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styles
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019
0123
le patchwork
de new york
« Nineties » ambiance country club chez
Brandon Maxwell, cinquante nuances
de pastel chez Tory Burch, défilé engagé
chez Pyer Moss... la mode newyorkaise
veut défendre son statut
MODE
new york envoyée spéciale
P
ragmatique », « commercial »,
« minimal », « sportswear », le
style américain a longtemps
vécu sur ces codes familiers et
confortables qui ont donné à New York
une aura de capitale mode hyperdyna
mique. Malgré l’apparent essoufflement
que traverse aujourd’hui cette Fashion
Week, les défilés pour le printempsété
2020 montrent que la mode newyor
kaise n’a jamais été aussi contrastée et
désireuse de changement. Il règne même
sur cette saison un esprit positif. Tour
d’horizon en cinq points.
Société du spectacle Procès diffusés en
direct à la télévision, président passé par
le monde de la téléréalité : dans la cul
ture américaine, tout est spectacle. Les
marques qui ont les moyens n’hésitent
pas à se lancer dans des superproduc
tions hyper« instagrammables ». Ralph
Lauren a ainsi transformé une banque de
Wall Street en club de jazz Art déco. Très
soir, la collection hiver (elle est déjà en
vente en boutique) reflète un idéal scott
fitzgéraldien de luxe, le côté languissant
et décadent en moins.
Déclinaison de smokings, vestes de sa
tin de couleur, robes longues brodées ar
gent, fourreaux de soie et velours ha
CRÉER DES VÊTEMENTS
ORIGINAUX ET DE PLUS
EN PLUS SOPHISTIQUÉS :
CHEZ PYER MOSS,
KERBY JEANRAYMOND
SAIT TOUT FAIRE, AVEC
SUBTILITÉ ET INTÉGRITÉ
NEW YORK | PRÊT-À-PORTER PRINTEMPS-ÉTÉ 2020
Tous les défilés mènent à Brooklyn
Pyer Moss au Kings Theatre, Tory Burch au Brooklyn Museum, Rihanna au stade des Nets...
nombre de créateurs disent byebye au traditionnel Manhattan
L
e choix d’un lieu de défilé ne
correspond pas seulement aux
goûts du designer, à l’histoire
qu’il ou elle a envie de raconter, ou
même à son budget. Il raconte aussi la
sociologie d’une ville. En trente ans, la
fashion week newyorkaise a connu
plusieurs migrations, qui racontent à
chaque fois une époque.
Dans les années 1990, alors que la
mode newyorkaise prend son essor,
autour de marquesphares comme
Calvin Klein, la majorité des shows se
tiennent à Bryant Park, au cœur de
Manhattan, dans d’immenses tentes
blanches. Un même décor pour tous
les créateurs. Et une mode américaine
qui se veut pragmatique, rigoureuse,
avec une touche de glamour façon
Carrie Bradshaw, dans Sex and the City.
De 2010 à 2015, ce cocon aseptisé se
déplace au Lincoln Center, une ruche
culturelle à l’architecture sévère et
grandiose, toujours à Manhattan.
L’ère des réseaux sociaux et du défilé
« instagrammable » va peu à peu ren
dre caduques ces lieux de défilés sans
caractère. Galeries d’art, entrepôts
désaffectés, gratteciel avec vue pano
ramique sur la ville, banques, gares,
musées... chaque designer veut désor
mais imposer sa patte par un décor
qui « claque ». Mais le périmètre de la
Fashion Week reste globalement res
treint, délimité au nord par le Metro
politan Museum et Central Park et, au
sud, par Wall Street. Mode américaine
rime alors avec esprit streetwear et ur
bain, incarné par les architectures de
béton brut ou les paradis de verre per
chés dans le ciel.
Depuis quatre ans, et cette saison en
core davantage, le règne de Manhat
tan s’est effrité. Les défilés s’aventu
rent au nord de Central Park : le 8 sep
tembre, par exemple, c’est à l’Apollo
Theater d’Harlem, lieuculte de la mu
sique noire américaine qui a accueilli
toutes les légendes d’Aretha Franklin à
James Brown, que Tommy Hilfiger a
choisi de défiler ; ambiance seventies,
façon décor de film.
Vue sur l’Hudson
Mais c’est surtout Brooklyn qui séduit
désormais les créateurs. Raf Simons
pour Dior, Alexander Wang ou Philipp
Plein avaient déjà ouvert la voie en op
tant notamment pour les grands en
trepôts avec vue sur l’Hudson, mais la
mode envahit désormais des lieux
culturels plus festifs et populaires. Le
8 septembre, pour conclure sa trilogie
sur l’héritage afroaméricain, le jeune
designer Kerby JeanRaymond, et sa
griffe Pyer Moss, a choisi de défiler
dans son quartier d’origine, Flatbush,
au Kings Theatre : un ancien com
plexe de cinéma des années 1930 à
l’opulence hollywoodienne, devenu
depuis une salle de spectacle.
Sur la 3e Rue, le Texan Brandon
Maxwell a recréé un faux club pour
noctambules, portant son nom en let
tres de néon rose. Plus sage, Tory
Burch a reçu au Brooklyn Museum, le
deuxième plus grand musée de la ville
après le Metropolitan, pour un show
sur fond de tableaux de Degas, Monet
et Renoir. Mardi 10, le défilé Savage X
Fenty de Rihanna avait investi le Bar
clays Center, un stade façon Bercy qui
accueille aussi bien les matchs à do
micile de l’équipe de basket des Nets
de Brooklyn que les concerts des Rol
ling Stones ou de Beyoncé. Sortie du
cadre, la mode newyorkaise renonce
aux anciens codes pour faire décou
vrir d’autres visages de la ville. Une
autre manière de se réinventer.
c. bi.
(new york, envoyée spéciale)
américaine. Il rend hommage à sœur Ro
setta Tharpe, pionnière du rock and roll
reléguée dans l’anonymat par l’histoire et
présentée au public par un discours en
thousiasmant de Casey Gerald, écrivain et
businessman. Sur scène, un orchestre et
un chœur rivalisent de puissance vir
tuose, tandis que passent des silhouettes
ultracolorées associant des imprimés ti
rés des œuvres de l’artiste Richard
Phillips, emprisonné à tort et libéré
en 2017 (l’homme a passé quarantecinq
ans en prison pour un meurtre qu’il
n’avait pas commis et peignait des aqua
relles aux couleurs lumineuses).
Silhouettes tailleur aux découpes gui
tare, robes de jersey de soie plissées gra
phiques et majestueuses croisent des
parkas, leggings, sweatshirts plus sport.
Revendiquer les droits d’une commu
nauté (représentée ici par un casting de
mannequins noirs), éduquer, partager
mais aussi créer des vêtements origi
naux et de plus en plus sophistiqués :
Kerby JeanRaymond sait tout faire, avec
subtilité et intégrité. A quand un appel
d’un grand groupe du luxe?
Glamour « nineties » Au pays du tapis
rouge, le sexy sophistiqué prend des
nuances qui évoquent différents visages
des nineties pour un luxe un peu plus
cool. En jean, veste tailleur de satin et pull
de cachemire sur une chemise mascu
line, les filles de Brandon Maxwell ont le
teint doré et la chevelure brillante ; leur
allure évoque un quotidien de country
club, immortalisé par les séries télé des
années 1990. Et cette femme épanouie a
désormais un compagnon pour lui don
ner la réplique, puisque la mode mascu
line lancée à l’occasion de ce show re
prend les mêmes codes.
Tom Ford a choisi de défiler dans une
station de métro désaffectée illuminée
de néon mauve. Dans les entrailles de
New York, il revisite les graphismes à
haut potentiel érotique qui ont fait son
succès chez Gucci dans les années 1990,
additionnés d’effets plus sport grunge.
Les shorts en cuir se portent avec des
vestes en satin, des sandales en cuir
drapé lamé, des collants à couture et un
billent des mannequins à l’allure très
« vieilles fortunes ». La chanteuse soul
Janelle Monae a fini son concert post
défilé comme dans les films : en dansant
sur les tables sans rien renverser.
Après avoir emmené son show en
tournée dans différentes grandes villes
(Los Angeles, Paris ou Milan), Tommy
Hilfiger revient à New York et investit
l’Apollo Theater d’Harlem, temple histo
rique de la musique noire américaine.
Pour présenter le dernier volet de sa col
laboration avec la chanteuse et actrice
Zendaya (plus de 61 millions d’abonnés
sur son compte Instagram), chanteurs et
musiciens installés pour certains dans
des voitures de collection type Thunder
birds assurent l’ambiance festive. Hom
mes et femmes de toute origine, mor
phologie et âge virevoltent dans la cour
dans des tenues très seventies (tailleurs
à pantalon évasé, robes en maille, faus
ses fourrures, etc.). Une mode aussi fa
cile à comprendre qu’à photographier
ou porter.
Les invités ont beaucoup « insta
grammé » (mais peu consommé) le vrai
buffet de petit déjeuner façon Alice au
pays des merveilles proposé par Tory
Burch au Brooklyn Museum. Certains
ont pris le temps d’admirer les Monet et
les Renoir de la salle où était présentée
une collection inspirée par la princesse
Diana dans un style jardin anglais – im
primés Liberty et nuances, façon « cin
quante nuances de pastel ».
Nouvelle star Nouveau membre du
conseil d’administration du CFDA
(l’équivalent américain de la chambre
syndicale parisienne), récemment nom
mé directeur artistique d’une nouvelle
division de Reebok, Kerby JeanRay
mond est la star de New York avec sa
marque Pyer Moss. Très attendu, son
défilé faisait salle comble au Kings Thea
tre de Brooklyn.
Son show est en fait le troisième volet
d’un triptyque visant à réhabiliter les con
tributions des Noirs à la culture populaire
Tommy Hilfiger.
CAITLIN OCHS/REUTERS