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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019
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et, à la fin,
c’est la pizza
qui gagne
Pourquoi le Zebra, brasserie tradi
du 16
e
arrondissement parisien
qui avait tout pour plaire, atil dû
céder la place à une trattoria?
Les propriétaires racontent
leur échec... et leur nouveau pari :
réitérer le succès de Daroco,
leur table italienne de la rue Vivienne
GASTRONOMIE
D
ans la quiétude du quar
tier d’Auteuil, à Paris,
impossible de rater cette
double porte bleu élec
trique d’où s’échappe de la musique.
C’est l’entrée de Daroco 16, nouveau
temple de la cuisine italienne qui a
ouvert le 1er septembre. Dans un dé
cor qui parvient à être à la fois chic et
chaleureux, on mange d’excellentes
pizzas à partir de 11 euros, une côte
de veau à la milanaise tendre et gé
néreuse (29 euros), une panna cotta
aux figues d’une délicatesse rare
(9 euros). C’est fantastique, et a
priori, ce nouveau restaurant a tou
tes les raisons de faire un carton.
Mais... n’avaiton pas déjà pas fait
une telle prédiction il y a un an?
Retour en arrière. A l’été 2018, au
même emplacement, les mêmes
entrepreneurs, Julien Ross et
Alexandre Giesbert, inauguraient
Zebra avec un nouvel investisseur,
Romain Glize. Un tout autre con
cept de restaurant, puisqu’il s’agis
sait d’une brasserie française tradi,
ambiance poireauxvinaigrette et
maquereaux en escabèche. A l’épo
que, les médias s’étaient enflam
més, parlant de « renouveau de la
brasserie parisienne », du « grand re
tour du resto mythique du 16e », de
« la brasseriechoc des beaux quar
tiers ». Il faut dire que Julien Ross et
Alexandre Giesbert avaient l’habi
tude de transformer tout ce qu’ils
touchaient en or, à l’instar du pre
mier Daroco, leur trattoria planquée
dans une rue tranquille du quartier
de la Bourse, à Paris, qui fait tou
jours salle comble.
Et, concernant Zebra, ils s’étaient
donné les moyens de leurs ambi
tions : pour pimper ce vaste restau
rant qui, au fil des années, a déjà vu
se succéder les chefs et les con
cepts, le trio de trentenaires avait
investi 1,3 million d’euros qui
avaient permis de transformer la
brasserie vieillissante en un lieu
chic et branché, tout en marbre et
velours. Que s’estil donc passé
pour que Zebra soit un échec, au
point qu’un an après l’ouverture il
faille déjà tout changer?
Quand, en septembre 2017, ils dé
cident de reprendre Zebra, Julien
Ross et Alexandre Giesbert, qui se
connaissent depuis sept ans (ils se
sont rencontrés dans un restau
rant du Marais où Julien était en
salle et Alexandre en cuisine), ont
une idée bien précise en tête : ils ne
veulent pas se répéter en refaisant
un italien et s’attaquent donc à la
brasserie française. « Pour moi,
c’était limpide : on voulait des plats
simples comme la saucissepurée
ou le tartare de bœuf, mais avec
de superproduits », se souvient
Alexandre Giesbert.
Au lancement du restaurant, à
l’été 2018, les nombreux articles ra
mènent du monde. Et puis, après
quelques mois, la fréquentation de
ce restaurant assez excentré dans
l’Ouest parisien décline. « Attirer les
clients la première fois, c’est notre
travail, mais les faire revenir, c’est le
job du restaurant! », rappelle l’atta
chée de presse du Zebra.
Au départ, le trio visait 400 cou
verts par jour. Il est obligé de revoir
ses objectifs à la baisse : ce sera plu
tôt 200. Et tente de corriger le tir. Il
se dit que son offre n’est peutêtre
pas assez claire. Le décor trop mo
derne ne colle pas avec l’esprit clas
sique de la cuisine, et puis, surtout,
les clients ne comprennent pas les
prix pratiqués.
Peinture et plantes vertes
Comme les produits de Zebra sont
fournis par la crème des produc
teurs (la viande vient de Terroirs
d’avenir, le café de Coutume, le sau
mon porte le Label rouge...), les prix
s’en ressentent. Le ticket moyen
tourne autour de 50 euros. Chez Ze
bra, le plat de saumon atteint
27 euros, alors qu’il plafonne à
17 euros au bistrot d’en face où l’of
fre est, sur le papier, à peu près iden
tique. Alexandre Giesbert a beau
avoir formé ses serveurs à parler de
l’origine des produits, les clients res
tent surtout sensibles à l’argument
du prix. « Et puis, souvent, ils s’en fou
tent de savoir que le poulet a gam
badé dans une ferme du Médoc. Cer
tains disaient même : “La chair est
dure.” Bah oui, mais il a couru toute
sa vie, il est musclé! »
Déconcertés mais pas découra
gés, ils tentent de faire évoluer la
carte, de se distinguer en la rendant
plus exotique, et tant pis pour
leurs idéaux de tradition française.
Il y a désormais des condiments
thaïlandais dans les moules, une
sauce chimichurri avec la côte de
bœuf... Ils accèdent aux requêtes
des clients, qui demandent de bais
ser la musique, de monter la lu
mière, de mettre du bordeaux à la
carte des vins. « Faire des compro
mis, c’est un mauvais travers, sou
pire Alexandre Giesbert. Parce que,
à la fin, il n’y a plus de cohérence
dans le restaurant. »
Et malgré leurs efforts, il n’y a
d’ailleurs pas non plus de cohé
rence dans la fréquentation. Cer
tains services stagnent à trente
couverts, d’autres vont jusqu’à
cent. « L’irrégularité, c’est ce qu’il y a
de pire », estime Alexandre Gies
bert. Ça rend les stocks de marchan
dises difficiles à gérer et engendre
beaucoup de pertes, notamment
des produits chers et périssables
comme les viandes et poissons.
La qualité du service s’en ressent,
puisque, en cas de grande fréquen
tation inattendue, l’équipe n’est
pas toujours assez nombreuse ni
assez préparée. « Le service, ça
fonctionne à l’adrénaline. Si les ser
veurs sont mous parce qu’il n’y a
que dix réservations, ils ne sont pas
prêts si finalement, quarante per
sonnes débarquent », estime
Alexandre Giesbert. A l’été 2019,
l’équipe qui comptait initialement
une cinquantaine de salariés se
trouve réduite à une vingtaine de
personnes. Et les comptes sont
toujours dans le rouge.
Ainsi donc, après une petite an
née d’ouverture, deux options s’of
frent à eux : jeter l’éponge ou tout
changer. Avant de se lancer dans la
brasserie tradi, ils avaient un temps
imaginé de dupliquer Daroco, leur
trattoria du centre de Paris qui mar
che si bien. « Mais on ne trouvait
pas ça excitant intellectuellement
de se répéter », concède Alexandre
Giesbert. N’empêche, Daroco, c’est
une formule magique : la cuisine
italienne est fédératrice, surtout
quand elle est mijotée avec de bons
produits. La matière première tran
salpine de qualité a l’avantage
d’être plutôt bon marché, et la pâte
à pizza a le bon goût de bien se
conserver, donc de ne pas générer
trop de pertes (et la pizza, c’est 40 %
du chiffre d’affaires de Daroco).
Après une étude de marché, les
trois entrepreneurs constatent que
le 16e arrondissement manque
cruellement de bonnes pizzerias.
Ils décident donc de rejouer leur
trattoria de la rue Vivienne moyen
nant 150 000 euros de travaux,
pour mettre un coup de peinture,
des plantes vertes et un four à
pizza. « C’est un fait : en France, un
bon italien, ça cartonne », affir
mentils. A eux de le prouver.
elvire von bardeleben
Julien Ross et Alexandre Giesbert. LEA PAOLI
L
e « batch cooking », qui a commencé
à prendre de l’ampleur il y a un an,
est désormais partout : dans la bou
che des collègues (surtout ceux qui se sont
reproduits), dans les meilleures ventes de
bouquins de cuisine sur Amazon, aux côtés
de Marc Levy en librairie, et même sous
forme de paniers à commander. Mais
qu’estce que c’est? L’expression anglaise,
qui se traduit littéralement par « cuisson
par lots », désigne le fait de cuisiner en
avance tous ses repas de la semaine. Le
« batch cooking » est censé être rapide et ne
demander que deux (voire une !) heures de
préparation hebdomadaire.
Voilà pour la théorie. On a testé en pre
nant l’option facile : pas de courses, mais
une commande sur le site Pourdebon.com,
qui livre les produits de 150 producteurs
différents en France et propose depuis mai
des paniers « batch cooking ». En choisis
sant la version végétarienne, moyennant
30 euros, on reçoit de quoi préparer cinq
plats différents pour deux personnes.
Les légumes sont fournis par Cédric
Joliveau (souriant, adepte du béret, noté
4,8/5 sur le site), maraîcher dans le Loiret
qui travaille sans pesticides.
Samedi, le créneau de livraison initial en
tre 8 heures et 13 heures se rétrécit miracu
leusement grâce à un texto du transpor
teur qui prévient qu’à 9 h 45 le livreur sera
là. Quand on déballe, ça fait beaucoup de
cartons, ça fait aussi bizarre de sortir du ba
silic d’une feuille de papier bulle. Le côté
sauvage du colis est assuré par la présence
d’un insecte vert aux longues antennes qui
traîne dans le sachet de poivrons.
UN HIMALAYA DE COURGETTES
Sous une montagne de courgettes, on dé
couvre un document de cinq pages dé
taillant la marche à suivre. Ouf, la liste des
ingrédients à avoir chez soi pour compléter
les recettes est très basique (huile, beurre,
citron, riz...), pas besoin de se traîner au
supermarché. 16 h 30, top départ. Sur
le papier, « nettoyer, sécher, ciseler les
herbes », c’est une demiligne. En cuisine,
ça prend vingt minutes. Frustrant de pas
ser autant de temps sur ce basilic, resplen
dissant la veille et qui, depuis son séjour au
frigo, est devenu ramollo.
On enchaîne sur les patates. Les indica
tions sont peu claires. Elles parlent de les
« couper en cubes et en tranches pour les
cuire puis de les séparer en deux ». On les
jette entières dans l’eau et on profite des
vingt minutes de cuisson pour se con
fronter au problème de place dans le
frigo, qui déborde déjà. Le mari, qui passe
par là, demande s’il peut mettre une
bière au frais. Négatif.
Sept courgettes en fines lamelles, c’est en
core trente fastidieuses minutes, mais au
moins, on maîtrise. Alors que vider des
poivrons tout en les gardant entiers pour
pouvoir ensuite les garnir, on n’a jamais
fait. Enlever la tige puis le secouer très fort
audessus de l’évier pour évacuer les grai
nes n’est sans doute pas une méthode que
l’on apprend à l’école Bocuse, mais elle
fonctionne (et ça détend après avoir dé
taillé 6 kg de légumes).
Deux heures pour préparer cinq plats,
c’est une prévision trop optimiste qui ne
prend pas en compte le moment où l’on
renverse sur le carrelage les 59 grammes de
riz que l’on vient de peser, l’aspirateur affé
rent, la vaisselle pour laver l’unique poêle
qui ait la taille adéquate pour ce projet pha
raonique, la recherche (vaine) de la râpe
dans tous les placards. A 18 h 30, tous les lé
gumes sont découpés et on a un plat mené
à bien – les pommes de terre sautées du
mardi, tendres et dorées, font leur effet. El
les sont censées être accompagnées d’un
gaspacho qu’on rétrograde en salade de to
mates. Du nerf!
Mais malgré tous nos efforts, notre
cerveau refuse de gérer en même temps
la cuisson des éléments pour les poivrons
farcis (du vendredi) et la ratatouille (du
lundi). De toute façon, l’équipement de
notre cuisine ne nous le permet pas non
plus, aucun contenant n’étant assez grand
pour cuire en même temps l’Himalaya de
courgettes, les oignons, les poivrons, les
tomates et les aubergines.
20 h 30, après une pause dîner, on déclare
forfait sans être venue à bout de notre mis
sion, mais avec plusieurs bons alibis : les
poivrons farcis sont réussis, la ratatouille,
énorme, devrait nous tenir deux jours, et,
d’ici à mercredi, on trouvera bien un quart
d’heure pour réaliser les miettes du crum
ble aux courgettes et une vinaigrette pour
la salade de pommes de terre du jeudi.
Epuisée? Certes... Mais quelle fierté
dès le lundi soir, quand aux premiers
cris affamés des enfants, on n’a plus qu’à
réchauffer son plat.
MALGRÉ TOUS
NOS EFFORTS,
NOTRE CERVEAU
REFUSE DE GÉRER
EN MÊME TEMPS
LA CUISSON DES
ÉLÉMENTS POUR
LES POIVRONS
FARCIS
(DU VENDREDI)
ET LA RATATOUILLE
(DU LUNDI)
DAROCO,
C’EST UNE FORMULE
MAGIQUE :
LA CUISINE
ITALIENNE
EST FÉDÉRATRICE,
SURTOUT QUAND
ELLE EST MIJOTÉE
AVEC DE BONS
PRODUITS
CUISINEZMOI|CHRONIQUE PAR ELVIRE VON BARDELEBEN
J’ai passé mon dimanche à faire du « batch cooking »
Au Daroco 16. THE SOCIAL FOOD