Le Monde - 14.09.2019

MLemagazine du Monde —14 septembre 2019

•••–albumsdeTintinetpiècesd’art
cont emporain –oùsecroisentdeux
gênes mutuelles.
Et pourtant, il fallaitbienlarencontrer,
Salwa Smaoui,pourparlerdeNabil
Karoui,candidat dontl’absence adominé
la campagneprésidentielle en vuede
l’él ection du15 septembreenTunisie.
«Elleestbeaucoupplusintéressante
quesonmari»,glissent de nombreux
Tunisiens, séduitspar cetteexecutive
womanquitravaillepourMicrosoft. Bien
sûr, elle ne sauraitagréer, ce jugement
étantpeu amène pour le magnat
de la télévision arrêté le 23aoûtdans
le cadred’une trouble affaire d’«évasion
fiscale »et de«blanchimentd’argent».
«Nabilestvictimed’uneinjustice
insupportable»,proteste-t-elle.
Favori des sondages, lepatron de la chaîne de
télévision nessmaest le candidat paradoxal
par excell ence.Virtuosedes affaires,
voiredel’affairisme, et communiquant de
choc,ils ’est sculpté uneimagedecham-
pion des pauvres àforce de largesses
distribuées dansles villagesdelaTunisie
intérieure.Candidat écarté,ilacomme
hantécette bienétrange campagne. Une
chaise vide trop ostensible,absence
envahiss ante.C’est que la prison –pré-
ventiv e–nel’a pasradié de la liste des
vingt-six candidats. Il est toujours formel-
lementenlice. Privédecampagne, il a
simplementété remplacé au piedlevé
par sonépouse,qui courtles estradesde
GafsaàSfaxenpassantpar Mahdia.
Salwa en doubluredeNabil,les cript
imprévu. Et le Landerneautunisoisde
s’enfiévrer d’analyses politologiques.
NabilKarou iva-t-il pouvoir conserver
l’avanceque luiconféraientles son-
dages?Son effacementphysique va-t-il
doper ou entamer sacote?
Unefoispar semaine, Salwa rend visite à
Nabil–encompagnie de safille et de sa
belle-mère–àlapriso ndeMornaguia,
prèsde Tunis.«Ilestplus quejamais
déterminé »,confie-t-elle. Séancesde
musculationetlectures–biographies
d’hommesd’État (Churchill,Atatürk,
Napoléon...) ou BD –lui permettentde
romprel’oisivetéforcée. Salwa n’en
démordpas :«Nabilestun prisonnierpoli-
tique.Ilestenprisonalorsqu’il n’ajamais
mislespiedsdansuntribunal.Iln’afait
l’objetpourl’instantd’aucunecondamna-
tion.Aucunepreuven’aétéapportéeaux
accusationsformuléescontrelui. Quefait-
ondelaprésomptiond’innocence?»
Parfois, Salwa chercheses mots.Au
détour d’uneidée, l’anglaislui vientplus
aisémentque le français. Formée aux
États-Unis –elleasuivi desétudesd’ingé-
nierieindustrielle dans l’Oklahoma–,elle
est entrée chez Microsoften2006.Elle y

futdirectricegénérale pourlaTunisie

avantd’êtrechargée de la«numérisation

desgouvernements»pourl’Afrique et le

Moyen-Orient.Son parcours est le produit

de l’ ascenseursocialmis en mouvement

par le modèlerépublicaind’Habib

Bourguiba, le «pèredel’indépendance».

Filled’uncadre de l’ industrieduphos-

phate àGafsa,aucœurd’unSud tunisien

plutôtmarginalisé, elle afini par se hisser

dans le ssphères d’uneélite imprégnée

de mondialisation.

Si Salwa chercheses mots,c’est qu’illui

est pénible de commenterleprocèsfait

àson mari.Elleconnaîtsaréputation

sulfureuse.LeTout-Tunisbruit d’histoires

surses pratiquesdecorsa iredes affaires.

En 2016, un rapportdel’ONG IWatch,

bran chetunisiennedeTransparency

International,avait alertésur lessoup-

çons d’évasionfiscale au sujetdela

chaîneNessma, dontNabil Karoui est le

coactionnaire auxcôtés de SilvioBerlus-

coni et du producteurTarakBenAmmar.

C’est ce rapportqui ainspiréune plainte

ayantentraînéson arrestation. L’imagede

NabilKarou iaaussiété entachée par des

enregistrements–ayant fuitéen2017 –

où on l’entendaitexhorterses équipes à

déclencher unecampagnedediffamation

publique contreundes lanceurs d’alerte

d’IWatch,notammentencolportantdes

ragots sursavie privée.

Salwa sait tout cela.«Jesuissafemme,

maisjesuisaussisaplusgrande critique »,

dit-elle.«Ilpeutêtreborderlinecaril est

unagitateurd’idées,ajoute-t-elle.Il peut

mêmedevenirfatigantavecsesidées

invraisemblables.»Elle maintientpourtant

sa ligne de défense:«Lesaccusations

d’évasionfiscalen’ontjusqu’àprésentpas

étéconfirméesparl’enquête.Il s’agissait

de conversationsprivéesquin’ontpas

débouchésurdesactionsconcrètes.»

Unechose est sûre cependant:Nabil

Karoui abienutilisésachaîneNessma

poursalir l’imaged’I Watchenprésentant

l’organisation commeétant«financée

del’étranger»,vieilleficell edes

campagnes de dénigrement.

Mais tout cela ju stifie-t-il d’envoyer le

candidat Karoui derriè re lesbarreaux,

en pleine campagneélectorale?Salwa

ne doute pasunseulinstant qu’«ilscher-

chentàl’éliminercaril gêne ».Le point

de rupture, selonelle,

est la popularité qu’il

aengrangéeenvisi-

tant et en aidantles

villagespauvres

de la Tunisiedélais-

sée, àl’écart du litto-

ralprospère.«En

révélantcettemisère,

il adérangélaclasse

politiqueaupouvoir. »

Et ce que ne com-

prennentpas ses

détracteurs,c’est

que«Nabilavraiment

changé »,insiste-

t-elle.L’homme

d’affairesconquér ant

s’est mué, dit-elle,en

«hommehabitépar

lacausedelalutte

contrelapauvreté ».

Un dramefamilial a

provoqué le déclic.

Salwa admetque

la mortdeleurfils

Khalil,àl’été 2016,

àl’âge de20 ans,

dans un accidentdevoiture prèsde

Tunis, abouleverséles priori tésdeson

mari.«Àchaquefoisqu’ilaidaitquelqu’un,

racont e-t-elle,il s’entendaitrépondre:

“Paixàl’âmedeKhalil.” Laluttecontre

lapauvretél’aaidéàapaisersadouleur,

àseconnecteràKhalil.»Voix tr emblante,

Salwa écraseunelarme.«Lamisère,

il atenuàlaregarderenface.Vous

savez, onaurait purestertranquilleavec

notre villa,notrepiscineetnos

vacancesauski.»Une conviction habite

désormai sSalwa :«Tantqu’il n’yaura

pasdepaixsocialedanscepays,les

privilégiésque noussommesnepourront

pasréellementvivreenpaix.»Dehors,

la nuit tièdetombesur lesdouces

villas de Carthagecerné es de bougain-

villi ers.Frédéric Bobin

Donnéfavori par les sondages,

le magnatdelatélévision NabilKaraoui

aété arrêtéle23août dans le cadred’une

affaired’évasion fiscale (ici, lors du dépôt

de sa candidature, le 2août, àTunis).

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Hasna/AFP