Le Monde - 14.09.2019

(Michael S) #1

6 |international SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019


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Trump entretient l’idée d’une désescalade avec l’Iran


Le président suscite l’inquiétude des partisans de la ligne dure, affaiblis par le limogeage de John Bolton


washington ­ correspondant,

O


fficiellement, rien n’a
changé. Officielle­
ment la « pression
maximale » reste l’op­
tion choisie par Washington pour
contraindre Téhéran à négocier
un accord plus contraignant que
celui de 2015 pour son pro­
gramme nucléaire. Une stratégie
diplomatique qui vise également
à contenir ses ambitions régiona­
les et à brider son programme ba­
listique. Le secrétaire au Trésor,
Stephen Mnuchin, l’a encore con­
firmé, jeudi matin 12 septembre,
précisant qu’une rencontre entre
Donald Trump et son homologue
iranien, Hassan Rohani, n’est pas
à l’ordre du jour pour l’instant,
alors que les deux hommes parti­
ciperont, dans deux semaines, à
l’Assemblée générale des Nations
unies, à New York.
Le départ du conseiller à la sécu­
rité nationale du président des
Etats­Unis, John Bolton, a pour­
tant privé les tenants d’une ligne
intransigeante de l’un de leurs
meilleurs avocats. Les autres
rouages majeurs de la diplomatie
américaine, le secrétaire d’Etat
Mike Pompeo et Stephen Mnu­
chin, qui supervise l’arsenal des
sanctions, sont réputés plus ac­
commodants avec le président
des Etats­Unis.
En quête d’un succès internatio­
nal, à un peu plus d’un an de
l’élection présidentielle de 2020,
ce dernier n’exclut pas une ren­
contre suggérée par le président
de la République française, Em­
manuel Macron, lors du G7 orga­
nisé à Biarritz, à la fin du mois
d’août. Ce dernier s’efforce d’obte­
nir de Washington qu’il ne s’op­
pose pas à l’ouverture d’une ligne
de crédit de 15 milliards de dollars
au bénéfice de Téhéran, pour le
prix d’une désescalade.

Hostilité commune
Donald Trump ne cesse d’affir­
mer que « l’Iran a changé » depuis
son arrivée à la Maison Blanche,
et il porte ce changement sup­
posé à son crédit. Interrogé mer­
credi, il n’a pas exclu une suspen­
sion de sanctions pour faciliter
une entrevue. « Nous verrons,
nous verrons », a­t­il lâché, évasif.
« Si nous parvenons à un accord,
c’est bien. Si ce n’est pas possible,
cela va aussi. Mais je pense qu’ils
veulent aboutir, ils n’ont jamais
été dans une telle position »
compte tenu du garrot imposé
par Washington sur l’économie

iranienne. « Je peux vous dire que
l’Iran veut une rencontre », a­t­il
assuré, jeudi.
Le président n’a tracé pour l’ins­
tant qu’une ligne rouge : le pro­
gramme nucléaire, sans men­
tionner les autres exigences amé­
ricaines. « Nous ne pouvons pas
laisser l’Iran disposer d’une arme
nucléaire, et ils ne l’auront jamais.
Et s’ils pensent à l’enrichisse­
ment [de l’uranium nécessaire
pour un usage militaire], ils peu­
vent l’oublier », a­t­il insisté. Rien
d’inacceptable pour Téhéran qui
assure ne pas vouloir se doter de
l’arme suprême.
Ce flou suscite déjà, à Washing­
ton, l’inquiétude des partisans de
la ligne dure. Le 6 septembre, au
cours d’une conférence à l’Hudson
Institute, un cercle de réflexion
conservateur, le sénateur du Texas
Ted Cruz a mis en garde le secré­
taire au Trésor. « J’espère et prie
pour que Steven Mnuchin ne soit
pas dupé et qu’il ne s’engage pas
dans une voie qui en ferait le Neville
Chamberlain des temps moder­
nes », a­t­il dit dans une lourde al­
lusion aux accords de Munich.

Mark Dubowitz, directeur exé­
cutif du cercle de réflexion Foun­
dation for Defense of Democra­
cies, très hostile à l’accord de 2015,
estime que toute « pause » consti­
tuerait « une erreur ». « Quinze mil­
liards de dollars, c’est l’équivalent
de six mois de vente de pétrole par
l’Iran », assure­t­il. « Accepter la li­
gne de crédit, c’est faire du Obama
2.0. Ce dernier s’était précipité pour
négocier alors que l’Iran était au
bord du gouffre, et l’accord conclu
avait laissé en place l’infrastruc­
ture nucléaire de l’Iran sans rien
changer de son attitude régionale,
comme on l’a vu en Syrie », ajoute­
t­il, « il ne faut jamais montrer son
empressement à négocier ».

En Iran, conservateurs et réfor­
mateurs se félicitent de l’an­
nonce de la démission du faucon
de la Maison Blanche. A Téhéran,
Bolton est une vieille connais­
sance. Sous la présidence de
George W. Bush, il était déjà le vi­
sage de la ligne la plus dure à
l’égard de l’Iran, celle qui prônait
le changement de régime, si be­
soin par la guerre. On se souvient
aussi en Iran de sa relation rému­
nérée avec des opposants en exil,
longtemps considérés comme
terroristes par Washington, les
Moudjahidin du peuple.
Dans un trait d’esprit maintes
fois repris, le ministre des affai­
res étrangères iranien, Javad Za­
rif, avait placé Bolton dans ce
qu’il avait baptisé la B Team,
l’« équipe B », regroupant des in­
dividus ayant en partage l’ini­
tiale B et une hostilité pour
l’Iran : le premier ministre israé­
lien, Benjamin Netanyahou, le
prince héritier saoudien, Mo­
hammed Ben Salman, et son voi­
sin émirati le prince héritier Mo­
hammed Ben Zayed. Elle vient
donc de perdre un membre émi­

nent, et Téhéran s’en réjouit.
En février, à l’occasion des
40 ans de la révolution islami­
que, John Bolton avait assuré,
dans une vidéo à l’attention du
Guide suprême iranien, que son
régime n’aurait « pas beaucoup
plus d’anniversaire à célébrer ».
« Nous, nous sommes toujours là,
et lui est parti. En licenciant celui
qui soutenait le plus la guerre et le
terrorisme économique [contre
l’Iran], la Maison Blanche rencon­
trera peut­être moins de difficul­
tés à comprendre l’Iran », s’est
ainsi félicité, dans un Tweet, Ali
Rabii, le porte­parole parole du
gouvernement iranien, au diapa­
son des commentateurs politi­
ques du pays, toutes tendances
confondues.

« S’éloigner du précipice »
Mais ce nouveau développement
constitue­t­il une invitation à re­
doubler les efforts diplomatiques
ou la validation à tenir une ligne
intransigeante face à Washing­
ton? Hassan Rohani a pour sa
part déclaré, mercredi, que le dé­
part de John Bolton n’était pas

suffisant, appelant l’administra­
tion Trump à se débarrasser non
seulement de ses « bellicistes »,
mais aussi de ses « politiques belli­
cistes » annonçant que l’Iran allait
continuer à résister à la « pression
maximale » américaine.
Le site d’information conserva­
teur Mashregh News, proche des
services de sécurité iraniens, voit
même dans le départ de Bolton
une nouvelle victoire de la « résis­
tance » iranienne. Les durs y dé­
celant une légitimation du choix
de la dissuasion qui s’était no­
tamment illustré par la destruc­
tion d’un drone américain par les
forces iraniennes, le 20 juin.
A cet acte, qui avait porté la con­
frontation entre Téhéran et
Washington au bord du gouffre, le
président américain avait assuré
avoir renoncé à répondre au der­
nier moment, laissant la Républi­
que islamique savourer sa vic­
toire. « Ce qui a coûté son influence
à Bolton, c’est la force de la résis­
tance, pas des négociations lors de
voyages inappropriés à New York
ou Paris », juge ainsi l’organe con­
servateur, ne manquant pas de
critiquer, à mots à peine couverts,
les efforts diplomatiques esti­
vaux de M. Zarif.
« La stratégie iranienne était
d’alimenter les divisions entre Bol­
ton et Trump », rappelle Ariane
Tabatabai, spécialiste de l’Iran à la
Rand Corporation, un cercle de
réflexion lié à l’armée améri­
caine : « Téhéran peut être amené
à percevoir son départ comme un
succès, ouvrant la voie à d’autres
victoires et incitant la République
islamique à pousser son avantage
en faisant monter la pression, ce
qui fait peser un risque supplé­
mentaire d’escalade. »
« L’Iran et les Etats­Unis ont cer­
tainement une occasion unique de
s’éloigner du précipice et de se diri­
ger vers la table des négociations »,
estime Ali Vaez, de l’International
Crisis Group. « Mais cela implique
que Washington réalise que Téhé­
ran ne négociera pas avec une
arme sur la tempe, et que l’Iran re­
connaisse que le coût politique
d’une séance photo avec Trump
est bien inférieur au coût économi­
que de sanctions draconiennes »,
ajoute­t­il, notant que la média­
tion française offre « le meilleur et
probablement le dernier espoir de
réduire les tensions avant que les
calendriers électoraux en Iran et
aux Etats­Unis ne créent des obsta­
cles » à la diplomatie.
gilles paris
et allan kaval (à paris)

Primaire démocrate : réveil du centre et des « petits » candidats


L’ancien vice­président Joe Biden, toujours en tête des sondages, a de nouveau fait l’objet de nombreuses attaques de la part de ses rivaux


washington ­ correspondant

P


our la première fois, tous
les candidats à l’investi­
ture démocrate pour la
présidentielle de 2020 ayant ré­
pondu aux critères de sélection
pour les débats ont partagé la
même scène dans une université
de Houston, au Texas, jeudi
12 septembre. Placé au centre en
raison de son statut de favori
dans les intentions de vote, l’an­
cien vice­président Joe Biden
était encadré par les deux candi­
dats les plus à gauche, le sénateur
du Vermont Bernie Sanders, pé­
nalisé ce soir­là par une voix
éraillée, et la sénatrice du Massa­
chusetts Elizabeth Warren, une
redoutable débatteuse.
Comme lors des deux premiers
exercices, Joe Biden, 76 ans, a subi
le plus grand nombre de piques.
Comme à son habitude, il a sou­
vent bredouillé ses réponses,
même s’il a fait preuve au début

des échanges d’une énergie qui
s’est ensuite émoussée. L’ancien
secrétaire au logement Julian Cas­
tro, qualifié d’extrême justesse, a
brisé un tabou en l’attaquant par
allusion sur son âge. « Avez­vous
déjà oublié ce que vous avez dit il y
a deux minutes? », a­t­il répété
dans le vide, Joe Biden choisissant
d’ignorer l’affront. Un coup bas
peu apprécié dans la salle.
Le trio des candidats de tête n’a
pourtant pas marqué une soirée
qui a été au contraire l’occasion,
pour une partie des postulants les
plus distancés, d’échapper à l’ano­
nymat. La sénatrice du Minnesota
Amy Klobuchar, à la peine depuis
sa déclaration de candidature, a
ravivé ses galons de pragmatique
en pointant le coût exorbitant, se­
lon elle, du système de santé uni­
versel défendu par le sénateur du
Vermont. « Bernie a écrit le projet
de loi, et, moi, je l’ai lu, a­t­elle
lancé, ce n’est pas quelque chose
d’audacieux mais de mauvais. »

Ancien élu d’El Paso, la ville
frontière du Texas frappée par
une fusillade de masse en août,
l’ancien représentant Beto
O’Rourke a retrouvé la passion
qui semblait l’avoir fui au cours
des deux premiers débats. Prô­
nant l’audace en matière de con­
trôle des armes, il s’est déclaré
crânement en faveur d’une con­
fiscation des armes de guerre
après avoir détaillé les blessures
qu’elles pouvaient infliger. « Bien
sûr qu’on va prendre votre AR­15,

votre AK­47! », a­t­il promis en
pointant du doigt les armes semi­
automatiques les plus utilisées
dans ces fusillades.
Le benjamin de la course, Pete
Buttigieg, maire d’une ville mo­
deste de l’Indiana, s’en est pris à la
stratégie de négociation avec la
Chine de Donald Trump, jugée dé­
sastreuse. « Quand je me suis lancé
dans cette course, je me souviens
que le président Trump s’est mo­
qué de moi et qu’il a dit qu’il aime­
rait bien me voir à l’œuvre pour
conclure un accord avec Xi Jinping.
Ce que j’aimerais bien voir, moi,
c’est qu’il y arrive », a­t­il lancé.
Tout au long du débat, le séna­
teur du New Jersey Cory Booker a
fait étalage de son aisance, que ne
traduisent pourtant pas ses inten­
tions de vote pour l’instant. Pas­
sionné et précis, il a mis de plus les
rieurs de son côté après que plu­
sieurs candidats avaient prononcé
quelques phrases en espagnol.
Lorsque l’un des animateurs, Jorge

Ramos, lui a demandé s’il comp­
tait faire l’apologie de son régime
végan pour sauver la planète, le
candidat lui a répondu : « Tout
d’abord, je veux dire que non [no] et
en fait, je vais vous le traduire en es­
pagnol, non [no] », a­t­il rétorqué.

Impasse sur le climat
Le démocrate qui a passé la
meilleure soirée n’était pas sur
scène, jeudi soir. Il s’agissait de
l’ancien président Barack Obama,
qui a littéralement croulé sous les
hommages appuyés, à commen­
cer par ceux de Joe Biden, qui tente
de faire sien l’héritage du prédé­
cesseur de Donald Trump. Cette
évocation de Barack Obama a
coïncidé avec le réveil du centre.
Alors que l’aile gauche a réussi à
imposer jusqu’à présent les ter­
mes du débat, les pragmatiques
ont repris de la voix.
« Pourquoi ne pas faire confiance
aux Américains? », a demandé Pete
Buttigieg, pour clore le débat qui

oppose les deux camps démocra­
tes à propos de l’extension d’une
couverture santé publique. Les
centristes veulent la conjuguer
avec le maintien des assurances
privées financées par les em­
ployeurs, alors que Bernie Sanders
et Elizabeth Warren prônent la na­
tionalisation de l’ensemble du sys­
tème. Rapportée aux autres thè­
mes, cette question a accaparé la
plus grande partie de la soirée,
alors que les animateurs ont au
contraire presque fait l’impasse
sur le climat.
Avec trois femmes, deux Afro­
Américains, un candidat hispa­
nophone, un autre d’origine asia­
tique, et un maire ouvertement
homosexuel, le plateau de jeudi
soir a montré une diversité que le
Parti démocrate veut transfor­
mer en force électorale. Mais il n’a
pas permis de dire derrière quel
chef de file incontesté cette der­
nière pourrait se regrouper.
g. p.

L’ancien
président
Barack Obama
a littéralement
croulé sous
les hommages
appuyés

Donald Trump, à Baltimore (Maryland), jeudi 12 septembre. LEAH MILLIS/REUTERS

« Je pense qu’ils
veulent aboutir,
ils n’ont jamais
été dans une telle
position »
DONALD TRUMP
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