Le Monde - 14.09.2019

(Michael S) #1
0123
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019 économie & entreprise| 17

La France et Google soldent


leurs différends fiscaux


Le groupe américain va verser au total près de un milliard d’euros


à l’Etat en amende pour « fraude fiscale » et « rattrapage » d’impôts


D


es années de conten­
tieux fiscal et de dialo­
gue impossible entre
Google et la France se
sont soldées, jeudi 12 septembre,
par un happy end financier. Le
géant américain de l’Internet a ac­
cepté de verser près d’un milliard
d’euros aux autorités françaises,
pour éteindre l’ensemble des
poursuites judiciaires et fiscales le
visant dans l’Hexagone.
Ce gros chèque, pour solde de
tout compte, est destiné à norma­
liser ses relations avec Paris. Il se
décompose ainsi en deux blocs :
551 millions de dollars (498 mil­
lions d’euros) d’amende pour
mettre fin à une enquête du Par­
quet national financier (PNF)
ouverte depuis 2015 pour « fraude
fiscale aggravée », et 465 millions
d’euros de « rattrapage » d’impôts
pour clore les redressements fis­
caux en cours.
L’amende, pour sa part, a dû être
formellement homologuée, jeudi,
par le tribunal de Paris, dans le ca­
dre d’une convention judiciaire
d’intérêt public (CJIP) – un nouvel
outil à la main de la justice, une
transaction à l’américaine qui per­
met d’obtenir réparation d’un pré­
judice sans attendre l’issue d’un
procès... Le PNF reprochait à Goo­
gle d’avoir soustrait au fisc fran­
çais plus de 189 millions d’euros
entre 2011 et 2016, par un montage

complexe entre différentes enti­
tés. L’enquête avait donné lieu à
des perquisitions dans les locaux
parisiens du groupe américain en
mai 2016. Une centaine de poli­
ciers et d’experts informatiques
avaient été mobilisés lors de cette
opération baptisée « Tulipe ».

« La fin d’une époque »
Un milliard de dollars? La justice
et l’administration fiscale main
dans la main pour faire plier une
multinationale superpuissante?
« Cet accord est historique, à la fois
pour nos finances publiques et
parce qu’il marque la fin d’une épo­
que », n’a pas manqué de saluer le
ministre de l’action et des comptes
publics, Gérald Darmanin, dans
un communiqué publié jeudi.
De fait, l’accord trouvé avec
Google doit beaucoup au con­
texte politique, qui est au réchauf­
fement des relations entre les
Etats­Unis et la France sur l’épi­
neux sujet de la taxation des mul­
tinationales, en particulier des
entreprises du numérique, les fa­
meux GAFA (Google, Apple, Face­
book, Amazon). Des mastodontes
aussi puissants financièrement
que difficiles à taxer, du fait de
leur organisation – des implanta­
tions légères, des profits facile­
ment délocalisables dans des pa­
radis fiscaux –, passés maîtres
dans l’art de l’évitement fiscal.

Google utilise pour sa part l’Ir­
lande et son régime fiscal avanta­
geux comme base arrière pour ré­
duire son impôt.
Or, après avoir fâché l’adminis­
tration Trump en juillet avec l’an­
nonce d’une taxe française sur les
GAFA, et avoir été menacée de re­
présailles douanières, la France a
récemment fait redescendre la
pression d’un cran. Elle a déclaré
s’en remettre aux discussions en­
gagées au niveau de l’OCDE (qui
réunit les pays d’Europe, d’Améri­
que du Nord et le Japon) pour par­
venir à un projet de taxe GAFA
concertée et équitable au niveau
mondial, indiquant qu’une fois ce
projet abouti, en janvier 2020, il
remplacerait la taxe française.
Dans une audacieuse pirouette
diplomatique, la France a même,
dans la foulée, promis de rem­
bourser la différence entre les
deux taxes aux géants du Web.
L’accord avec Google s’inscrit
dans ce cadre de recherche de so­
lutions concertées de part et
d’autre de l’Atlantique, sous
l’égide de l’OCDE. Car conscientes
des enjeux politiques, les multi­
nationales n’ont d’autre choix
que de donner des gages... elles se
montrent prêtes, comme Google,
à payer leur part d’impôt.

La France n’est d’ailleurs pas le
seul pays où le groupe ouvre son
porte­monnaie. Des accords fis­
caux viennent aussi d’être passés
avec le Royaume­Uni et l’Italie.
« Le passé sera réglé (...), c’est ce qui
est essentiel pour nous », a déclaré
l’un des avocats de Google, Eric
Dezeuze. Toutefois, souligne le
groupe dans un communiqué,
« nous restons convaincus qu’une
réforme coordonnée du système
fiscal international est le meilleur
moyen de fournir un cadre clair
aux entreprises opérant dans le
monde entier ». Dont acte.
De leur côté, plusieurs autres
géants de la tech ont accepté, ces
dernières années, de passer des
accords avec le fisc français, tel
Apple, qui a accepté de verser en
début d’année 500 millions
d’euros afin de solder dix ans d’ar­
riérés d’impôts.
Si Google dispose de dix jours
pour se rétracter, le PNF s’est, sans
attendre, félicité d’avoir signé la
deuxième convention judiciaire
d’intérêt public en France conclue
en matière de fraude fiscale, après
celle de Carmignac Gestion, en
juin. Quatre mois de négociations
ont été nécessaires. « C’est une
bonne administration de la jus­
tice », constate­t­on au PNF.
Dans l’attente des détails du
texte de cette convention, publiés
dans dix jours, le président de l’as­
sociation anticorruption Trans­
parency France, Marc­André Fef­
fer, estime que « cette nouvelle
CJIP en matière de fraude fiscale
montre la pertinence et la montée
en régime de ce dispositif auquel
nous avons toujours été favora­
bles : sanctionner la grande délin­
quance économique et financière
et la fraude fiscale dans des délais
raisonnables, et assurer la répara­
tion des préjudices ».
anne michel

L’accord doit
beaucoup au
réchauffement
des relations
entre les Etats-
Unis et la France
sur le sujet
de la taxation
des GAFA

189 MILLIONS
C’est, en euros, la somme que le Parquet national français repro-
chait à Google d’avoir soustraite au fisc, entre 2011 et 2016. Pour
cela, la firme de Mountain View (Californie) avait mis en place un
montage complexe, entre différentes entités. L’enquête avait donné
lieu à des perquisitions dans les locaux parisiens du groupe améri-
cain, en mai 2016, au cours d’une opération baptisée « Tulipe ».

Avec son air de chien battu, Mario
Draghi semble revenir sans cesse
épuisé du champ de bataille, gé­
néral désabusé par un combat
sans gloire et sans fin. Il a sauvé la
zone euro en 2012 en noyant son
économie sous les liquidités,
comme avaient fait ses collègues
américains de la Fed, la banque
centrale américaine, quelques an­
nées plus tôt. Mais il faut en per­
manence retourner au front.
Face à une économie euro­
péenne languissante, il a an­
noncé, jeudi 12 septembre, de
nouvelles mesures généreuses
pour doper l’activité des pays
membres : des taux d’intérêt en­
core plus négatifs, une reprise
des rachats par la BCE des titres
de dettes (obligations) des Etats,
voire des entreprises. Avec dans
l’idée que ce crédit quasi gratuit
poussera les entreprises à inves­
tir plus et les Etats à stimuler la
consommation, les deux princi­
paux moteurs de la croissance
économique. Pourtant, rien n’y
fait. Avec le ralentissement mon­
dial des échanges, l’ambiance de
guerre économique avec la Chine
et l’épée de Damoclès du Brexit,
la reprise n’est pas au rendez­
vous. L’Allemagne, fer de lance de
la zone euro, pourrait prochaine­
ment entrer en récession.
Or cette politique d’argent fa­
cile de la banque centrale, pour
généreuse qu’elle soit, affiche de
plus en plus d’effets pervers.
D’une part, elle met à genoux les
intermédiaires financiers que
sont les banques et les assureurs­
vie, dont la marge et les capacités
d’investissement sont étroite­
ment liées aux taux d’intérêt.

D’autre part, cette facilité d’em­
prunt pousse à la formation de
bulles d’endettement. La plus évi­
dente, et la plus dangereuse, est
l’immobilier et ses prix stratos­
phériques dans les grandes capi­
tales. Dangereuse par sa capacité
à se transmettre aux banques,
comme on l’a vu en 2008. Enfin,
en incitant les Etats à gagner de
l’argent en s’endettant, ce qui est
le cas de la France actuellement,
on ne les pousse pas vraiment à la
vertu. Ce qui rend presque impos­
sible une sortie de ce régime pour
une bonne partie des pays euro­
péens, Grèce et Italie en tête.

Tensions sur l’emploi
La recette ne marche donc plus
très bien et fait courir des risques
de long terme à tous les citoyens
européens. Pourquoi, alors, la
poursuivre? Parce que le seul
moyen de débrancher la perfu­
sion de morphine serait de re­
trouver suffisamment d’inflation
pour relancer la machine écono­
mique et réduire progressive­
ment les dettes accumulées, ce
qui permettrait à la BCE de re­
monter ses taux. Pour cela, il fau­
drait que les salaires, puis les
prix, repartent à la hausse, ce qui
bizarrement n’est pas le cas, en
dépit des tensions sur l’emploi.
C’est le grand mystère des temps
modernes. Le chômage est au
plus bas, mais les salariés ne sont
plus en position de force pour né­
gocier (cas des Etats­Unis) et les
prix ne peuvent augmenter faute
d’innovation et face à la pression
concurrentielle (cas de l’Europe).
C’est pourquoi Mario repart inlas­
sablement au combat.

PERTES & PROFITS|BCE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

L’éternel combat


de Mario


Le pouvoir saoudien entend reprendre


la main sur le secteur pétrolier


Le patron d’Aramco a été remplacé par des fidèles du prince héritier, Mohammed Ben Salman


beyrouth ­ correspondant

A


nouveaux dirigeants,
nouvel élan. C’est le mes­
sage qu’a voulu envoyer
l’Arabie saoudite en réorganisant
la gouvernance de son industrie
pétrolière, la corne d’abondance
du royaume. Les deux postes­clés
de ministre de l’énergie et de pré­
sident du conseil d’administra­
tion de Saudi Aramco, la compa­
gnie pétrolière nationale, occu­
pés jusque­là par un technocrate
de haut rang, Khaled Al­Faleh, ont
été réaffectés à des proches du roi
Salman et de son fils, le très puis­
sant prince héritier Mohammed
Ben Salman, surnommé « MBS ».
Le premier a été confié au prince
Abdelaziz Ben Salman, fils du sou­
verain et demi­frère du dauphin,
jusque­là ministre d’Etat à l’éner­
gie et qui devient le premier mem­
bre de la famille royale à détenir ce
portefeuille dans l’histoire de la
monarchie saoudienne. Le second
a été attribué à Yasser Al­Rou­
mayyan, bras droit de MBS dans la
finance, qui cumulera cette nou­
velle casquette avec la direction
du fonds souverain saoudien, le
PIF (Public Investment Fund).
Ce regain de centralisation, qui
accroît encore un peu plus l’em­
prise du clan Salman sur les roua­
ges de l’Etat, vise à remettre sur

les rails le projet phare du prince
héritier : l’introduction en Bourse
de 5 % du capital d’Aramco, l’entre­
prise la plus rentable au monde.
Ce mégachantier, dévoilé en 2016,
mais ensablé depuis, est censé ap­
porter 100 milliards de dollars
(environ 91 milliards d’euros)
dans les caisses du PIF. Une
manne destinée à financer la di­
versification de l’économie natio­
nale, dont MBS a fait sa priorité.

Opacité historique
« Ce remaniement pourrait accélé­
rer l’entrée en Bourse d’Aramco,
prédit Robin Mills, spécialiste des
questions énergétiques dans la pé­
ninsule Arabique. Khaled Al­Faleh
n’était pas très enthousiaste vis­à­
vis de ce projet. Son remplacement
par Rumayyan, dont les vues reflè­
tent parfaitement celles de MBS, va
accentuer la pression sur l’entre­
prise pour qu’elle se conforme au
plan du prince héritier. »
La privatisation partielle
d’Aramco, qui trône sur les plus
grandes réserves d’or noir du
monde, a été suspendue au se­
cond semestre 2018, au moment
où elle devait être mise en œuvre.
Le prix du baril avait été alors jugé
insuffisant pour que le navire ami­
ral de l’économie saoudienne at­
teigne la valorisation espérée par
MBS : 2 000 milliards de dollars.

Mais ce coup d’arrêt résultait
aussi des résistances que le grand
dessein de MBS suscitait au ni­
veau interne. Au sein de l’adminis­
tration saoudienne, des voix s’in­
quiétaient du gouffre entre les exi­
gences de transparence des places
financières occidentales, candida­
tes à la cotation d’Aramco, et l’opa­
cité historique de cette institution,
dont les comptes ont longtemps
été un secret d’Etat. Khaled Al­Fa­
leh en faisaient partie.
Autre source d’inquiétude : en
cas d’introduction à Wall Street,
qui semblait avoir la faveur de
MBS, Aramco pourrait s’exposer
à des poursuites financières,
dans le cadre du JASTA (Justice
Against Sponsors of Terrorism
Act). Cette loi, passée par le Con­
grès en 2016, autorise les proches
des victimes des attentats du
11 septembre 2001 à attaquer
Riyad en justice, au motif que 15
des 19 pirates de l’air étaient des
ressortissants du royaume.
Le prince héritier a profité des
douze derniers mois pour tenter
de combler ces brèches. En août,
dans un rarissime exercice de
communication, Aramco a dé­
voilé ses résultats du premier se­
mestre – un bénéfice mirobolant
de 47 milliards de dollars. Afin de
renforcer sa cote auprès des in­
vestisseurs, le groupe a racheté

au PIF l’entreprise Sabic, géant de
la pétrochimie.
Amin Nasser, le PDG et numéro
deux d’Aramco, a affirmé que la
privatisation partielle du masto­
donte se ferait « très bientôt ». Se­
lon des sources citées par l’agence
Reuters, le royaume envisage de
procéder à petits pas, en commen­
çant par coter 1 % de l’entreprise au
Tadawul, la Bourse saoudienne,
d’ici à la fin de l’année, et 1 % sup­
plémentaire, sur le même marché,
en 2020. L’introduction sur une
place étrangère interviendrait ul­
térieurement, possiblement en
Asie, les Bourses de Hongkong et
de Tokyo obéissant à des règles de
transparence moins strictes que
Londres et New York.
L’évolution du marché pétro­
lier, très volatil, demeure une in­
connue. Sitôt nommé, le nouveau
ministre saoudien de l’énergie, le
prince Abdelaziz Ben Salman,
s’est dit favorable à la politique de
baisse de la production adoptée
en décembre 2018 par les pays de
l’OPEP et la Russie, en vue de faire
repartir les cours du brut à la
hausse. Une approche aux résul­
tats pour l’instant décevants.
Après avoir dépassé 75 dollars il y
a un an, le baril de brent est re­
tombé, jeudi 12 septembre, aux
alentours de 60 dollars.
benjamin barthe

30 %
C’est le rythme de l’inflation depuis le début de l’année en Argentine,
un taux parmi les plus élevés au monde. Au cours des douze derniers
mois, l’inflation a atteint 54,5 %, selon l’Institut national de statisti-
ques. L’Argentine est en récession depuis le deuxième trimestre de
2018, avec une dette qui frôle les 100 % du produit intérieur brut, un
taux de pauvreté à plus de 30 % et un taux de chômage à 10,1 %, selon
des chiffres officiels. Jeudi 12 septembre, pour faire face à l’augmenta-
tion de la pauvreté, les députés de la majorité et de l’opposition ont
voté une loi d’« urgence alimentaire » qui permet de débloquer des
fonds pour les programmes d’assistance aux plus démunis. – (AFP.)

C O N J O N C T U R E
Rome pour une
politique budgétaire
européenne plus
expansionniste
La zone euro a besoin d’une
politique budgétaire plus ex­
pansionniste, estime le nou­
veau ministre italien de l’éco­
nomie, qui souhaite en outre
exclure les dépenses pour les
« investissements verts » du
calcul des déficits structurels
des pays membres. Dans un
entretien publié vendredi
13 septembre par La Repub­
blica, Roberto Gualtieri, ex­
président de la commission
des affaires économiques et
monétaires du Parlement
européen, déclare aussi que le
nouveau gouvernement ita­
lien ne contestera pas les rè­
gles budgétaires de l’Union
européenne mais veut les
faire changer.

En France, les créations
d’entreprises quasi
stables en août
Les créations d’entreprises en
France ont été quasi­stables
au mois d’août, malgré une
baisse des immatriculations
de microentreprises, a an­
noncé vendredi 13 septembre
l’Insee. Sur un mois, le nom­
bre total de créations d’entre­
prises, tous types de sociétés
confondus, a légèrement pro­

gressé de 0,2 %, avec 67 985
sociétés enregistrées.

P R E S S E
« L’Opinion »
rachète « L’Agefi »
L’Opinion, quotidien présidé
par Nicolas Beytout, a an­
noncé, jeudi 12 septembre,
avoir racheté L’Agefi, groupe
de presse spécialisé dans l’in­
formation à destination des
professionnels de la finance.

T E X T I L E
Pronuptia en liquidation
judiciaire
Le distributeur français de ro­
bes de mariée Pronuptia, qui
emploie 234 personnes, a été
placé en liquidation judi­
ciaire par décision du tribu­
nal de commerce de Laval, a­
t­on appris, de sources
concordantes, jeudi 12 sep­
tembre, indique l’AFP.

B I O T E C H N O L O G I E
Carmat obtient un
accord aux Etats-Unis
pour un essai clinique
La medtech française Carmat,
qui développe un cœur artifi­
ciel, a annoncé jeudi 12 sep­
tembre avoir reçu le feu vert
de la Food and Drug Admi­
nistration pour lancer un es­
sai clinique de faisabilité aux
Etats­Unis, un pas pour accé­
der au marché américain.
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