24 11 · 2019 ÉCOUTE
SPÉCIAL LANGUE FRANÇAISE |
« Ah là là, les jeunes parlent tellement
mal! » Voilà une phrase qu’on peut
régulièrement entendre de la bouche
des adultes. S’ils ont la sensation que
les jeunes parlent mal, c’est parce qu’ils
ne comprennent pas leur langage ou les
expressions propres à leur groupe social.
De plus, les adultes ne doivent pas oublier
qu’eux-mêmes, lorsqu’ils étaient adoles-
cents, utilisaient des mots et expressions
que leurs propres parents ne compre-
naient ou n’aimaient pas. Cet argot des
moins de 20 ans est souvent appelé le
« parler jeune ». On peut préférer la for-
mule « parler de la rue », puisque la rue
symbolise un espace public, ouvert, où
la langue évolue librement, et parce que
certains adultes utilisent aussi cet argot.
Se différencier
L’argot a plusieurs buts. Il permet de se
démarquer des adultes. Il a aussi une
fonction identitaire : les mots et expres-
sions des jeunes ne sont pas les mêmes
d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre,
ou même d’un quartier à l’autre. Enfin, les
linguistes Jean Pruvost et Jean-François
Sablayrolles, dans leur ouvrage Les néolo-
gismes (Presses Universitaires de France,
2019), expliquent que créer est finale-
ment un excellent exercice d’apprentis-
sage : « Les adolescents, pour s’affirmer,
prennent un plaisir partagé à néologi-
ser, c’est-à-dire à délimiter verbalement
leur univers en transgressant la langue
normée des adultes. Et au passage, ils
s’entraînent sans le savoir à manipuler la
langue, pour mieux la maîtriser. »
Des mots qui voyagent
Le « parler de la rue » aime emprunter
à d’autres langues. À l’Allemand, par
exemple, avec « schnecke », employé
pour désigner – vulgairement – le sexe
de la femme. L’argot a repris des mots du
romani, la langue des Roms, en y ajou-
tant la terminaison en « er » : « chouraver »
(voler), « maraver » (frapper). De nom-
breux mots arabes sont adoptés : un
la sensation
, der Eindruck
propre à
, eigen
la formule
, die Formulierung
le but
, das Ziel
se démarquer de
, sich abgrenzen von
l’exercice d’apprentissage
, die Lernübung
s’affirmer
, sich behaupten
délimiter
, abgrenzen
transgresser [tʀsgʀese]
, übertreten
au passage
, nebenbei
s’entraîner à faire qc
, sich in etw. üben
maîtriser
, beherrschen
le sexe
, das Geschlecht(steil)
le romani
, das Romani,
das Romanes
le coup de cœur [kudkœʀ]
, die Liebe auf
den ersten Blick
prétendre
, behaupten
varié,e
, vielfältig
le charognard
, der Aasfresser
courir après les filles
, hinter den
Mädchen her sein
à ce qu’il paraît
, wie es scheint
inverser
, umkehren
mater
, anglotzen, begaffen
la frappe
, der Ganove
associer
, verbinden
perdurer
, fortbestehen
l’espérance (f) de vie
, die Lebensdauer
ringard,e [ʀgaʀ,aʀd]
, altmodisch
sonore
, Klang-
toubib (un médecin), « chouffe »!
(Regarde !), le « flouze » (l’argent) ou
« miskine » (pauvre). L’anglais est égale-
ment une grande source d’expressions :
un « crush » (un coup de cœur), « chiller »
(se relaxer), « se fighter » (se battre). Par-
fois, certains mots restent mystérieux
pour les linguistes. Ils n’arrivent pas,
par exemple, à situer l’origine exacte de
« boloss » (une personne stupide), ou de
« faire crari » (prétendre).
S’amuser avec la langue
Le mode de construction de l’argot est
varié. Les jeunes jouent avec les abrévia-
tions : un « charo » est un « charognard »,
c’est-à-dire un garçon qui court après
les filles, et « askip » est une recomposi-
tion phonétique de la phrase « à ce qu’il
paraît ». Le verlan, qui consiste à inverser
des syllabes, est une partie importante
de l’argot. « Mater » (regarder) a donné
« téma », une « peufra » est une « frappe ».
Très inventifs, les jeunes créent aussi en
associant l’inversion et l’abréviation : la
famille (qui désigne, en argot, « les amis les
plus proches ») se dit la « mifa » ou même
la « mif ».
Les modes changent avec le temps.
Certains mots perdurent, comme « daron »
(père) qui date du XVIIIe siècle, ou
« thune » (argent) qui est utilisé depuis
le XVIIe siècle. D’autres connaissent
une espérance de vie limitée, comme
« senssas » (sensationnel) ou « swag »
(style, charisme) qui sont aujourd’hui
ringards. Mais ce plaisir de jouer avec les
mots reste. Comme le rappelle Aurore
Vincenti : « Le parler de la rue a une dimen-
sion sonore. C’est une langue orale qu’on
emploie et qu’on continue d’employer car
on aime la prononcer. Certains mots sont
très doux, ou au contraire très durs, mais
ils sont agréables à la bouche et à l’oreille. »
Le parler jeune