0123
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019 international| 3
En Israël, l’électorat arabe peine à
se mobiliser contre Nétanyahou
Les partis arabes présentent une liste unique pour les législatives
du 17 septembre, à la différence du scrutin d’avril
REPORTAGE
shefa amr (israël) envoyé spécial
L
e député Ayman Odeh,
tête de liste des partis ara
bes aux législatives israé
liennes du 17 septembre, a
l’art de résumer un rapport de
force en une image. Mercredi
11 septembre, il s’est levé preste
ment de son banc à la Knesset. Il a
allumé la caméra de son télé
phone portable et s’est planté de
vant Benyamin Nétanyahou, bra
quant l’objectif de son appareil à
quelques centimètres du nez du
premier ministre.
M. Nétanyahou s’était rendu au
Parlement pour l’exhorter à auto
riser la surveillance des bureaux
de vote, le 17 septembre, par des
militants de son parti, le Likoud,
équipés de caméras. Une manière
d’intimider les électeurs arabes,
descendants de familles demeu
rées sur leurs terres après la créa
tion de l’Etat d’Israël, en 1948. Le
Likoud a déjà testé ce procédé illé
gal, en toute impunité, lors des
dernières législatives, en avril.
Cet amendement à la loi électo
rale ne passera pas : M. Nétanya
hou n’a plus de majorité. Mais il
mobilise sa base droitière en agi
tant l’épouvantail du vote arabe.
« Il n’y a aucun doute : cela aura un
effet sur la vieille génération, qui a
connu la domination militaire is
raélienne. Mais nous espérons que
cela encouragera les jeunes à réagir
et à voter, cette fois », indiquait au
Monde M. Odeh, mardi.
« Un système d’apartheid »
Il venait d’encaisser ce jourlà,
dans un restaurant des alentours
de Shefa Amr (Nord), où il faisait
campagne, le dernier uppercut de
M. Nétanyahou. En direct à la télé
vision, le premier ministre avait
annoncé son intention d’annexer
unilatéralement la vallée du
Jourdain, vaste territoire palesti
nien occupé en Cisjordanie, au
lendemain du vote. Consterna
tion dans le restaurant. « Le pre
mier ministre va tuer toute possibi
lité de paix, et transformer Israël
en un système d’apartheid », af
firme M. Odeh, avant d’aller sa
luer les familles, de table en table.
Le député peine à les mobiliser.
En avril, la moitié des électeurs
arabes se sont abstenus, infligeant
une gifle à leurs représentants, qui
avaient refusé de se présenter unis
après une expérience réussie
en 2015. La minorité arabe a pour
tant les moyens de contribuer à la
chute de « Bibi » Nétanyahou, au
pouvoir sans interruption depuis
2009, dans un scrutin qui pourrait
se jouer à quelques milliers de
voix. Elle représente environ 20 %
de la population israélienne.
Le 30 août, M. Odeh a tenté de
briser le statu quo, en se disant
prêt à rejoindre une future coali
tion de gouvernement avec des
partis sionistes, contre M. Néta
nyahou. Il n’avait pas consulté au
préalable ses colistiers, suscitant
parmi eux de vives critiques. Cet
avocat socialiste n’en a cure : il est
populaire. A 44 ans, chacun lui re
connaît une vision. Il entend dé
senclaver le vote arabe, et se veut
un jour ministre.
Sa main tendue a été rejetée par
la formation Bleu Banc, qui fait jeu
égal dans les sondages avec le
Likoud, et qui tente d’échapper
aux critiques de « Bibi ». « Ils ne
s’attendaient pas à ce que nous pro
posions une telle ouverture, mais
nous avons mis au jour leur ra
cisme et leur véritable visage », es
time M. Odeh.
Cette marginalité désespère ses
électeurs, qui veulent peser sur le
gouvernement. Ils voudraient in
fluencer l’allocation des budgets
de l’Etat à leurs villes. Nombre
d’entre eux exigent le déploie
ment de policiers dans leurs rues.
Des Arabes, si possible, mais ils
sont réalistes ; des policiers juifs fe
raient l’affaire. Les commissariats
sont peu nombreux et peu actifs.
Les 41 000 habitants de Shefa Amr,
en Galilée, comme ceux du « trian
gle » des villes arabes du Nord,
sont las de voir les mafias prospé
rer, depuis dix ans, sur l’efface
ment des partis politiques, et
ponctionner une petite classe
moyenne en relative croissance.
Le « nettoyage » musclé, en 2015,
de la ville côtière à majorité juive
de Netanya, foyer régional de
groupes criminels juifs et arabes, a
poussé l’une de ces familles ma
fieuses à se retrancher à Shefa
Amr. Elle s’efforce d’intégrer le
conseil municipal. Au printemps,
un règlement de comptes à un car
refour du centre, pour une histoire
de terrain agricole, a fait le troi
sième mort de l’année dans la
ville. « C’est une simple question de
volonté politique : l’Etat a montré
qu’il pouvait le faire à Netanya »,
soupire l’avocat Reda Jaber, qui
lutte contre la criminalité dans les
zones arabes. L’an dernier,
soixante et onze meurtres y ont
été commis, soit les deux tiers du
nombre total national.
Ce ressentiment pèse sur la cam
pagne de la liste arabe, dont l’unité
temporaire laisse les électeurs du
bitatifs. En meeting à Shefa Amr, le
11 septembre, M. Odeh et trois
autres représentants de la liste ont
attiré à peine cent personnes, dans
une impasse mal éclairée. Attablé
dans un restaurant voisin, Ali Yas
sine (le nom a été changé à la de
mande de l’intéressé), étudiant en
médecine de 23 ans, se disait pour
tant prêt à voter : « Je paie des taxes,
je travaille et je veux faire tomber
Nétanyahou », affirmetil, défiant
trois camarades assis à ses côtés.
Ceuxlà en veulent trop à leurs re
présentants et à l’Etat israélien
pour se rendre aux urnes.
louis imbert
« Je paie des taxes,
je travaille, et je
veux faire tomber
Nétanyahou »,
affirme un étudiant
en médecine
La pression s’accroît sur
l’opposition en Algérie
Karim Tabbou, un leader de la contestation,
a été interpellé et risque dix ans de prison
L’
étau sécuritaire et judi
ciaire se resserre autour
des figures de la contesta
tion en Algérie, à quelques jours
de la convocation probable du
corps électoral par le président par
intérim, Abdelkader Bensalah, en
vue de l’organisation d’une prési
dentielle avant la fin de l’année.
Il ne se sera pas passé vingt
quatre heures avant que le pou
voir algérien ne passe, cette fois,
de la parole aux actes. « Hordes »,
« logique de bande », « parties hos
tiles » : mercredi 11 septembre, le
chef d’étatmajor de l’armée et di
rigeant de facto du pays, Ahmed
Gaïd Salah, a une nouvelle fois vi
vement attaqué les opposants à
la sortie de crise qu’il préconise –
une élection dans les plus brefs
délais – alors que les manifesta
tions demandant le départ du ré
gime reprennent de la vigueur
depuis la rentrée.
Après de nombreuses heures
sans nouvelles, jeudi 12 septem
bre, les proches et avocats de Ka
rim Tabbou, porteparole de
l’Union démocratique et sociale
(UDS), ont appris sa présentation
devant le procureur de Koléa, à
l’est d’Alger. Poursuivi pour « en
treprise de démoralisation de l’ar
mée » puis placé en détention
provisoire, il risque jusqu’à dix
ans de prison.
Karim Tabbou avait été inter
pellé la veille, à son domicile d’Al
ger, par deux hommes en civil. Sa
disparition a très vite suscité une
vague de condamnations du côté
de l’opposition, à l’image du prési
dent du Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD, op
position laïque), Mohcine Belab
bas, qui dénonçait, jeudi matin,
« des pratiques de mercenaires ».
Après Louisa Hanoune, la secré
taire générale du Parti des tra
vailleurs, arrêtée et incarcérée le
9 avril, Karim Tabbou est la
deuxième personnalité de l’op
position à dormir aujourd’hui en
prison. Il est également le
deuxième à être poursuivi sous
le chef d’inculpation d’« entre
prise de démoralisation de l’ar
mée ». L’autre est le vétéran de la
guerre d’indépendance et ancien
commandant de l’Armée de libé
ration nationale (ALN), Lakhdar
Bouregaa, 86 ans, incarcéré de
puis le 30 juin et qui, lui aussi,
s’est distingué par ses critiques
virulentes à l’endroit du chef
d’étatmajor de l’armée.
L’Algérie, « grande caserne »
A Karim Tabbou il serait notam
ment reproché des propos tenus
le 8 mai, en marge des commé
morations des massacres du
8 mai 1945. Ce jourlà, à Kherrata,
à 250 kilomètres à l’est d’Alger,
dans cette ville symbole des tue
ries de 1945, et qui est aussi un
berceau de la contestation ac
tuelle, il avait notamment accusé
le général Gaïd Salah de « violer
luimême la Constitution qu’il
cherche à [nous] imposer. »
« Le chef de l’étatmajor assure
qu’il ne fait pas de politique, il as
sure qu’il protège l’institution mili
taire et, dans le même temps, c’est
celui qui donne des ordres au Par
lement, au Conseil constitution
nel, et il considère aujourd’hui l’Al
gérie comme la plus grande ca
serne de la région. Mais nous ne
sommes pas des caporaux »,
avaitil asséné.
Tribun et débatteur pugnace
dans les deux langues du pays,
l’arabe et le tamazight, et figure
montante de l’opposition algé
rienne, le porteparole de l’UDS
est l’une des rares personnalités
politiques à avoir émergé depuis
le début du hirak, le mouvement
populaire qui a conduit au départ
de l’ancien président, Abdelaziz
Bouteflika, début avril. Il en in
carne l’aile la plus contestataire.
Autre voix de cette contesta
tion, l’avocat Salah Dabouz a, lui,
été agressé à l’arme blanche par
un homme cagoulé, lundi soir à
Ghardaïa, à 600 kilomètres d’Al
ger. « Il y a une responsabilité mo
rale des hommes politiques qui
produisent un discours de rejet en
accusant des gens d’être des traî
tres à la solde de l’étranger », a dé
noncé ce défenseur des droits des
Mozabites (des Berbères de rite
ibadite, minoritaire en Algérie),
joint par le quotidien ElWatan.
C’est dans ce climat pesant que
les autorités accélèrent les prépa
ratifs de la prochaine présiden
tielle, en assurant avoir répondu
aux demandes de leurs oppo
sants. Deux textes modifiant la
loi électorale ont été votés par le
Parlement cette semaine, instau
rant une autorité électorale indé
pendante. Et ouvrant la voie à la
convocation du corps électoral.
madjid zerrouky