insoumise (LFI) ne
sont pas sur cette option...
La seule question est « voulons
nous gagner »? Si oui, il va falloir
travailler ensemble! Ou alors on
tire un trait sur une future vic
toire de la gauche, et on se plie à la
bipolarisation avec les fachos d’un
côté et les libéraux de l’autre. Je ne
me résous pas à ça.
Cela peutil aller jusqu’à
une candidature unique
de la gauche en 2022
et un effacement du PCF?
On en parlera en temps voulu...
Commençons par dialoguer et
voir ce sur quoi nous sommes
d’accord. C’est pour cela que Fa
bien Roussel [secrétaire national
du PCF] a appelé à avoir des débats
publics sur les grandes questions
d’actualité, comme les retraites,
la transition écologique...
Le PCF est un parti endetté,
affaibli...
Le PCF dispose d’une force mili
tante de dizaines de milliers d’ad
hérents, de milliers d’élus. Les va
leurs que nous portons sont plus
que jamais nécessaires. Mais le
Parti communiste ne peut retrou
ver de la force qu’à la condition de
travailler au rassemblement de la
gauche, au service du plus grand
nombre. Les périodes où le PCF
s’est renforcé sont celles au cours
desquelles on a tendu la main à
d’autres : le Front populaire, la Ré
sistance, le programme commun,
la bataille du non en 2005, le
Front de gauche...
Vous êtes chef de file pour
l’élection à la mairie de Paris.
Irezvous au bout ou allezvous
rejoindre Hidalgo
avant le premier tour?
Nous faisons les choses dans
l’ordre. Nous allons présenter des
propositions, nous allons débat
tre publiquement avec elle à la
Fête de L’Humanité. Et nos mili
tants décideront de la stratégie au
mois de novembre.
Dans un contexte de division
de la gauche et de menace
de LRM, ne vaudraitil
mieux pas une alliance
dès le premier tour?
Si le rassemblement est possi
ble, je le souhaite. Cela suppose la
prise en compte des propositions
que nous avons mises sur la table,
qui ont un fil directeur : savoir si
Paris reste une ville accessible
aux familles modestes et aux
classes moyennes. Au vu de la
puissance du marché immobi
lier, on doit passer à la vitesse su
périeure. Avec, par exemple, le
blocage des loyers pour cinq ans,
un référendum sur l’interdiction
d’Airbnb dans les arrondisse
ments du cœur de Paris, la gra
tuité des transports pour les
moins de 18 ans...
propos recueillis par
a.me. et sylvia zappi
« Le peuple
de gauche n’a pas
la représentation
politique
qu’il mérite »
Le chef de file
de La France
insoumise,
JeanLuc
Mélenchon
(au centre),
à Paris, jeudi
12 septembre.
JULIEN MUGUET
POUR « LE MONDE »
Les cadres
« insoumis »
l’assurent en privé :
l’attitude
sera différente
au tribunal, où
le ton devrait être
plus mesuré
Mélenchon choisit
la stratégie
de l’affrontement