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SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019 international| 7
Singapour : crise familiale à la tête de l’Etat
Le premier ministre et sa fratrie sont en désaccord sur les dernières volontés de leur père
singapour envoyé spécial
D
ire que le torchon
brûle dans la famille
du premier ministre
singapourien Lee Hsien
Loong relève désormais de
l’euphémisme. Les relations entre
le chef du gouvernement avec son
frère et sa sœur se sont dégradées
au point que la querelle prend dé
sormais une dimension politique.
Et la période est sensible : les Sin
gapouriens pourraient être appe
lés aux urnes d’ici à la fin de l’an
née ou début 2020.
A la racine de la guerre fratricide
entre les Lee, une polémique cen
trée autour d’un héritage person
nel et symbolique de leur père, Lee
Kwan Yew, fondateur de Singapour
et architecte de la flamboyante
réussite de la CitéEtat, plus riche
nation du SudEst asiatique. Mort
en 2015 à 91 ans, Lee père, qui avait
transmis les rênes du pouvoir à
son fils, Lee Hsien Loong, onze ans
plus tôt, avait émis un vœu précis :
à aucun prix la maison qu’il oc
cupait dans un quartier résiden
tiel ne devait être transformée en
musée dédié à sa mémoire. Au
motif que, si le patriarche avait
toute raison d’espérer que la flam
boyance de son héritage économi
que soit vantée par ses 5,6 millions
de concitoyens, Lee senior n’en
tendait pas pour autant faire l’ob
jet d’un culte de la personnalité.
Cette rare modestie pour un
homme de sa stature aura eu des
conséquences imprévues, post
mortem : Lee Wei Ling et Lee
Hsien Yang, respectivement sœur
et frère du premier ministre, se
plaignent du fait que la maison n’a
toujours pas été détruite, comme
l’avait exigé leur père. Ils soupçon
nent le chef du gouvernement de
vouloir instrumentaliser cet héri
tage immobilier à des fins politi
ques. Et si personne n’est en me
sure de prouver que Lee Hsien
Loong ait bien l’intention cachée
de faire de cette maison un sanc
tuaire en mémoire du père dis
paru, la polémique ne cesse d’en
fler : alors que la fratrie rebelle et
l’épouse du premier ministre ont
à plusieurs reprises échangé des
amabilités sur les réseaux so
ciaux, la polémique enfle et, de
puis des mois, vogue au rythme de
rebondissements en révélations
plus ou moins croustillantes.
Un tour plus politique
La conséquence de la récente pu
blication, sur le site Online Citizen
- l’un des rares espaces de liberté
d’expression dans un territoire où
la parole est sous contrôle –, d’un
« post » de Mme Ho Ching, l’épouse
du premier ministre, a déchaîné
les foudres de ce dernier : la pre
mière dame, par ailleurs direc
trice de Temasek holding, l’un des
plus riches fonds souverain de
Singapour, a écrit sur Facebook le
15 août un énoncé, dirigé contre sa
bellesœur et son beaufrère :
« Vous ne pouvez choisir la famille
dans laquelle vous êtes né mais
vous pouvez certainement choisir
de prendre vos distances avec elle
si vos rapports [avec elle] vous font
souffrir. » En dépit du fait que, par
définition, un « post » sur Face
book est tout sauf discret, le pre
mier ministre a porté plainte
pour diffamation, jeudi 5 septem
bre, contre le directeur de la publi
cation du site Online Citizen,
Terry Xu. Ce dernier avait, la veille,
refusé, comme l’enjoignait Lee
Hsien Loong, de faire des excuses
et de retirer l’article de son site.
« Ces publications n’ont rien de dif
famatoire », affirmait M. Xu.
L’affaire a désormais pris un
tour plus politique, la querelle fa
miliale étant instrumentalisée à
son profit par la maigre opposi
tion parlementaire d’une Cité
Etat pétrie de valeurs confucéen
nes – 73 % de la population est de
culture et d’origine chinoise aux
côtés de 13 % de Malais en majo
rité musulmans et de 9 % d’In
diens. « Quand on ne sait pas tenir
sa famille, comment peuton pré
tendre gérer le pays? », s’offusque
Tan Cheng Bock, créateur du tout
nouveau Progress Singapore
Party (PSP). Que Lee Hsien Yang,
« Monsieur frère », vient d’adou
ber en proclamant que ce même
M. Tan ferait un excellent pre
mier ministre...
« Dans une société asiatique, sou
rit Tan Cheng Bock, un ancien mé
decin de 79 ans qui reçoit dans sa
paisible demeure d’un lointain
quartier résidentiel, on lave son
linge sale en famille et rien ne de
vrait transparaître à l’extérieur ».
Transfuge du People’s Action
Party (PAP), la formation de feu
Lee Kwan Yew qui mobilise le pou
voir depuis l’indépendance de
1965, M. Tan n’est pas le seul à être
choqué par l’« indécence » d’une fa
mille exhibant en public ses désor
dres personnels. Celui qui est dé
sormais devenu l’une des figures
majeures de l’opposition en pro
fite aussi pour conspuer le PAP et
l’actuel premier ministre, même
s’il fut un proche du patriarche
disparu : « Nous assistons à l’éro
sion de la gouvernance et à la fin
d’une époque : sous Lee Kwan Yew,
à qui l’on faisait une totale con
fiance pour nous emmener sur la
voie du progrès, les responsables
étaient entièrement concentrés sur
leurs tâches, celle de la réussite de la
nation. » Et le docteur Tan de s’in
terroger : « Estce encore le cas
aujourd’hui quand on voit la
femme du premier ministre et
d’autres épouses bénéficier de pos
tes prestigieux qu’elles doivent à
leur proximité avec le pouvoir. Je ne
remets pas en question leurs quali
fications, qui sont réelles, mais le
principe de ces nominations! »
Transition
Proche du Workers Party (WP),
l’autre grande formation d’un cé
nacle comprenant six partis d’op
position, Tan Cheng Bock n’a cer
tes pas d’illusions sur une victoire
lors des prochaines élections : le
PAP du premier ministre a raflé
quasiment tous les sièges lors des
élections de 2015, laissant le WP,
avec six parlementaires, être la
seule formation de l’opposition à
la chambre. « Si l’ensemble des par
tis de l’opposition pouvait gagner
un tiers des sièges, ce serait déjà une
victoire », espère M. Tan.
Singapour est, selon le terme
d’un analyste étranger, « un objet
politique non identifié » : démocra
tie formelle avec scrutin législatif
régulier mais surpuissance d’un
Etatparti qui personnifie encore
pour beaucoup un garant de stabi
lité sociale et économique. Reste à
savoir si la querelle des Lee pèsera
sur les résultats d’un scrutin quasi
couru d’avance. Même si, pour cer
tains experts, ce vote pourrait
s’avérer crucial car il préfigurerait
la transition qui s’amorce : le pre
mier ministre, âgé de 67 ans, a an
noncé son intention de prendre sa
retraite avant d’atteindre sa
soixantedixième année.
bruno philip
« Dans une société
asiatique, on lave
son linge sale en
famille. Rien ne
devrait apparaître
à l’extérieur »
TAN CHENG BOCK
médecin, figure de l’opposition
Lee Kwan Yew,
le fondateur de la
Cité-Etat et père du
premier ministre
Lee Hsien Loong,
avait exigé que sa
maison soit détruite
T U R Q U I E
Cinq journalistes turcs
remis en liberté
Jeudi 12 septembre, cinq
exjournalistes du principal
quotidien d’opposition turc,
Cumhuriyet, condamnés à des
peines de prison à l’issue d’un
procès décrié par les défen
seurs de la liberté d’expres
sion, ont été remis en liberté,
a indiqué leur avocat. Leur li
bération a été ordonnée par
une cour d’appel turque. Les
journalistes libérés faisaient
partie d’un groupe de 14 em
ployés condamnés à des pei
nes de prison en 2018 qui
avaient vu leur appel rejeté
une première fois par un
autre tribunal. Ils avaient été
reconnus coupables de soute
nir trois organisations classi
fiées comme « terroristes » par
la Turquie, dont le Parti des
travailleurs du Kurdistan
(PKK) et le réseau du prédica
teur Fethullah Gülen. – (AFP.)
C E N T R A F R I Q U E
Allégement de
l’embargo sur les armes
Le Conseil de sécurité de
l’ONU a approuvé à l’unani
mité, jeudi 12 septembre, un
premier allégement de l’em
bargo sur les armes décrété
en 2013 pour la Centrafrique,
une demande de longue date
de Bangui pour combattre les
groupes armés. La résolution
autorise « la fourniture d’armes
d’un calibre de 14,5 mm ou
moins » a ux forces armées du
pays moyennant une notifica
tion préalable d’au moins
vingt jours à l’ONU. Le disposi
tif pourra être révisé plus tard.
La Centrafrique et la Russie
- très présente à Bangui depuis
quelques années –, souhaitent
aller beaucoup plus loin dans
la levée de l’embargo. – (AFP.)
Le 23h
Patricia Loison
vous éclaire
avant la nuit
© Jean-philippe
BALTEL / FTV
et tout est plus clair