8 |france JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019
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Bronca contre
la réorganisation
des trésoreries
Face à cette réforme menée par M. Darmanin,
ministre de l’action et des comptes publics,
des mairies dénoncent un abandon de l’Etat
S
i la crise des « gilets jau
nes » s’est calmée, les pre
mières flammèches d’un
autre incendie apparais
sent ici et là dans le pays. De
Tonnerre (Yonne) à SaintAnto
ninNobleVal (TarnetGaronne),
de Quimperlé (Finistère) à Ville
neuvelesCorbières (Aude), de
nombreux conseils municipaux
votent, depuis le début de l’été, des
motions pour dénoncer la réorga
nisation du réseau des finances
publiques, dont le ministre de l’ac
tion et des comptes publics,
Gérald Darmanin, a présenté les
grandes lignes en juin.
De quoi s’agitil? Dans le but de
rapprocher le service public des
usagers et de faire des économies,
M. Darmanin propose aux collec
tivités locales de changer radicale
ment l’organisation des trésore
ries. Entre 2007 et 2017, rappelle
til régulièrement, 1 200 centres
des impôts ont été supprimés sur
l’ensemble du territoire. Et le sys
tème est aujourd’hui « à bout de
souffle ». Il faut donc « arrêter le jeu
de massacre ». Son idée : rassem
bler certains agents des impôts
pour gérer les tâches administrati
ves quand d’autres iront sur le ter
rain répondre aux questions des
contribuables.
L’Association des comptables
publics (ACP), qui représente deux
comptables sur trois, assure que
cela se traduira par « la suppres
sion de quelque mille trésoreries,
remplacées par des agents mobiles,
se déplaçant sur rendezvous ». Ce
que l’entourage du ministre con
teste : « Ce n’est pas exact. Tout dé
pendra du résultat de la concerta
tion que nous menons avec les élus
et les syndicats. Nous proposons de
remettre des agents au contact de
la population, à raison de 30 % de
lieux de services publics en plus, no
tamment dans les communes les
plus rurales. » Gérald Darmanin
promet que, d’ici à la fin du quin
quennat, les services des impôts
seront présents dans 2 600 com
munes, contre 1 900 aujourd’hui.
Les agents seront « installés dans
des “maisons France services”, dans
des trésoreries, dans des mairies ».
Ce « Darmanopoly », dénonce la
CGT, en pointe dans le combat
contre le chambouletout des per
ceptions, n’annonce rien de bon :
« Pas la peine de lancer les dés, à
tous les coups vous perdez. » C’est
bien ce que pensent les municipa
lités qui votent des motions. L’ACP,
étonnée par ce mouvement de
fond inédit, en a recensé « une cin
quantaine, émanant d’une quaran
taine de départements différents ».
Mais, précise, Alain Paccianus,
premier viceprésident de l’asso
ciation, ce décompte « n’est pas ex
haustif ». D’autres formes de mo
bilisation sont apparues et de
nombreuses délibérations ne sont
pas remontées jusqu’à l’ACP. En
Corrèze, par exemple, départe
ment qui passerait de 22 à 5 tréso
reries, selon la CGT, « 197 des 280
communes ont déjà voté une mo
tion ou vont la finaliser ce moisci,
soit plus de 70 % ».
« Service public “low cost” »
De nombreuses petites commu
nes ont voté de tels textes, mais de
plus grosses collectivités leur ont
emboîté le pas, comme le conseil
général d’IndreetLoire ou le con
seil régional NouvelleAquitaine.
Tous appréhendent « une hémor
ragie ». RembercourtSommaisne
(Meuse), par exemple, déplore que
« le projet vise à supprimer les deux
tiers des trésoreries meusiennes ».
Dans le département d’Indreet
Loire, on craint « la fermeture de
toutes les trésoreries de proxi
mité » : « Sur treize, il n’en resterait
plus que trois », s’insurge le prési
dent du conseil général, JeanGé
rard Paumier (Les Républicains).
Certes, l’Etat promet la multipli
cation des « points de contacts »,
lieux où il serait possible d’obte
nir des réponses à des questions
fiscales. Mais qui répondra? « Ce
service public “low cost” sera as
suré par des agents qui pourront
ne pas être issus de la DGFIP [direc
tion générale des finances publi
ques] », déplore la motion du con
seil régional de NouvelleAqui
taine, en dénombrant la suppres
sion de 93 trésoreries dans la
région. Et « tout le monde ne peut
pas avoir un avocat fiscaliste »,
rappelle JeanFrançois Pichery,
maire de Houx (EureetLoir).
Bercy mise également sur le nu
mérique ou des tournées de ca
mionnettes du service public.
Mais là encore, les communes
mettent en garde. « Nos conci
toyens sont en droit d’attendre
autre chose que des services en li
gne ou des minibus écumant nos
campagnes, les considérant ainsi
comme des administrés de se
conde zone », considère Marc
Guerrini, maire des VillagesVo
véens (EureetLoir). D’autant que
la dématérialisation, « si elle faci
lite la vie de nombreux usagers,
anonymise les relations et peut
être un véritable facteur d’exclu
sion pour une partie de notre po
pulation », rappelle le conseil gé
néral d’IndreetLoire.
Après des années de réorganisa
tion des services publics, les élus
locaux sont à fleur de peau. Beau
coup d’élus considèrent qu’ils ont
déjà fourni les efforts demandés.
Les maires ruraux des Alpesde
HauteProvence, par exemple,
rappellent « qu’il y a deux ans »,
l’Etat avait poussé pour qu’un hô
tel des impôts soit installé à Siste
ron. L’idée était de « regrouper la
perception et les finances, sans
quoi tout serait regroupé
ailleurs ». Les élus obtempèrent :
« L’intercommunalité a racheté le
bâtiment de La Poste, fait
800 000 euros de travaux. » Or,
aujourd’hui, s’insurgentils, « uni
latéralement, la décision est prise
de fermer ».
Même incompréhension à Vitré
(IlleetVilaine). Le président de
Vitré Communauté, Pierre Mé
haignerie, a écrit à Gérald Darma
nin. « En Bretagne, lui rappelle
til, un très important travail de ra
tionalisation a déjà été opéré »,
avant de préciser à la main : « La
proximité est souvent moins coû
teuse et plus humaine. »
Coup de grâce
Cette nouvelle vague de réorgani
sation est donc vécue comme le
coup de grâce. « Il s’agit de la dispa
rition des quelques derniers servi
ces de l’Etat qui étaient encore pré
sents sur nos territoires ruraux »,
dénonce la présidente de la com
munauté de communes Grand
sud TarnetGaronne, Marie
Claude Nègre. A SainteAnne
SaintPriest (HauteVienne), on
dénonce « l’abandon par l’Etat des
territoires ruraux alors même que
le besoin de services publics de
proximité et de qualité n’a jamais
été aussi prégnant ».
La délibération regrette qu’« à
l’image de tous les services publics,
de La Poste, de Pôle emploi, des
transports, de l’éducation, des ser
vices décentralisés de l’Etat, celui
des finances publiques va égale
ment disparaître de notre terri
toire, en dépit des besoins de notre
population, accentuant la déserti
fication de nos territoires ruraux ».
« On est en train de nous aban
donner complètement au profit
des zones urbaines et périurbai
nes. C’est de plus en plus clair,
soupire Gilles Delaur, maire de Li
mousis (Aude). J’en arrive à me de
mander à quoi sert encore l’Etat, si
ce n’est ramasser des impôts... » La
ville de Ham (Somme) dénonce,
elle, « une restructuration d’une
ampleur jamais connue » et re
doute « un vide sidéral pour les
usagers et les collectivités à l’est de
la Somme ». Ce sentiment d’aban
don est mâtiné de l’impression
d’être méprisé par la capitale.
« Sorti de Paris, la France n’existe
plus, note ainsi Olivier Poutrieux,
maire de RembercourtSom
maisne. Comme dirait Jean Gabin
dans Le Président, on est dirigé
par des lascars qui fixent le prix de
la betterave mais ne sont pas fou
tus de planter un radis. »
Cette colère sourde qui macère
depuis des années est en train de
mal tourner, préviennent plu
sieurs maires. « La situation est
très grave, indique par exemple
Olivier Poutrieux. Je crains une
jacquerie. Nous, on la sent venir,
et ça me fait peur. Mais quand
vous traversez certains bourgs, ici,
des petites villes, c’est une catas
trophe. Tout tombe, il n’y a plus
rien. Ça se meure... » Son collègue
de Limousis a la même impres
sion : « On a le sentiment d’être re
venu à l’époque féodale, pointe
Gilles Delaur, avec le seigneur là
haut et nous, qui faisons ce que
nous pouvons pour survivre... »
L’exécutif semble avoir pris cons
cience du danger. Selon nos infor
mations, en juillet, le président de
la République a vertement repro
ché à son ministre cette initiative
qui risque de « rallumer le feu » de
la colère populaire. L’entourage de
M. Darmanin dément fermement
cette explication houleuse, et
tente de relativiser la bronca.
« Dans le cadre d’une grande trans
formation, confieton, des opposi
tions se forment, c’est normal. Des
soutiens aussi, car beaucoup d’élus
soutiennent ce projet. »
Par ailleurs, l’entourage du mi
nistre rappelle que le projet est
en discussion : « Partout les con
certations se poursuivent et nous
sommes dans une démarche de
dialogue pour arriver à des solu
tions communes. » Un premier
bilan sera établi à l’automne.
benoît floc'h
Devant les acteurs de l’insertion, Macron assume sa politique
Critiqué pour avoir fortement réduit les emplois aidés, le président mise sur l’accompagnement et l’embauche dans des entreprises de droit commun
D
ans la nouvelle scénogra
phie de l’acte II du quin
quennat, c’est un signe
qui ne trompe pas. Mardi 10 sep
tembre, Emmanuel Macron s’est
rendu dans un atelier d’insertion
situé à BonneuilsurMarne (Val
deMarne). Une visite de quatre
heures destinée à « appuyer » la
présentation du « pacte d’ambi
tion » pour l’insertion par l’acti
vité économique (IAE), effectuée
le matin même par Muriel Péni
caud, la ministre du travail.
L’objectif de ce plan? « Faire bé
néficier les plus pauvres de la re
lance économique », explique l’en
tourage du chef de l’Etat, alors que
le chômage de longue durée mon
tre des signes de résistance. « On
avance sur la bataille de la réduc
tion du chômage (...) mais à me
sure qu’on réduit le chômage, c’est
encore plus dur pour ceux qui res
tent », a expliqué M. Macron de
vant quelque 200 acteurs de l’in
sertion réunis dans un hangar
d’Ateliers sans frontières, où sont
notamment conditionnées les
baskets de la marque Veja.
Critiqué par les associations
pour avoir taillé à la hache dans
les emplois aidés, M. Macron a ad
mis que ce choix a « créé des diffi
cultés pour les publics les plus fra
gilisés ». Mais pas question de
changer de cap. Pour le chef de
l’Etat, mieux vaut développer de
nouveaux postes dans le domaine
de l’IAE, plus à même selon lui de
garantir des « emplois pérennes » à
l’issue du parcours d’insertion. Le
dispositif s’apparente à un vaste
archipel de quelque 3 700 structu
res avec des formes juridiques di
verses (chantiers d’insertion, etc.).
« Les personnes les plus abîmées
par la vie » sont prises en charge
dans le but de les préparer à une
embauche dans des « entreprises
de droit commun », préciseton
au ministère du travail.
Mardi, l’exécutif a indiqué que
20 000 nouveaux postes seront
créés dans ce secteur en 2020 et
que le budget consacré à ce dispo
sitif sera porté à un peu plus de
1 milliard d’euros (1,3 milliard à
l’horizon 2022), contre 920 mil
lions cette année. Il s’agit, en l’oc
currence, d’une confirmation
puisque ces orientations avaient
été dévoilées, il y a presque un an
jour pour jour, dans le cadre de la
stratégie de lutte contre la pau
vreté. A l’époque, l’exécutif s’était
engagé à « accueillir 100 000 sala
riés supplémentaires » dans le
monde de l’IAE, pour passer de
140 000 à 240 000 en 2022 ; un
« investissement exceptionnel de
450 millions d’euros » avait égale
ment été annoncé.
Sans précédent, d’après l’entou
rage de Mme Pénicaud, cet effort
budgétaire s’accompagne d’une
trentaine de mesures, très techni
ques, inspirées du rapport remis
mardi par Thibaut Guilluy, prési
dent du Conseil national pour
l’inclusion dans l’emploi. L’une
d’elles consiste à supprimer
l’autorisation administrative oc
troyée aux individus pour pou
voir entrer dans le secteur de l’IAE.
Il est par ailleurs prévu d’installer
une plateforme numérique qui
permettra aux structures d’IAE
« de mettre en ligne leurs offres
d’emploi et leurs projets », affirme
ton au ministère du travail.
Le « pacte d’ambition » est com
menté positivement par les ré
seaux de l’IAE : les « moyens » sont
« au rendezvous », écriventils
dans un communiqué commun,
en saluant, au passage, la qualité
de la concertation qui a précédé
les annonces de mardi. Mais il
conviendra, à leurs yeux, de rester
vigilant dans la phase de mise en
œuvre. « Si on veut réinsérer les
gens les plus éloignés de l’emploi, il
faut du temps, de l’argent, des for
mations, rappelle Louis Gallois,
président de la Fédération des ac
teurs de la solidarité (FAS). Si on
privilégie l’employabilité immé
diate, ce sont les personnes les plus
proches de retrouver une activité
qui seront concernées, pas les per
sonnes les plus éloignées du mar
ché du travail. »
« Trajectoire d’apaisement »
« Il faut que tous les territoires en
bénéficient, pas seulement ceux
qui sont performants économi
quement », met en garde Eric
Béasse, secrétaire général du
Coorace. « Ça demande une mobi
lisation collective », impliquant les
collectivités locales, les entrepri
ses et les services de l’Etat, en
chaîne Tarek Daher, délégué géné
ral du Comité national de liaison
des régies de quartier, en souli
gnant l’attention qui doit être ac
cordée aux banlieues populaires.
Le coup de pouce financier de
l’Etat en faveur de l’IAE est appré
cié mais « il ne compense pas, sur le
plan quantitatif, la destruction de
plus 200 000 contrats aidés depuis
le début du quinquennat », com
mente Florent Gueguen, direc
teur général de la FAS. Dans l’en
tourage de M. Macron, on recon
naît que « la suppression des em
plois aidés » et leur remplacement
par un nouveau dispositif (par
cours emploi compétences), net
tement moins important en ter
mes d’effectifs, « a laissé des traces
dans les associations ». « Cette
visite s’inscrit dans la trajectoire
d’apaisement, de considération, de
solidarité que le président veut in
carner lors de l’acte II du quinquen
nat », ajouteton. Une façon de
suggérer qu’il lui reste un bout de
chemin à parcourir.
bertrand bissuel
et cédric pietralunga
Le centre
des finances
publiques de
SantaMariaSiché
(CorseduSud),
où la perception
ne traite plus le
service des impôts
aux particuliers,
en février.
OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP
POUR « LE MONDE »
« Nos concitoyens
sont en droit
d’attendre autre
chose que des
services en ligne
ou des minibus »
MARC GUERRINI
maire des Villages-Vovéens
(Eure-et-Loir)
8,9 MILLIONS
de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en 2017
Le seuil de pauvreté correspond à 60 % du niveau de vie médian
de la population, soit 1 041 euros par mois pour un individu seul,
selon les données diffusées, mardi 10 septembre, par l’Insee.
Au total, 14,1 % de la population était considérée comme pauvre
il y a deux ans, un taux quasi stable par rapport à 2016.