14 |économie & entreprise VENDREDI 30 AOÛT 2019
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Pernod Ricard
installe une distillerie
de whisky en Chine
Le groupe acquiert également l’américain
Castle Brands et son bourbon Jefferson’s
U
n milliard de yuans. Soit
environ 130 millions
d’euros. C’est le montant
que Pernod Ricard est prêt à miser
pour bâtir une distillerie de
whisky à Emeishan, dans le Si
chuan, en plein cœur de la Chine.
La première pierre devait être po
sée jeudi 29 août. Mais il faudra at
tendre 2021 pour que l’alcool com
mence à couler, et 2023 pour boire
la première bouteille dont la mar
que chinoise n’est pas dévoilée.
« Avec ce projet, nous serons les
premiers à proposer un whisky sin
gle malt chinois », se réjouit
Alexandre Ricard, PDG du
deuxième groupe mondial de spi
ritueux. Ce projet illustre la straté
gie qu’il impulse depuis fé
vrier 2015, date de son arrivée à la
tête de l’entreprise fondée par son
grandpère, Paul. « Quand nous in
vestissons en Chine ou en Afrique,
c’est une stratégie à long terme »,
tientil à souligner, s’ancrant dans
l’histoire du groupe familial.
Evolution de la gouvernance
Mais le petitfils du fondateur
s’est aussi fixé d’autres impéra
tifs : croître et accélérer le change
ment du groupe. D’où le vocable
« Transform & Accelerate » choisi
pour qualifier le nouveau plan
stratégique qui se déroule sur
trois ans de 2018 à 2021. « [Dans ce
contexte], nous accélérons la ges
tion dynamique de notre porte
feuille », explique M. Ricard.
Pour répondre aux nouvelles at
tentes des consommateurs en
clins à découvrir des alcools dits
« artisanaux », Pernod Ricard
ajoute de nouvelles marques à son
bar. Le groupe a annoncé, mer
credi 28 août, l’achat de l’améri
cain Castle Brands pour 223 mil
lions de dollars (201 millions
d’euros). De quoi s’offrir un nou
veau bourbon à la marque Jeffer
son’s. Début août, Pernod Ricard
avait décroché la marque de whis
key texan TX et sa distillerie à côté
de Fort Worth. Et, en juin, Rabbit
Hole, un bourbon du Kentucky. Et,
en avril, le gin italien Malfy. A l’in
verse, il a cédé des vins argentins.
Mais cette montée en puissance
ne se limite pas aux marques.
« Nous accélérons notre politique
financière », affirme M. Ricard.
Pour la première fois, le groupe fa
milial lance un programme de ra
chat d’actions d’un montant
maximal de 1 milliard d’euros sur
deux ans. Il augmente également
fortement la distribution de divi
dendes. Des décisions qui ne
manquent pas d’être mises en re
gard avec l’arrivée surprise du
fonds activiste américain Elliott à
son capital en décembre 2018.
Fort de ses 2,5 %, Elliott avait atta
qué Pernod Ricard sur deux
fronts : sa rentabilité et sa gouver
nance. Même si M. Ricard se dé
fend de réagir aux injonctions de
l’activiste, il annonce une évolu
tion de la gouvernance du groupe.
Lors de la prochaine assemblée gé
nérale, Pierre Pringuet, ancien di
recteur général du groupe, devrait
présenter sa démission ainsi que
Martina GonzalezGallarza. Pour
les remplacer, les noms de Phi
lippe Petitcolin, patron de Safran,
et d’Esther Berrozpe Galindo, qui a
été dirigeante chez Whirlpool, se
ront proposées en tant qu’admi
nistrateurs indépendants.
Quant aux griefs sur la rentabi
lité, M. Ricard ne manque pas
d’arguments. Le groupe a clôturé
son exercice fiscal, fin juin, sur un
chiffre d’affaires de 9,182 mil
liards d’euros, en croissance in
terne de 6 %, tirée par la Chine (+
21 %) et l’Inde (+ 20 %). Son résul
tat d’exploitation s’élève à
2,581 milliards d’euros, en pro
gression de 8,7 %, et le résultat
net, à 1,455 milliard d’euros.
laurence girard
Une saison de mutations
pour les télévisions françaises
Bousculés par les platesformes américaines et les nouveaux usages
des jeunes, les groupes audiovisuels accélèrent leurs transformations
L
es chiffres laissent augu
rer des lendemains diffi
ciles : chaque soir durant
la saison 20182019,
900 000 téléspectateurs man
quaient à l’appel devant le petit
écran. Le temps passé devant la
télévision traditionnelle s’est
également réduit : une perte de
plus de neuf minutes au premier
semestre, à trois heures et trente
minutes en moyenne par jour,
selon une étude de Publicis Me
dia citée, en juillet, par Les Echos.
« La télévision française doit re
penser sa manière de toucher le
public », a résumé, lundi 26 août,
Takis Candilis, le directeur géné
ral délégué à l’antenne et aux
programmes de France Télévi
sions, sur France Inter dans
l’émission « L’Instant M ».
Le même jour, les antennes de
France Télévisions étaient pertur
bées par un appel à la grève pour
protester contre la suppression
de la case d’information du
« Soir 3 ». Après plus de quarante
ans de bons et loyaux services, et
malgré le soutien de nombreux
élus locaux et d’une partie de la
rédaction, elle disparaît.
La quasitotalité de l’équipe est
transférée sur Franceinfo afin de
muscler la grille du soir de la
chaîne d’information de l’audio
visuel public. Autre illustration
du bouleversement en cours dans
le paysage audiovisuel français, la
stratégie du groupe M6. Le prési
dent du directoire, Nicolas de Ta
vernost, cherche à bâtir un
« groupe plurimédia », marqué en
particulier par l’intégration de
RTL et des chaînes du groupe La
gardère (Gulli, Canal J...) pour un
montant de 450 millions d’euros.
Réductions d’effectifs
Les experts prédisent depuis
longtemps la fin de la télévision
traditionnelle, bousculée par les
platesformes américaines, Net
flix en tête, et les usages des plus
jeunes, nourris à YouTube et au
smartphone. En cette rentrée
audiovisuelle, audelà des nou
veaux programmes et de l’habi
tuel mercato des animateurs, c’est
l’accélération des mutations en
cours qui saute aux yeux. « Pour
nous, l’année 2020 va être un tour
nant », estime Stéphane Sitbon
Gomez, directeur de la transfor
mation de France Télévisions.
En vérité, ce tournant, les gran
des chaînes historiques l’ont déjà
amorcé, poussées par le succès de
la vidéo à la demande par abon
nement. Leur puissance a été
mise à mal par le poids de Netflix
- qui, avec 5 millions d’abonnés,
dépasse désormais les chaînes de
Canal+ –, et elles doivent aujour
d’hui se préparer à l’assaut
d’autres géants américains.
La plateforme d’Apple pourrait
arriver en France dès novembre,
celle de Disney (Disney +) est at
tendue au printemps 2020 et
Amazon muscle son catalogue.
On prédit déjà une guerre du
streaming. De quoi accélérer la
fuite des téléspectateurs des
chaînes traditionnelles? Le ris
que est réel : le petit écran a beau
encore rassembler quelque
44 millions de Français chaque
jour, le nombre d’utilisateurs de
services de vidéo à la demande
payants a bondi de 60 % en un an,
entre avril 2018 et avril 2019, se
lon Médiamétrie.
La concurrence agressive de ces
platesformes a déjà fait une vic
time : Canal+, qui avait imposé,
depuis son lancement en France
en 1984, le concept de la télévision
payante. Face à la chute du nom
bre de ses abonnés, le groupe va
supprimer près de 18 % de ses ef
fectifs en France, soit 492 salariés.
L’attrait du catalogue de Netflix et
son prix y sont pour beaucoup.
Mais la chaîne est aussi fragilisée
par la perte des droits de retrans
mission de la Ligue 1 de football
pour les saisons 20202024, raflés
par l’espagnol Mediapro.
Du côté de la télévision en clair,
les trois principaux acteurs
(France Télévisions, TF1 et M6)
ont jugé que la réponse passait
par l’union. Au premier trimes
tre, leur plateforme commune
Salto doit être lancée. Le socle
technique sera développé par
M6, qui vient de recruter Thomas
Sangouard, le directeur techni
que de la plateforme Molotov,
une interface de visionnage de la
télévision. Selon ses promoteurs,
on y trouvera le meilleur de la
production française. Une ré
ponse locale à un défi mondial,
même si certains doutent de la
capacité de Salto à s’imposer dans
un marché marqué par une offre
abondante.
Refonte éditoriale et structurelle
La plateforme en ligne et sur
abonnement, qui vise à proposer
le meilleur des trois chaînes, s’est
vu imposer un certain nombre de
restrictions par l’Autorité de la
concurrence sur l’achat des pro
grammes, la distribution et la pu
blicité. Les trois chaînes se sont
ainsi engagées à limiter les possi
bilités d’achats couplés pour dif
fuser sur leurs antennes et sur In
ternet, et Salto ne pourra pas pro
poser plus de 40 % de son volume
horaire en contenus audiovisuels
acquis auprès des maisons mères
en exclusivité.
Pour France Télévisions, le lan
cement de Salto est l’un des in
nombrables chantiers prévus par
Delphine Ernotte d’ici à 2022. La
patronne du groupe public, dont
le mandat arrive à échéance en
août 2020, s’est engagée dans une
refonte à la fois éditoriale et struc
turelle, le tout dans un contexte
de contraintes budgétaires fortes.
Elle a finalement signé, en mai,
un accord avec les syndicats – seul
le SNJ ayant refusé de le faire –
pour parvenir à rajeunir la pyra
mide des âges (actuellement de
50 ans) et à faire entrer de nou
veaux profils plus numériques.
La direction vise la suppression
nette de 900 postes (2 000 dé
parts et 1 100 embauches). Outre
Salto, la saison 20192020 sera
marquée par le lancement, d’ici à
la fin de l’année, d’une offre In
ternet pour les jeunes qui
s’appellera Okoo, regroupant
France 4, « Ludo », « Zouzous », et
de la plateforme éducative du
service public.
France Télévisions entend aussi
renforcer sa plateforme en ligne
gratuite France.tv pour en faire la
première offre du groupe. Le site,
qui donne aujourd’hui accès aux
contenus des chaînes publiques
en direct et en replay, proposera à
l’avenir des fictions exclusives.
France Télévisions a aussi été ap
pelé par le gouvernement à aug
menter le volume des program
mes régionaux de France 3. C’est
ce que doit permettre la diffusion
sur la chaîne des matinales des
44 stations de France Bleu d’ici à
2022, après les expérimentations
menées en ProvenceAlpesCôte
d’Azur et en Occitanie.
Les changements ne concer
nent pas seulement les chaînes.
Le gouvernement doit présenter
la nouvelle loi sur l’audiovisuel
destinée à remplacer celle de
- Les attentes sont fortes, les
chaînes plaidant pour moins de
régulations face à des concur
rents internationaux qui ne sont
pas soumis aux mêmes obliga
tions, que ce soit sur la publicité
ou le financement du cinéma. Le
ministre de la culture, Franck
Riester, a prévu d’en dévoiler les
grandes lignes à la miseptembre,
avant que le Parlement en dé
batte, début janvier 2020.
alexandre berteau
et françois bougon
Le nombre
d’utilisateurs de
services de vidéo
à la demande
payants a bondi
de 60 % entre
avril 2018 et avril
2019, selon
Médiametrie
A É R I E N
Aigle Azur : désignation
d’un administrateur
provisoire
Un administrateur provisoire
a été désigné, mercredi
28 août, à la tête d’Aigle Azur,
en pleine confusion après le
coup de force d’un de ses ac
tionnaires. Lundi, l’homme
d’affaires francochinois
Gérard Houa, détenteur de
19 % du capital, grâce à son
entreprise Lu Azur, a revendi
qué la présidence de la com
pagnie aérienne en difficulté
financière et évincé son pré
sident, Frantz Yvelin. Ce der
nier a repris son poste mer
credi aux côtés de
l’administratrice provisoire,
Hélène Bourbouloux, dési
gnée par le tribunal de com
merce d’Evry. – (AFP.)
R E C T I F I C AT I F
Editis est entré à hauteur de
30 % dans le capital des édi
tions Jungle! et non pas dans
celui de la maison mère de
Jungle !, Steinkis Groupe (Le
Monde du 29 août).
Sur BFM-TV, « des leçons ont été tirées »
de la crise des « gilets jaunes »
Editions spéciales répétées, accent mis sur les scènes violentes...
BFM-TV a été vivement critiquée pour sa couverture du mouve-
ment des « gilets jaunes ». Nommé en juillet à la tête de la
première chaîne d’information en continu, Marc-Olivier Fogiel
estime que « certaines de ces critiques étaient justifiées, mais la
plupart non ». « Sur BFM comme ailleurs, des gens ont peut-être eu
accès à l’antenne un peu trop rapidement sans qu’ils soient identi-
fiés. » Preuve, selon lui, que « des leçons ont été tirées », les images
des manifestations anti-G7 à Bayonne, le 25 août, « n’étaient pas
extrêmement présentes, même si elles étaient spectaculaires. On a
été moins disant par rapport aux chaînes concurrentes ». Des ten-
sions avaient aussi parcouru BFM-TV en interne, de nombreux
journalistes appelant la direction à des changements éditoriaux.
« Des réponses ont été apportées avant mon arrivée », indique
M. Fogiel, pour qui la situation est aujourd’hui « apaisée ».
tout comme son patron Gilles Pélis
son, Ara Aprikian, le grand maître des pro
grammes du groupe TF1 ne doute pas un
instant de la viabilité des chaînes en clair.
Les analystes de la banque américaine
Morgan Stanley peuvent écrire note après
note – la dernière, en juin, avait prédit, face
à Netflix, un avenir sombre aux chaînes de
télévision dont le modèle économique re
pose largement sur la publicité –, cet an
cien de Canal+ mise sur le contenu et en
particulier sur la fiction française.
« C’est l’une des rentrées les plus ambitieu
ses de TF1 de ces dernières années », affirme
le directeur général adjoint du groupe TF1,
chargé des contenus. Et celuici de détailler
les nouvelles fictions, à la fois françaises et
américaines, les événements sportifs à ve
nir, en particulier la Coupe du monde de
rugby, à l’automne, et la nouvelle émission
de divertissement « Mask Singer », un con
cept venu de Corée du Sud, où il s’agira de
découvrir l’identité du chanteur ou de la
chanteuse cachée sous un déguisement.
Entre concours de chant et enquête poli
cière, « c’est un carton d’audience aux Etats
Unis et en Allemagne ». Bref, arguetil, la té
lévision traditionnelle n’est pas morte, elle
s’adapte, propose de nouveaux contenus
et les annonceurs publicitaires sont tou
jours présents. Au premier semestre, le
chiffre d’affaires publicitaire s’est élevé à
836 millions d’euros, en hausse de 2,9 % sur
un an. « Que font les platesformes lorsqu’el
les veulent faire de la promotion? Elles se
tournent vers la télévision », soulignetil
malicieusement.
« Nouer des alliances »
Outre une fiction inspirée par l’affaire Du
pont de Ligonnès (un quintuple meurtre
non élucidé survenu à Nantes en 2011), La
Part du soupçon, de Christophe Lamotte,
avec Kad Merad, l’un des temps forts de la
grille du numéro un de la télévision privée
française sera une minisérie historique
dans le Paris du XIXe siècle. Intitulée Le Ba
zar de la charité, de Catherine Ramberg, et
Karine Spreuzkouski, elle sera coproduite
avec Netflix! « Avant, nous étions sur des
marchés nationaux protégés, aujourd’hui,
nous sommes sur des marchés très forte
ment dérégulés et mondiaux, explique
M. Aprikian. Il nous faut une taille critique
pour financer des contenus à valeur ajoutée
qui se distinguent de la concurrence. Cela
oblige à être capable de nouer des alliances
sur certains projets ou certaines grandes fic
tions comme Le Bazar de la charité. » Voici
venu le temps de « modèles plus mixtes et
complexes, à la fois de compétition et de
coopération ».
Le lancement programmé au premier tri
mestre 2020 de Salto, la plateforme de vi
déo à la demande commune avec France
Télévisions et M6, en est une autre illustra
tion. « On verra à quel point on peut être fier
de la qualité de l’offre française tous genres
confondus », ditil. Une étape supplémen
taire, surtout, souligne le dirigeant de TF1,
dans la transformation du groupe menée
par Gilles Pélisson depuis trois ans : « Entre
TF1, TMC, LCI, TFX et TF1 Séries Films, nous
avons déployé une stratégie multichaîne
qui s’adresse à différents publics, avec une
offre de la plus populaire, au sens noble du
terme, à la plus pointue. »
Et même si des groupes américains
comme Disney préparent leurs propres
platesformes de streaming, TF1 continue à
faire ses emplettes outreAtlantique, avec
une douzaine de nouvelles séries (New
Amsterdam, Prodigal Son, Lincoln, Emer
gence...). Là encore, les prédictions les plus
sombres ne se réalisent pas. « Les studios
américains n’ont pas arrêté de vendre. On a
acquis auprès de Disney, de Warner et de
CBS des séries que l’on souhaitait. On conti
nue de travailler comme avant. Serace en
core le cas demain ou aprèsdemain? C’est
difficile à dire, c’est pour cela que nous ren
forçons notre offre de fiction locale. »
fr. bo.
Face aux plates-formes, TF1 met les bouchées doubles sur le contenu
L’esprit
d’ouver-
ture.
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©RadioFrance/Ch.Abramowitz
du lundi
au vendredi
11H –11h
Florian
Delorme