Le Monde - 14.09.2019

(Michael S) #1

0123
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2019 france| 9


A Bruay­sur­l’Escaut,


« l’étiquette, on s’en fout,


tant que le boulot est fait »


Aux dernières européennes, la liste RN a
obtenu 51,51 % dans cette commune du Nord

lille ­ correspondance

A


u Palais de la bière, petit
troquet situé sur la place
de la mairie de Bruay­
sur­l’Escaut, on ne parle pas politi­
que. On préfère débattre des cour­
ses du PMU. Mais, après le déjeu­
ner, autour d’un café, les langues
de quelques­uns des 11 638 habi­
tants de cette commune du Nord
se délient. Et tous semblent prêts à
choisir la même écurie pour les
prochaines municipales : le Ras­
semblement national (RN).
Ici, à deux pas de Valenciennes,
un électeur sur deux vote pour le
parti de Marine Le Pen. Aux der­
nières européennes, l’extrême
droite a décroché 51,51 % des suf­
frages contre 49,94 % en 2014. A la
dernière présidentielle, même scé­
nario : Marine Le Pen réalise
46,24 % au premier tour puis
64,02 % au second face à Emma­
nuel Macron (29,8 % d’abstention).
Il faut remonter à 2007 pour
voir le Front national plafonner à
21,34 %, au premier tour de l’élec­
tion présidentielle. Si, depuis plus
de dix ans, le RN s’est fait une
place dans les isoloirs bruaysiens,
« ce n’est pas une ville où notre
stratégie est affinée », explique Sé­
bastien Chenu, porte­parole du
RN et député dans la circonscrip­
tion voisine. « Il y a une équipe mi­
litante qui fait son travail mais pas
de leader alors que les scores y sont
exceptionnels. »
Selon lui, ce succès s’explique à
travers les facteurs socio­écono­
miques : « Bruay est une ville abî­
mée, en souffrance, où il y a des
problèmes de sécurité. Nous, on
croît dans tout ce secteur du Va­
lenciennois », dit­il. Les villes voi­
sines ne sont en effet pas épar­
gnées par cette montée en puis­
sance des votes RN.
Au PMU, Manu, d’origine espa­
gnole, peste sur ces médias qui re­
fusent de dire que « les seuls qui ne
sont pas intégrés sont d’origine
africaine ». Autour du zinc, on dé­
nonce les « Chaouis », ces étran­
gers qui « envahissent ». L’an­
cienne ville minière au passé bras­
sicole ne fait plus rêver. Le taux de
chômage dépasse les 25 %, le taux
de pauvreté est à 29 % et les habi­
tants, à majorité ouvriers ou re­
traités, ont un revenu médian an­
nuel de 13 370 euros quand la
moyenne française est à
19 785 euros, selon les dernières
données de l’Insee, datant de


  1. Le bouc émissaire est ici tout
    trouvé. Comme Manu et ses co­
    pains ne croient plus aux politi­
    ques, « tous pareils », ils aime­
    raient essayer le RN. « J’ai voté à
    gauche, à droite et il n’y a rien qui
    se fait, dit un client. Je veux une vé­
    ritable justice, une vraie sécurité.
    L’étiquette, on s’en fout, tant que le
    boulot est fait. »


Dans ce secteur où le Parti com­
muniste a connu de belles heures
de gloire, la maire divers droite Syl­
via Duhamel a augmenté sa police
municipale de trois à dix hommes.
« Il y a beaucoup d’incivilités, peste
Catherine, 45 ans, habitante du
quartier réputé difficile des Pa­
lombes. Les jeunes brûlent des pou­
belles, des voitures, et depuis quel­
ques années on a vu la situation se
dégrader. » Cette habitante, sans
emploi et dont le mari est cadre
chez PSA, vote à gauche. Sa sœur
vote RN : « Elle en a tellement marre
de voir des injustices, et pourtant
elle n’est pas raciste. »
Mounir, commerçant marocain,
tient un salon de coiffure dans le
centre­ville depuis dix ans. Le ra­
cisme, il ne connaît pas : « Je n’ai ja­
mais eu aucun problème. » Sur le
trottoir d’en face, Mony­Claire,
52 ans, une habitante « fan de Ma­
rine et encore plus de sa nièce qui va
cartonner », préfère se focaliser sur
les « cas sociaux qui gagnent plus à
rester chez eux ». Cette Nordiste se
souvient de son père : « Jean­Marie
Le Pen, c’était son Dieu. » Elle, elle
aimait bien Sarkozy. Elle ne digère
pas les propos de Hollande « qui
nous traite de “sans­dents” ». Et dé­
sormais, elle vote Marine Le Pen.

« Stratégies différentes »
Pour les municipales, le RN affine
encore sa stratégie. « Il y a déjà des
élus en place qui votent pour nous,
affirme le frontiste Sébastien
Chenu. Et il y a eu un contact entre
madame la maire et nos responsa­
bles. » Selon lui, la maire était prête
à prendre des gens du RN à condi­
tion qu’ils ne revendiquent pas
leur appartenance au RN. « Elle est
suffisamment maligne pour jouer
la carte RN sans être RN, dit­il. Elle
n’a pas d’antipathie à notre égard
mais elle n’assume pas. »
Sylvia Duhamel n’a pas souhaité
répondre à nos questions. En 2015,
entre les deux tours des élections
régionales, un an après son élec­
tion face au maire socialiste en
place depuis vingt­six ans, elle ex­
pliquait à La Voix du Nord : « Des
gens qui votent FN, j’en connais
plein et ce ne sont pas des mons­
tres! Il faut les alerter du danger
que tout extrême représente. »
Le danger est désormais aux
portes de sa mairie et de celles
d’autres villes de l’est du départe­
ment : Saint­Amand­les­Eaux, De­
nain, Hautmont, Trith­Saint­Lé­
ger, Escaudain, Aniche, Fresnes­
sur­Escaut, etc. Le RN vise tout un
territoire avec un objectif : « Entrer
dans les conseils municipaux, at­
traper quelques villes et choper des
communautés d’agglos », assure
M. Chenu, qui enchaîne les ren­
dez­vous avec les potentiels can­
didats. « Il faut les évaluer autour
de critères tels que les compéten­
ces, le parcours, la loyauté et la ca­
pacité à avoir réfléchi à l’avenir de
leur commune, dit­il.
Dans le Nord, 95 % des têtes de
listes RN seront renouvelées. Et le
député dit ne pas avoir honte des
candidats qu’il va présenter : « La
dernière fois, c’était le choix de la
quantité mais là, il y a des stratégies
différentes pour chaque com­
mune. » En 2020, les investitures
seront encore une fois détermi­
nantes pour le RN. En 2014, à
Bruay­sur­l’Escaut, le parti d’ex­
trême droite n’avait pas pu présen­
ter une liste aux municipales.
laurie moniez

« BRUAY EST UNE 


VILLE ABÎMÉE, EN 


SOUFFRANCE. NOUS, 


ON CROÎT DANS TOUT 


CE SECTEUR DU 


VALENCIENNOIS »
SÉBASTIEN CHENU
porte-parole du
Rassemblement national

Philippe reste déterminé sur


les retraites et tente de rassurer


Jeudi, le premier ministre a assuré comprendre les « inquiétudes »,


tout en assurant que la réforme serait votée avant l’été 2020


I


l est urgent de ne pas se pré­
cipiter. Tel est le principal
message qu’Edouard Phi­
lippe a martelé, jeudi 12 sep­
tembre, dans un discours sur la
réforme des retraites, prononcé
devant le Conseil économique,
social et environnemental
(CESE). A six reprises, le premier
ministre a affirmé qu’il était prêt
à « donner » et à « prendre tout le
temps nécessaire » pour mettre
en place le système universel
promis par Emmanuel Macron.
Un leitmotiv qu’il a répété le
soir même au journal télévisé de
TF1. A la veille d’une grève mas­
sive des agents de la RATP, bien
décidés à défendre leur régime
spécial, M. Philippe a donc tenté
de rassurer et de montrer que
l’exécutif ne souhaitait pas pas­
ser en force sur un sujet haute­
ment inflammable.
Si le chef du gouvernement a
tout son temps, c’est parce qu’« il
ne faut pas en perdre », a­t­il
ajouté, à la fin de son interven­
tion. En d’autres termes, tout
ceux qui imaginent que le pou­
voir en place hésite à lancer ce
chantier titanesque ont tort,
dans l’esprit de M. Philippe : « No­
tre détermination [est] entière. »
L’ancien maire du Havre a
d’ailleurs fixé un échéancier : le
projet de loi refondant entière­
ment le dispositif sera voté « d’ici
à la fin de la session parlemen­
taire de l’été prochain ».

Quatre thèmes décortiqués
Voilà pour le calendrier. Quant à
la méthode, elle sera en ligne
avec la doctrine de l’acte II du
quinquennat : « Plus d’écoute,
plus de dialogue » avec les parte­
naires sociaux et la population.
D’ici « à la fin de l’année », une
consultation citoyenne sera or­
ganisée sur le modèle du grand
débat lancé en janvier, avec des
réunions publiques et une plate­
forme sur Internet.
Parallèlement, Jean­Paul Dele­
voye, le haut­commissaire char­
gé du projet, va recevoir, dès la se­
maine prochaine, les partenaires
sociaux pour une deuxième
phase de concertation, la pre­
mière – menée pendant dix­huit
mois – ayant débouché sur des
propositions qu’il a remises en
juillet. Celles­ci serviront de base
aux discussions à venir. « Jus­
qu’au début du mois de décem­
bre », quatre thèmes seront dé­
cortiqués, dont les règles
d’ouverture des droits et le retour
à l’équilibre financier du sys­
tème, en 2025. Autant de théma­
tiques susceptibles de provoquer
des remous.
M. Philippe, lui, veut croire
qu’un débat « serein » peut avoir
lieu, même sur la délicate ques­
tion de l’âge de départ à la retraite
ou de la durée de cotisation,
source de divergences – y com­
pris au plus haut sommet de
l’Etat. Pour mettre fin aux « inter­
rogations », voire aux « soup­
çons » qui règnent sur la situa­
tion financière du dispositif, le
Conseil d’orientation des retrai­
tes va être saisi afin de réaliser
des projections pour « la pro­
chaine décennie ». Une initiative
un peu étonnante dans la mesure
où cette instance s’est livrée à un
exercice similaire, à l’occasion de
son dernier rapport annuel dif­
fusé en juin.
Un autre cycle de discussions va
s’ouvrir avec « les catégories pro­
fessionnelles qui sont impactées
par la réforme ». Une formule un
peu nébuleuse qui recouvre des
franges diverses d’actifs : salariés
affiliés à des régimes spéciaux
(RATP, SNCF...), travailleurs indé­
pendants, professions libérales,

fonctionnaires relevant des caté­
gories dites « actives » qui peu­
vent partir plus tôt à la retraite
(agents hospitaliers, etc.). Pour
tous ces groupes sociaux, assu­
jettis à des normes singulières,
un état des lieux sera dressé.
Le but est de déterminer com­
ment ces différents régimes
rejoindront « la maison com­
mune » du futur système univer­
sel, chacun d’entre eux devant
« dessiner son propre chemin de
convergence », comme l’a indi­
qué M. Philippe. « Tant que ce che­
min ne sera pas tracé, a­t­il com­
plété, le nouveau système ne leur
sera pas appliqué. » Ce principe
sera inscrit dans le projet de loi, a
assuré le premier ministre. Une
façon d’apaiser les publics con­
cernés, dont certains (avocats,
médecins, kinésithérapeutes...)
ont prévu de défiler, le 16 sep­
tembre, afin de dénoncer la ré­
forme – pour des motifs qui va­
rient selon les cas.
« Je ne sous­estime pas l’am­
pleur des bouleversements [que
ce projet] implique, encore moins
les inquiétudes qu’il suscite », a
admis M. Philippe. C’est pour­
quoi il a tenu à apporter un cer­
tain nombre de « garanties » sur
le futur système universel, que ce
soit la prise en compte de la péni­
bilité et la dangerosité de cer­
tains métiers, ainsi que la con­
version à « 100 % » des droits ac­
quis avant l’entrée en vigueur
des nouvelles règles.

Chez les partenaires sociaux,
les réactions au discours de
M. Philippe sont contrastées. « Je
n’ai rien entendu de détermi­
nant », commente Philippe Pihet
(FO). Un avis partagé par Régis
Mezzasalma (CGT) : « Tout cela
reste un peu flou. » Serge Lavagna
(CFE­CGC) déplore, lui, des « pro­
pos un peu lénifiants » : « A un mo­
ment, il faudra que les masques
tombent. »
« On n’a rien appris de particu­
lier par rapport à nos échanges de
la semaine dernière, à Mati­
gnon », renchérit Pascale Coton
(CFTC). Seule la CFDT, par la voix
de Frédéric Sève, se montre un
peu plus positive. Le secrétaire
national de la centrale cédétiste
considère que le premier minis­
tre a livré un « énoncé de mé­
thode visant à rassurer les sala­
riés des régimes spéciaux, ce qui
est plutôt bien ». « Maintenant, ça
reste à écrire », observe­t­il.

« Un peu interrogatif »
La tonalité est plus favorable, du
côté du patronat. « Le calendrier,
tel qu’il a été défini, nous con­
vient », a confié Philippe Martin,
le numéro deux du Medef, face
à plusieurs journalistes, à la
sortie du CESE.
Disparaît ainsi « la crainte de
voir l’examen de la réforme repor­
tée sine die », a­t­il poursuivi. Il
s’est dit « quand même un peu
interrogatif quant aux échéances
évoquées » par M. Philippe, car
elles lui « paraissent extrême­
ment lointaines », s’agissant – par
exemple – de l’absorption des
régimes spéciaux dans le sys­
tème universel.
De son côté, Eric Chevée (CPME)
apprécie le fait que « la discussion
reste assez ouverte ». « Pour nous,
le chef du gouvernement a coché
presque toutes les cases », se féli­
cite Alain Griset, président de
l’Union des entreprises de proxi­
mité (artisans, commerçants,
professions libérales).
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

Les différents
régimes
devront dessiner
comment
ils rejoindront
« la maison
commune »
du futur système,
a dit M. Philippe

LE  CONTEXTE


FINANCEMENT
En 2018, les dépenses du sys-
tème de retraite se sont élevées
à 324,5 milliards d’euros, soit
13,8 % du produit intérieur brut
(PIB), selon un rapport du Con-
seil d’orientation des retraites
(COR) publié en juin. Un peu
plus de 88 % de cette somme
ont été consacrés aux pensions
dites de « droit direct » – le solde
revenant à celles de droit dérivé
(essentiellement les pensions de
réversion). Le système est « qua-
siment revenu à l’équilibre depuis
2017 » avec des besoins de finan-
cement estimés à 0,1 % du PIB,
soit près de 2,9 milliards d’euros,
l’an passé. Mais la situation
pourrait se dégrader à court
terme. A l’horizon 2022, sous ré-
serve que la loi demeure inchan-
gée, le système serait dans le
rouge à hauteur de – 0,4 % du
PIB alors que le COR anticipait
un ratio de – 0,2 % dans son rap-
port remis en 2018. Il faudrait at-
tendre 2042 (et non plus 2036,
comme escompté en 2018)
pour que le système retrouve
la ligne de flottaison, dans l’hy-
pothèse la plus favorable
(+ 1,8 % de croissance des
revenus d’activité). A l’inverse,
le système resterait durable-
ment déficitaire avec des reve-
nus d’activité progressant à un
rythme inférieur à 1,5 %.
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