Le Monde - 14.09.2019

(Michael S) #1

14 |planète SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019


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Pesticides : « Ici, on est tous empoisonnés »


A Parempuyre, la maire a interdit les épandages à moins de 100 mètres des habitations ou espaces publics


REPORTAGE
parempuyre (gironde) ­
envoyé spécial

D


ans son bureau, caché
derrière l’église, la
maire de Parempuyre
(Gironde), Béatrice de
François, a installé une seule
photo. Pas le portrait du président
de la République. Un cliché l’im­
mortalise avec Ségolène Royal,
tout sourire, devant les vignes. « Je
suis une ségoléniste de la première
heure », revendique l’élue socia­
liste en lice pour un troisième
mandat à la tête de cette com­
mune de 8 000 habitants, à une
demi­heure de Bordeaux. Quant
aux vignes, elles cadenassent Pa­
rempuyre. Château Clément Pi­
chon au sud, Château Ségur au
nord. Même le fronton du collège,
couleur lie­de­vin délavé, indique
un nom d’appellation d’origine :
« Porte du Médoc ».
Béatrice de François marche sur
les grappes de raisin comme
d’autres sur des œufs. Elle fait par­
tie des « maires courages »,
comme les appelle celui qui avait
succédé à Ségolène Royal au mi­
nistère de l’écologie, Nicolas Hu­
lot. Ces élus qui, un peu partout en
France, prennent des arrêtés limi­
tant les épandages de pesticides.
Depuis le 21 août, l’usage de pes­
ticides (à l’exception des « prépara­
tions naturelles peu préoccupan­
tes », sans impact sur la santé hu­
maine ou l’environnement) est in­
terdit à Parempuyre dans un
périmètre situé à moins de
100 mètres de toute habitation ou
espace public. « J’ai pris cet arrêté
en réponse à la carence de l’Etat qui
refuse de prendre ses responsabili­
tés pour protéger la santé des rive­
rains, explique Mme de François.
Ici, la situation est catastrophique,
on est tous empoisonnés. »

« Ce n’est pas sérieux »
Dans certains lotissements de la
commune, les pieds de vigne sont
à moins de 10 mètres des mai­
sons. Alors, pour la maire, la pro­
position du gouvernement de re­
tenir 10, 5 voire 3 mètres de zone
sans traitement dans son futur
arrêté encadrant l’usage des pes­

ticides, « ce n’est pas sérieux ». « La
bonne distance? Il n’y en a pas. Il
faut arrêter les pesticides. »
Une étude publiée en août par
Atmo Nouvelle­Aquitaine, l’orga­
nisme de surveillance de la qualité
de l’air dans la région, rappelle que
cette terre viticole en est loin.
En 2018, trois fongicides ont été re­
trouvés sur tous les sites de prélè­
vements, dans le Médoc mais
aussi jusqu’à Bordeaux, preuve se­
lon l’observatoire d’un « transfert
des molécules par l’air depuis les
surfaces agricoles vers les zones ur­
baines ». Ces pesticides sont pré­
sents sur une longue période,
d’avril à fin août, notamment
dans les sites proches des vignes.
La substance la plus massivement
retrouvée est le folpel. Utilisé con­
tre le mildiou, « le fongicide de la vi­
gne » est classé cancérogène, mu­
tagène et reprotoxique probable.
La maire conserve, elle, une pu­
blication de l’Inserm de 2013 dont
elle a surligné les conclusions. « As­

sociation positive entre exposition
professionnelle à des pesticides et
certaines pathologies chez l’adulte :
la maladie de Parkinson, le cancer
de la prostate et certains cancers
hématopoïétiques (lymphome non
hodgkinien, myélomes multiples). »
Des données qu’elle rappelle à
ceux qui contestent son arrêté.
Quelques­uns se sont défoulés
contre elle sur Facebook et Twitter
à coups d’insultes sexistes. Pour le
Conseil interprofessionnel du vin
de Bordeaux (CIVB), l’arrêté de
Béatrice de François est « un coup

de com ». « Elle prend un arrêté fin
août alors que les traitements sont
finis depuis fin juillet, réagit Chris­
tophe Chateau, directeur de la
communication du CIVB. Oui, il
faut moins de traitements, oui, il
faut faire attention à la santé des ri­
verains, mais dans un cadre légal. »
Béatrice de François n’en est pas
à son coup d’essai. En janvier, déjà,
elle avait pris un arrêté antipestici­
des. Mais elle a dû le retirer à la de­
mande de la préfecture. A l’épo­
que, ce sont des parents d’élèves
qui sonnent l’alarme. Ils appren­
nent que le collège, trop petit, doit
être reconstruit... avenue Cha­
teau­Pichon, juste en face des
25 hectares de vignobles de Clé­
ment Pichon. Ludovic Coutant,
coquelicot « Stop pesticides » à la
chemisette et père de trois en­
fants, lance une pétition pour dire
« Non à l’implantation d’un collège
de 900 élèves à 50 mètres de vignes
cultivées avec des pesticides ». Il
sollicite la journaliste Elise Lucet,

obtient un financement pour ef­
fectuer des prélèvements dans
des maisons près des vignes. Une
vingtaine de pesticides différents
sont retrouvés. Les médias locaux
s’emparent du sujet et la maire
publie son arrêté.
Pour contrer cette mauvaise pu­
blicité, le groupe Fayat, proprié­
taire de Château Pichon et masto­
donte du BTP dans la région, an­
nonce dans Sud­Ouest se conver­
tir au bio (5 hectares dès le
millésime 2019) pour permettre
la construction du collège. Raté.
L’association Alerte aux toxiques
et le collectif Info Médoc Pestici­
des publient dans la foulée les ré­
sultats des analyses qu’ils ont pra­
tiquées sur un millésime 2016 de
Clément Pichon. Cinq pesticides
sont détectés dont le fameux fol­
pel. Ludovic Coutant veut désor­
mais tester un millésime 2018.
« Lorsqu’on a rencontré Fayat, il y
a tout juste un an, on nous a
d’abord répondu par un non caté­

gorique à l’idée de passer au bio,
rappelle le pétitionnaire dont le
collectif regroupe désormais près
de 150 parents. Le combat ne sera
pas terminé tant que le logo bio ne
sera pas accolé sur les bouteilles. »
L’Agence Bio ne trouve aucune
trace de dossier de demande de
certification pour le château Clé­
ment Pichon.

« Ils vont nous déplacer »
Le groupe Fayat, propriétaire de
deux autres châteaux de renom
(La Dominique à Saint­Emilion,
Fayat à Pomerol), n’a pas digéré
l’arrêté antipesticides de janvier,
ni que la mairie construise le col­
lège sur un terrain que la famille
avait cédé à la commune au début
des années 1990. Clément Fayat, a
attaqué la maire en justice sur les
deux dossiers. Il réclame 3 mil­
lions d’euros de dommages et in­
térêts. La donation stipulait selon
lui que le terrain devait rester un
espace vert inconstructible. « Ré­
clamer 3 millions d’euros à une ville
comme Parempuyre qui a 7,8 mil­
lions de budget. Quand on voit son
chiffre d’affaires... », dit en soupi­
rant Béatrice de François.
La livraison du nouveau collège
est prévue pour 2022. Selon nos
informations, Fayat a candidaté
pour en obtenir le chantier. Solli­
cité par Le Monde, le groupe n’a
pas souhaité s’exprimer.
Avenue du Chateau­Pichon, en
face des vignes, à l’endroit même
où doit être construit le futur col­
lège Porte du Médoc, l’inquiétude
gagne au club de pétanque.
« Vous ne savez pas quand vont
débuter les travaux? On était tran­
quille. Ils vont nous déplacer »,
peste Norbert (qui a requis l’ano­
nymat), 78 ans. Bas de survête­
ment, casquette et lunettes de so­
leil, le retraité est arrivé le pre­
mier, la buvette du club n’a pas
encore ouvert. L’ancien agent
municipal a entendu la maire
parler de son arrêté. Faut­il choi­
sir le collège ou la vigne? « Peut­
être qu’il faudrait enlever quel­
ques rangs, suggère Norbert. De­
puis le temps que ça dure, on s’ha­
bitue, c’est comme la pollution. »
stéphane mandard

A Parempuyre (Gironde), certaines habitations se trouvent à proximité
des vignes (ici, à 8 mètres). PHOTOS : CHRISTOPHE GOUSSARD POUR « LE MONDE »

« La bonne
distance?
Il n’y en a pas.
Il faut arrêter
les pesticides »
BÉATRICE DE FRANÇOIS
maire de Parempuyre

paris, clermont­ferrand, Grenoble,
Lille et Nantes, mais aussi Langouët (Ille­
et­Vilaine), Puy­Saint­André (Hautes­Al­
pes), Villeneuve­d’Ascq (Nord), Antony
(Hauts­de­Seine), Murles (Hérault) et
Saint­Genis­Pouilly (Ain), entre autres.
Une cinquantaine de maires, de villages
comme de grandes villes – ainsi que le
département du Val­de­Marne –, ont dé­
cidé de protéger leurs concitoyens des
pesticides de synthèse. Les uns ont tran­
ché pour des zones tampons sans épan­
dage, d’au moins 150 mètres, autour de
toute habitation, les autres veulent ban­
nir complètement l’usage de ces pro­
duits chimiques dans leur commune.
L’initiative fait chaque jour des émules
depuis le revers juridique essuyé par
l’écologiste Daniel Cueff, élu de Langouët.
Attaqué par la préfecture, son arrêté mu­
nicipal a été suspendu par le tribunal ad­
ministratif de Rennes, le 27 août.
Jeudi 12 septembre, cinq grandes villes
ont choisi de communiquer ensemble
sur leur détermination à en finir avec
« l’usage des produits phytosanitaires chi­
miques sur l’ensemble de leurs territoi­
res ». « Notre première idée était de mani­

fester notre solidarité avec les maires ru­
raux, puis nous nous sommes dit que
nous serions plus efficaces ensemble pour
faire modifier la loi, témoigne Olivier
Bianchi, maire (PS) de Clermont­Ferrand.
Ouvrir le débat, c’est ce qui m’anime. Nous
n’utilisons plus ces produits dans les espa­
ces publics, y compris les cimetières, de­
puis 2012. »

Un simple « coup de com »?
La question des pesticides est évidem­
ment plus prégnante dans les zones
agricoles. Au demeurant, deux lois ré­
centes limitent grandement leur usage
en milieu urbain. La première bannit de­
puis janvier 2017 leur emploi dans l’en­
tretien des espaces verts ouverts au pu­
blic (jardins, parcs, voiries...). La seconde
étend cette interdiction aux jardiniers
amateurs : depuis le 1er janvier 2019, ces
derniers ne doivent plus employer que
des phytosanitaires d’origine naturelle.
L’initiative des cinq grandes villes n’est­
elle qu’un « coup de com », comme a iro­
nisé la ministre de la transition écologi­
que, Elisabeth Borne? D’autant que leurs
arrêtés municipaux risquent d’être à leur

tour attaqués par l’Etat, comme une quin­
zaine d’autres avant eux.
Les cinq élus rétorquent que leur dé­
marche n’est pas seulement symbolique,
mais aussi motivée par les lacunes de la
réglementation. « Il y a des trous dans la
raquette », assurent en chœur M. Bianchi,
son homologue de Nantes, Johanna Rol­
land (PS), et Pénélope Komitès (PS), ad­
jointe chargée des espaces verts à Paris.
« Si des copropriétaires font appel à une
entreprise privée pour entretenir leur jar­
din, celle­ci n’est pas concernée par l’inter­
diction, précise Mme Rolland. En outre, les
villes ont toutes, sur leurs territoires, d’an­
ciennes parcelles de la SNCF ou d’entrepri­
ses, qui ne sont pas tenues par ces restric­
tions. Nos services municipaux ont com­
mencé à se passer de pesticides dès 2008.
En parallèle, nous accompagnons les agri­
culteurs en transition [vers le bio]. » Le
mouvement gagne : La Chapelle­sur­Er­
dre, l’une des communes de Nantes Mé­
tropole, vient de prendre un arrêté com­
parable, de même que Ceyrat, près de
Clermont­Ferrand.
« A Paris, nous travaillons beaucoup sur
la biodiversité, rapporte Mme Komitès.

Mais cela ne suffit pas : environ 600 hecta­
res dans la capitale échappent à l’interdic­
tion d’utiliser des substances toxiques. »
Cependant, dans les campagnes fran­
çaises, plus rien ne protège légalement
les riverains des pesticides, car l’arrêté
national encadrant les épandages a été
annulé en juin par le Conseil d’Etat. Le
gouvernement veut encourager les agri­
culteurs à s’engager volontairement
dans des chartes locales et a mis en con­
sultation, jusqu’au 1er octobre, un texte
imposant une distance minimale avec
les habitations de 5 à 10 mètres selon les
cultures, « pour les substances les plus
dangereuses ». « Chacun sait qu’elles sont
volatiles », conteste Mme Komitès.
« Nous en savons suffisamment sur les
effets des pesticides sur la santé et l’envi­
ronnement, estime pour sa part Martine
Aubry (PS), maire de Lille. Nous, élus,
n’aimons pas prendre des arrêtés qui n’en­
trent pas légalement dans nos compéten­
ces. Si nous l’avons fait tous les cinq, c’est
pour dire ensemble au gouvernement : il
n’est plus temps de faire semblant de pren­
dre des demi­mesures à 5 ou 10 mètres. »
martine valo

Cinq grandes villes bannissent les phytosanitaires chimiques


Parempuyre

Gironde

Bordeaux

50 km

La maire de Parempuyre, Béatrice de François, face au site du projet
de construction du collège, qui se trouve à 50 mètres des vignes.

Ludovic Coutant (à d.), du collectif antipesticides Nous voulons des coquelicots. La commune est entourée de deux grandes propriétés viticoles.
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