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VENDREDI 30 AOÛT 2019 économie & entreprise| 13
un concentré sociologique de la France et
tout le monde veut y résider. Les riches du
monde entier s’y aménagent un piedà
terre, quitte à n’y venir que quelques jours
par an : dans les quatre arrondissements du
cœur de la capitale, 25 % des appartements
sont vacants ou utilisés comme résidence
secondaire.
Les cadres revenus de Londres pour cause
de Brexit et au fort pouvoir d’achat lorgnent
les grands appartements du 6e arrondisse
ment ou, faute de mieux, ceux du 14e ou du
16 e, près des « bonnes écoles » – écoles bilin
gues, collège Stanislas, La Rochefoucauld,
Ecole alsacienne, dans les 6e et 7e, ou Saint
Jean de Passy, SaintLouisdeGonzague,
Gerson dans le 16e : « Dès que les établisse
ments privés et les lycées publics recherchés
publient la liste des élèves admis, le téléphone
sonne sans relâche et c’est la razzia dans nos
agences, sommées de trouver, à proximité,
un bel appartement de 150 mètres carrés avec
trois ou quatre chambres et une terrasse », té
moigne Nicolas PettexMuffat, directeur gé
néral du réseau d’agences Daniel Féau, lea
der du haut de gamme parisien.
LA VILLE SE DÉPEUPLE
La métropolisation concentre la finance, la
recherche, les emplois superqualifiés dans
une villemonde qui rivalise peutêtre avec
New York ou Londres, mais qui vide le reste
du territoire de sa substance. « Ainsi, 50 % des
recherches d’acquéreurs sur notre site ciblent
30 villes où n’habitent que 10 % de la popula
tion... Cette hyperconcentration ne fait que des
perdants, analyse Corinne Jolly, présidente de
PAP. Les propriétaires dans les régions qui se
vident mettent des années à vendre leur mai
son et il devient impossible de se loger dans les
grandes villes. Il est temps de réfléchir à un
autre aménagement du territoire. »
Le tourisme ajoute sa pression sur la capi
tale avec l’emprise toujours plus forte des
platesformes de locations touristiques qui
y font leurs meilleures affaires : 65 000 of
fres rien que sur Airbnb. « Plutôt 53 000,
dont 30 000 gérées à l’année par des profes
sionnels, et qui sont autant d’appartements
retirés du parc locatif de longue durée », recti
fie Franck Briand, habitant du 2e arrondisse
ment à l’origine d’un regroupement citoyen
pour évaluer les conséquences d’Airbnb (Pa
risvsbnb.fr).
Résultat, les familles de trois enfants et
plus quittent Paris, qui se dépeuple au
rythme de 10 000 à 12 000 habitants chaque
année depuis 2011. C’est encore plus sensible
dans le centre, par exemple le 2e arrondisse
ment, transfiguré par le tourisme et les loca
tions saisonnières, qui a perdu 10 % de sa po
pulation depuis 2015 et dont le maire (EELV),
Jacques Boutault a vu, dans le même temps,
fermer trois classes de maternelle : « Les loca
tions Airbnb prolifèrent, notamment dans
d’anciens ateliers textiles aménagés, déplore
l’élu. Dans le Sentier, les rues deviennent des
rendezvous festifs avec bars, restaurants et
terrasses animées la nuit, qui nuisent à la qua
lité de vie des habitants et à la propreté des es
paces publics. Impossible, par exemple, de
faire respecter, par des visiteurs de quelques
soirs, les consignes de tri des déchets... Et les
vendeurs d’un appartement font, eux, monter
le prix, arguant de cette possibilité de perce
voir des loyers élevés auprès des touristes. »
L’arrivée d’une population à fort pouvoir
d’achat modifie aussi profondément le pay
sage commercial de Paris, si riche et diversi
fié, avec 62 507 boutiques (chiffre 2017, tiré
de l’étude de la Ville de Paris, de la chambre
de commerce et d’industrie et de l’Atelier pa
risien d’urbanisme de mars 2018). Le
maillage de magasins d’alimentation est
toujours serré, mais le nombre de super
marchés discount, par exemple, s’est effon
dré, passant de 116, en 2003, à 51, en 2017, au
profit du bio et du circuit court, qui comp
tait 130 boutiques en 2003 et 277
aujourd’hui, avec une prédilection pour le
11 e arrondissement. Les commerces alimen
taires de luxe prolifèrent : 221 cavistes ont
ouvert en quinze ans, 99 chocolatiersconfi
seurs, 38 vendeurs de thé ou café, 201 mar
chands de produits régionaux et étrangers
ou encore 61 pâtissiers, tandis que disparais
saient 111 boulangeries sur 1 297 (bien que
leur nombre se soit stabilisé depuis 2014) et
232 boucheriescharcuteries sur 780.
Les artisans de Paris sont éjectés en ban
lieue : 254 garages et concessions automobi
les de moins en 2017 qu’en 2003, quand ils
étaient 570, mais la vente et la réparation de
deuxroues, motos et vélos, font florès ; 362
professionnels du bâtiment partis sur 1 315 ;
57 menuisiers et vitriers sur 191 ; 43 serru
riers sur 325 ; 178 tapissiers et ébénistes sur
588 ; 38 encadreurs sur 216. Pour beaucoup
de ces professionnels, l’éloignement fait
perdre des heures en trajet pour se rendre
sur les chantiers et renchérit les coûts.
Paris reste une ville mosaïque où habi
tants aisés et pauvres se côtoient toujours,
avec des îlots de prospérité dans les quar
tiers modestes et, inversement, de pauvreté
dans des enclaves huppées. La ville peut en
core revendiquer sa mixité grâce à la pré
sence de Parisiens de longue date et au loge
ment social, qui représente 20 % des rési
dences principales. Mais pour combien de
temps encore ?
isabelle reylefebvre
SELON LES NOTAIRES,
86 % DES ACHETEURS
EN 2018 À PARIS
SONT ISSUS DES
CATÉGORIES SOCIALES
PROFESSIONNELLES
SUPÉRIEURES
ET DES PROFESSIONS
INTERMÉDIAIRES
Le marché plus fort
que le volontarisme politique
La maire de Paris, Anne Hidalgo, avait fait du logement un dossier
central de son mandat, mais les prix ont malgré tout explosé
P
lus de 10 000 euros le mè
tre carré! Le prix stratos
phérique atteint en
moyenne par les logements an
ciens à Paris fait la joie des pro
priétaires qui ne cessent de s’en
richir, et de ceux qui y voient une
conséquence de l’attractivité de
Paris. Mais aux yeux de nombre
de Parisiens, il marque plutôt un
échec, celui de la politique menée
par la Mairie en matière de loge
ment. Ou au moins un constat
d’impuissance. Malgré le volon
tarisme affiché par les élus, le
marché l’a emporté. Et contraire
ment à ce que prônaient les am
bitions initiales, il devient de
plus en plus difficile de se loger
dans la capitale.
Le sujet fait déjà partie des dos
siers au cœur de la campagne
pour les prochaines élections mu
nicipales, en mars 2020. « Dans le
bilan d’Anne Hidalgo, il y a du posi
tif, mais aussi du très négatif, à
commencer par la spéculation im
mobilière qu’elle a laissé filer »,
juge ainsi son allié écologiste Da
vid Belliard, qui dirigera les listes
Europe EcologieLes Verts au pre
mier tour. La République en mar
che (LRM) et la droite classique
comptent également attaquer la
maire socialiste sur le sujet, tout
en avançant prudemment tant la
question est complexe : peuton
vraiment contrer les forces du
marché immobilier?
« Bloquer les prix, c’est difficile »
« En fait, nous avons fait le maxi
mum, plaideton à l’Hôtel de
ville. Il n’y a que deux leviers que
nous n’avons pas pu actionner,
parce que l’Etat nous a mis des bâ
tons dans les roues : la lutte judi
ciaire contre les excès d’Airbnb et
l’interdiction des résidences se
condaires inoccupées. » Les élus
estiment avoir obtenu de vrais
succès en matière de lutte contre
l’habitat insalubre, d’héberge
ment des sansabri, et de main
tien d’une certaine mixité so
ciale. « Mais bloquer les prix, ça,
c’est difficile... »
En 2014, lors de la campagne
précédente, Anne Hidalgo avait
hissé le logement au rang de
« priorité des priorités » et fixé un
horizon : « Je veux qu’en 2020 les
Parisiens puissent plus facilement
se loger selon leurs besoins », et en
particulier « entrer dans un loge
ment plus grand quand leur fa
mille s’agrandit ». Cet objectif n’a
clairement pas été atteint. Les
prix d’achat dans le neuf comme
dans l’ancien se sont envolés. Les
loyers dans le parc privé ont eux
aussi bondi. Et de plus en plus
d’appartements sont destinés
aux touristes par l’intermédiaire
de sites comme Airbnb.
Résultat, les Parisiens ont plus
de mal à se loger. La ville perd
chaque année entre 10 000 et
12 000 habitants, notamment
des familles qui voient arriver
un premier ou un deuxième en
fant. « Paris, troisième ville la plus
chère du monde, expulse les clas
ses moyennes et les familles de ses
murs », se désole Jérôme Dubus,
un élu LRM de Paris.
Anne Hidalgo avait promis,
en 2014, de provoquer « un vérita
ble choc sur le marché du loge
ment », qui aurait pu détendre les
prix. Elle entendait « accélérer la
construction de logements dans
Paris » en en créant « 10 000 par
an ». En réalité, le nombre de
nouveaux logements autorisés à
la construction est resté stable,
autour de 4 000 à 5 000 par an.
Les terrains libres sont rares et,
d’année en année, la pression de
vient plus forte pour laisser la
place à des espaces verts.
L’édile socialiste et son adjoint
au logement, le communiste Ian
Brossat, s’étaient fixé un autre
but : passer de 19 % de logements
sociaux en 2014 à 22 % en 2020 et
30 % en 2030, avec un effort parti
culier dans l’ouest de Paris. Sur ce
plan, la Mairie s’estime en bonne
voie, grâce à la « production » de
plus de 7 000 logements sociaux
par an, « qui bénéficient aux Pari
siens à faibles revenus et de classes
moyennes ».
Cependant, l’opposition dé
nonce un trompel’œil : depuis
2001, seule la moitié de cette pro
duction correspond à des cons
tructions neuves. Pour le reste, il
s’agit soit d’appartements privés
préemptés par la Ville, parfois à
prix élevé, soit de logements du
parc public déjà occupés, et qui
font l’objet d’une convention les
transformant en logements so
ciaux. « Ce ne sont donc pas des
appartements supplémentaires »,
mais « une astuce de communica
tion », critique le député (Agir) du
18 e arrondissement, PierreYves
Bournazel.
Des cas extrême
En tout état de cause, le parc social
de la Ville de Paris reste très insuf
fisant par rapport à la demande.
En 2017, à peine 11 000 logements
sociaux ont été attribués à Paris
pour... plus de 240 000 deman
des! L’écart est d’autant plus fort
que ceux qui bénéficient de ces
habitations bon marché ne les lâ
chent pas facilement. Seuls 4 %
des logements changent d’occu
pants chaque année. Avec des cas
extrêmes, comme celui de l’an
cienne préfète de LoireAtlanti
que qui a profité d’un logement
social parisien durant plus d’une
décennie... sans l’occuper. Ou
ceux de ces centaines de Parisiens
qui souslouent leurs HLM sur
Airbnb, au mépris de la loi.
Anne Hidalgo et Ian Brossat ont
aussi rencontré des difficultés
pour le parc privé. Alors qu’ils
avaient obtenu que l’Etat autorise
un encadrement des loyers à par
tir de 2015, ce dispositif a été an
nulé par la justice en 2017. Il a fallu
une loi, puis des arrêtés, pour que
les loyers des appartements pari
siens soient de nouveau enca
drés, depuis le 1er juillet 2019. Cela
devrait calmer la hausse. Au
moins pendant cinq ans, durée
prévue de l’expérimentation.
denis cosnard
EN 2017, À PEINE
11 000 LOGEMENTS
SOCIAUX ONT ÉTÉ
ATTRIBUÉS À PARIS
POUR... PLUS DE
240 000 DEMANDES
Prix moyen du m^2 à Paris, fin mai 2019, en euros,
appartements anciens
10 000 € par m^2
de 7 200 à 8 000
de 8 000 à 10 000
de 10 000 à 12 000
de 12 000 à 14 000
de 14 000 à 15 740
données indisponibles
T1. 1999 T2. 2009 T1. 2019
Odéon
15 740 €
Pont-de-Flandre
7 200 €
Evolution des prix à Paris, en euros par m^2 ,
appartements anciens
Crise de 2008
En août 2019, le palier
des 10 000 euros du m^2
à été dépassé
30,5 %
des transactions parisiennes sont
consacrées à l’investissement locatif
55,9 %
des résidences principales
Le seuil des 10 000 €/m^2 franchi en août Sur les 80 quartiers, 37 sont déjà au-dessus de 10 000 €/m^2
La moitié des achats servent de résidence principale
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
10 190 €
2 410 €
5 %
de résidences
secondaires
8,6 %
Autres (locaux
commerciaux)
les plus fortes évolutions
du prix au m^2 , sur cinq ans
(supérieures à 25 %)
D’après une étude de l’APUR , 14 910 familles ont quitté Paris
au cours de l’année 2013. Sur ces 14 910 familles :
sont restées dans la Métropole
du Grand Paris
sont
restées en
Ile-de-France
sont parties en province
Sources : Notaires du Grand Paris ; Century 21 ; conseil général de l’environnement et du développement durable ; APUR ; INSEE Infographie : Le Monde
Part des acquéreurs de logements anciens, en % Durée moyenne de revenus
nécessaires pour acquérir
100 m^2
En France
Sept ans de revenus
moyens français
A Paris
Trente et un ans
de revenus
moyens parisiens
Cadres et professions supérieures
(artisans, chefs d’entreprise, cadres
et professions intermédiaires)
1998 2018
1998 2018
Employés et ouvriers
Un marché réservé aux CSP+*
69
86
Quel pouvoir d’achat immobilier avec 10 000 euros?
15
5
Moins 1 m^2
de 1 m^2
2 m^2 3 m^2 Plus
de 4 m^2
données indisponibles
Combien de m^2 peut-on acheter à Paris et dans les communes de
la petite couronne avec 10 000 euros, en 2019 ?*
6 e arrondissement
0,72 m^2
Sevran
5,07 m^2
*Surface calculée à partir du prix moyen au m^2 des appartements anciens, à usage d’habitation, par commune au premier trimestre 2019
Clichy
1,6 m^2
Créteil
2,94 m^2
*Catégorie socioprofessionnelle supérieure
Paris repousse les familles vers la périphérie
Evolution du nombre de familles, en %,
entre 2010 et 2015
De – 3 %
à 0 %
De 0 %
à 3 %
De – 6 %
à – 3 %
De – 10 %
à – 6 %
En deçà
de – 10 %
49,7 % 15,5 %
1 er
2 e
3 e
4 e
6 5 e
e
7 e
8 e
9 e 10 e
11 e
12 e
14 13 e
e
15 e
16 e
17 e
18 e
19 e
20 e 23 %
des ménages
à Paris en 2016
sont des familles
34,8 %