Le Monde - 30.08.2019

(Barré) #1
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VENDREDI 30 AOÛT 2019 france| 11

Pour la rentrée, le gouvernement en classe verte


A sept mois des municipales, l’exécutif met en avant l’environnement, pour séduire l’électorat écologiste


L


a rentrée des classes du
gouvernement sera verte
ou ne sera pas. Avant
même d’aller lisser les
joues des enfants qui retournent
à l’école, Edouard Philippe a dé­
cidé d’afficher sa détermination
sur le plan écologique. Le premier
ministre devait se rendre à Rou­
baix (Nord), jeudi 29 août, pour
un déplacement sur le thème
« zéro déchets, zéro gaspillage »,
en compagnie de la ministre de la
transition écologique et solidaire,
Elisabeth Borne, et de sa secré­
taire d’Etat, Brune Poirson. Une
manière d’illustrer le projet de loi
antigaspillage que cette dernière
doit porter au Sénat à partir du
24 septembre.
Une manière, surtout, de se pla­
cer dans les pas d’Emmanuel Ma­
cron, qui assure avoir « changé »
en achevant sa conversion écolo.
Le chef de l’Etat a lancé une offen­
sive internationale, ces derniers
jours, en appelant à la mobilisa­
tion en faveur de l’Amazonie – qui
est en proie à de violents incen­
dies – et en annonçant ne pas
vouloir signer « en l’état » l’accord
de libre­échange entre l’Union
européenne et les pays du Merco­
sur. Il veut ainsi dénoncer le non­
respect par le Brésil de ses enga­
gements environnementaux. Ne

reste plus, dans ce contexte, qu’à
convaincre que le gouvernement,
en France, agit.
« Nous avons décidé, avec beau­
coup de constance, de pousser nos
feux sur l’écologie. Nous n’en avons
pas fait assez, on veut en faire plus,
assure­t­on ainsi à Matignon.
Quand le président de la Républi­
que dit “j’ai changé”, c’est le cas de
beaucoup de Français aussi. Ils at­
tendent la transition écologique.
On a la pression, et on se la met. »
Outre le projet de loi porté par
Brune Poirson, le grand rendez­
vous de la rentrée sera celui de la
convention citoyenne sur le cli­
mat. Cent cinquante citoyens sont
tirés au sort depuis le 26 août ; ils
auront pour tâche de servir
d’aiguillon à la politique du gou­
vernement, en rendant une liste
de préconisations à la fin du mois
de janvier 2020. Le projet de loi
LOM sur les mobilités, censé met­
tre l’accent sur le sujet, lui aussi,
doit par ailleurs être présenté à
l’Assemblée nationale, le 2 sep­
tembre, en commission. De leur
côté, les députés de La République
en marche (LRM) vont consacrer
en priorité leur séminaire de ren­
trée, le 19 septembre, à Saint­De­
nis, à la transition écologique.

Une politique des petits pas
Cet agenda vert se veut, pour re­
prendre la terminologie gouver­
nementale, « concret » et « prag­
matique ». « La transition doit tenir
compte des Français, de leur mode
de vie, des emplois », défend l’en­
tourage de M. Philippe. En clair,
prendre son temps et ne pas soule­
ver de haut­le­cœur dans la popu­
lation. Contrairement à ce qui s’est
passé avec la hausse de la taxe car­
bone, qui a engendré la crise des
« gilets jaunes »... Une politique
des petits pas qui suscite l’incom­
préhension chez les écologistes.
Elle a conduit Nicolas Hulot à cla­
quer la porte du gouvernement, il
y a tout juste un an. « Il ne se passe
pas grand­chose depuis son départ
du ministère de l’écologie, regrette
Jean Jouzel, climatologue et mem­
bre du groupe d’experts intergou­
vernemental sur l’évolution du cli­
mat (GIEC). Même si l’écologie est
dans les discours, dans la réalité, il
n’y a pas de décisions suffisantes. »
« Les beaux discours et les alertes,
c’est bien. Mais il faut surtout des
actes et de la cohérence! », exige de
son côté le chef de file d’Europe
Ecologie­Les Verts (EELV), Yannick
Jadot, qui liste une série de « con­
tradictions » de la part du pouvoir.
« Emmanuel Macron dit vouloir dé­
fendre l’Amazonie mais la France
est le premier importateur de soja
des Amériques et favorise l’élevage
industriel sur notre territoire, qui
dépend du soja brésilien! », déplore
le député européen, qui plaide
pour un embargo sur ce produit.
L’écologiste reproche aussi au

gouvernement d’avoir accordé en
Guyane, le 31 juillet, des permis
d’exploration de mines d’or sur
une surface de 5 000 hectares, ou
encore d’avoir réduit le budget al­
loué à l’isolation des bâtiments.
« L’objectif de Macron n’est pas
de sauver le climat et la biodiver­
sité, mais de récupérer des voix
dans l’électorat écolo », accuse ce­
lui qui a conduit EELV au score de
13,5 % aux élections européennes,
en mai. « Macron a compris le
danger politique. Il a bien saisi que
la dynamique en faveur de l’écolo­
gie ne s’arrêtera pas et qu’à côté de
lui et de l’extrême droite, un troi­
sième pôle est en train d’émer­
ger », souligne Delphine Batho,
députée (Génération Ecologie)
des Deux­Sèvres et ex­ministre
de l’environnement.
De fait, il y a urgence pour la ma­
jorité. A Matignon, l’entourage
d’Edouard Philippe observe de
près les sondages en vue des élec­
tions municipales de mars 2020.
En particulier dans les grandes
villes. « Le fait nouveau, c’est que
l’électorat écologiste a un socle
constitué, qui tourne autour de 16
à 22 points. Quel que soit le profil
du candidat écologiste, il aura un
socle minimal d’électeurs », prédit
un conseiller du premier minis­
tre, qui a sous les yeux les chiffres
d’une douzaine de grandes villes.
A chaque fois, le candidat écolo y
arrive en deuxième position. Or,

comme le souligne un proche de
M. Macron, « il y a une très grande
porosité » entre l’électorat écolo­
giste et celui du chef de l’Etat. Il
convient donc de bien choisir ses
mots et ses actes.
L’opération séduction semble
pour l’instant porter ses fruits
dans l’opinion. Le redressement
de la cote de popularité de M. Ma­
cron en août (+ 2 points), avec 34 %
de Français satisfaits de son ac­
tion, s’explique en grande partie
par une progression auprès des
électeurs se disant proches d’EELV
(41 % de satisfaits, +14 points), se­
lon un sondage IFOP pour Le Jour­
nal du dimanche, publié le 25 août.
Peu importe que l’offensive soit
intéressée ou non, la chef de file
des écologistes de la majorité,
Barbara Pompili, se réjouit en
tout cas « des engagements pris »
par le gouvernement et veut

croire à un changement de men­
talité. « L’exécutif avait déjà pris
conscience que l’enjeu écologiste
était incontournable, mais là, on
est passé à une autre étape. Em­
manuel Macron et Edouard Phi­
lippe semblent avoir pris cons­
cience de l’urgence écologique.
C’est une évolution positive », juge
la députée LRM de la Somme, fai­
sant fi des critiques. « Le gouver­
nement aurait intérêt à plus écou­
ter et travailler avec les associa­
tions écologistes », nuance de son
côté le député (ex­LRM) du Maine­
et­Loire, Matthieu Orphelin, pro­
che de Nicolas Hulot.

« Libéral-écologisme »
« Pour l’opposition, c’est toujours
trop ou pas assez! », s’agace Béran­
gère Abba, députée LRM de Haute­
Marne. « Il est facile de souligner ce
qu’il reste à faire mais la somme
des actions concrètes déjà menées
est énorme », estime son collègue
de l’Isère, Jean­Charles Colas­Roy.
Pour mettre en avant le bilan de la
majorité, les deux responsables de
la thématique « transition écologi­
que » au sein de LRM citent la
prime à la conversion, l’abandon
du projet d’aéroport de Notre­Da­
me­des­Landes, l’arrêt du projet
minier de la Montagne d’or en
Guyane, l’augmentation du chè­
que énergie, ou encore la ferme­
ture des quatre dernières centra­
les à charbon du pays d’ici à 2022.

Au­delà des municipales, l’écolo­
gie n’est pas sans importance en
prévision de la présidentielle, de
2022, voire plus loin. « Les partis de
droite et de gauche ont été en peine
de définir une doctrine sur le sujet.
La question écologique repose
toute la question des catégories po­
litiques traditionnelles, elle va les
redéfinir, estime ainsi Ismaël Eme­
lien, ex­conseiller spécial de Ma­
cron à l’Elysée. Le relatif bon score
de LRM aux européennes est en
partie explicable par le fait que la
dimension écologique a été traitée
pendant la campagne. »
Certains, comme le député de
la Vienne Sacha Houlié, définis­
sent maintenant le macronisme
comme un « libéral­écologisme »,
qui s’opposerait au bloc autori­
taire représenté par Marine Le
Pen. Face à l’instabilité du minis­
tère de la transition écologique et
solidaire – qui a connu trois titulai­
res du poste en deux ans –, M. Ma­
cron semble donc décidé à incar­
ner lui­même le virage vert de
l’exécutif. Peu importe qu’Elisa­
beth Borne soit « encore moins
connue que François de Rugy »,
comme le souligne un familier du
pouvoir, ou qu’elle n’ait pas le rang
de ministre d’Etat, contrairement
à ses prédécesseurs. Comme sou­
vent en Macronie depuis deux
ans, tout passe par le chef.
olivier faye
et alexandre lemarié

La cellule de dégrisement fiscal a rapporté 9,4 milliards d’euros


Créé en 2013 après l’affaire Cahuzac, le service permettait aux contribuables de régulariser leur situation sans être poursuivis au pénal


C’


est une conséquence
de l’affaire Cahuzac. Le
service mis en place
en 2013, après qu’il avait été révélé
que le ministre du budget de Fran­
çois Hollande possédait des fonds
cachés à l’étranger, a permis à
l’Etat de récolter 9,4 milliards
d’euros. Ce département de Bercy
offrait la possibilité aux contri­
buables français se trouvant dans
la même situation que Jérôme
Cahuzac de régulariser leur situa­
tion avec la garantie de ne pas être
poursuivis au pénal.
Le bilan de l’action du service
de traitement des déclarations
rectificatives (STDR), publié mer­
credi par Le Figaro, montre que

l’initiative a porté ses fruits. Jus­
qu’à la fermeture complète du
service, l’an dernier, 47 000 dos­
siers ont été traités, dont 11 300
en 2018.
Dans un cas sur deux, les person­
nes concernées ont bénéficié
d’une succession. Pour 19 % d’en­
tre elles, il s’agit d’« épargne ex­
portée », précise Bercy. Et 14 % des
dossiers concernent une dona­
tion. D’ailleurs, la moyenne d’âge
des contribuables qui se sont pré­
sentés au fisc tourne autour de
70 ans. Il s’agit souvent, pour eux,
de « sécuriser la situation de leurs
futurs héritiers », constate le STDR.
La rentabilité de l’opération
tend cependant à baisser sur la

durée. Sur les 9,4 milliards d’euros
récoltés de 2013 à 2018, la dernière
année n’aura permis à l’Etat de
percevoir que 940 millions
d’euros, avec un montant moyen
de droits et pénalités encaissés,
par dossier, de 132 000 euros. Les
plus gros contribuables n’ont,
semble­t­il, pas attendu la der­
nière minute pour déclarer leurs
dépôts à l’étranger.
Ainsi, la part des contreve­
nants ayant dû acquitter plus de
800 000 euros a chuté de 5 %,
en 2016, à moins de 1 %, en 2018.
De même, le montant des avoirs
concernés a progressivement
diminué, en tout cas pour les
plus gros patrimoines. Les

comptes dont les encours dé­
passaient 10 millions d’euros ne
représentaient que 0,2 % des
dossiers en 2018, alors qu’ils
étaient 1,5 % en 2015.

« Evitement fiscal »
Dans trois cas sur quatre (77 %),
les fonds étaient cachés en Suisse.
Le fait que de nombreux Français
ayant de l’argent dans ce pays
aient souhaité se mettre en règle
« s’explique notamment par l’atti­
tude des banques suisses incitant,
depuis 2013, leurs clients à régula­
riser leur situation auprès de l’ad­
ministration fiscale française »,
note Bercy. Le Luxembourg en
rassemblait 8 %, devant l’Union

européenne (6,2 %) et les Etats­
Unis (2,5 %). En revanche, un cer­
tain nombre de pays très accom­
modants fiscalement (Singapour,
Hong Kong, Panama, Liechtens­
tein, Caïmans, Bermudes, Baha­
mas et Antilles néerlandaises)
ont été peu concernés par ces ré­
gularisations : 2,1 % des dossiers,
seulement.
« Cela confirme ce que nous di­
sons depuis le début », note Fabien
Roussel, secrétaire national du
Parti communiste français et
auteur d’un rapport parlemen­
taire sur « l’évitement fiscal inter­
national », en 2018. « Sans liste cré­
dible et sérieuse de paradis fiscaux,
incluant les pays européens, la

France ne sera pas à la hauteur. Il y
a encore beaucoup de comptes en
Suisse, malgré l’échange de don­
nées. Mais la France a fermé trop
tôt cette cellule de dégrisement! »
Ce n’est pas l’avis de Gérald Dar­
manin, ministre de l’action et des
comptes publics. Dans Le Figaro,
il déclare en effet : « La France a
laissé quatre ans et demi aux con­
tribuables qui le souhaitaient
pour régulariser leur situation.
C’est assez. Avec l’échange auto­
matique d’informations, un dis­
positif comme le STDR n’a plus
d’intérêt, car nous obtenons direc­
tement l’information sur les
comptes à l’étranger. »
benoît floc’h

Le premier ministre, Edouard Philippe, le 7 mars 2018. LUDOVIC MARIN/AFP

« Macron dit
vouloir défendre
l’Amazonie,
mais la France
est le premier
importateur
de soja »
YANNICK JADOT
député européen (EELV)

LE  CONTEXTE


150  FRANÇAIS  TIRÉS 
AU  SORT

Demander à des Français tirés au
sort de débattre puis de propo-
ser les solutions pour lutter con-
tre le réchauffement climatique :
c’est l’une des réponses
apportées par Emmanuel Ma-
cron à la crise des « gilets jau-
nes » à l’issue du grand débat. Le
recrutement des 150 Français qui
formeront cette « convention ci-
toyenne » inédite a commencé
lundi 26 août. Des numéros de
téléphone (85 % de portables et
15 % de fixe) générés aléatoire-
ment sont appelés par l’Institut
Harris Interactive. Jusqu’à
300 000 personnes seront
contactées pour trouver un panel
représentatif de la société. 52 %
de femmes et 48 % d’hommes,
de six tranches d’âge ; niveau de
diplôme, catégorie socioprofes-
sionnelle, lieu de résidence (en
métropole ou en outre-mer, dans
un village ou une grande ville)
devront aussi se conformer à la
diversité de la population.
Ces citoyens, qui s’engagent à
participer à six week-ends de tra-
vail pendant six mois, seront in-
demnisés. La convention sera
installée les 4, 5 et 6 octobre.
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