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CULTURE
VENDREDI 30 AOÛT 2019
0123
A la Mostra de
Venise, « La Vérité »
adoucit les mœurs
Le film d’Hirokazu Koreeda, avec Catherine
Deneuve, a ouvert la 76
e
édition du festival
de cinéma sur fond de polémiques autour
de la parité et de la présence des platesformes
CINÉMA
venise envoyé spécial
J
uste avant que ne débute, le
28 août, la projection de La
Vérité, du réalisateur japo
nais Hirokazu Koreeda,
film d’ouverture et premier
longmétrage en compétition
pour le Lion d’or de la 76e Mostra
internazionale d’arte cinemato
grafica la biennale di Venezia, le
festival de cinéma italien a offert
un joli trompel’œil. Autour de la
maîtresse de cérémonie, l’actrice
Alessandra Mastronardi, étaient
réunies trois réalisatrices, l’Ar
gentine Lucrecia Martel et les Ita
liennes Susanna Nicchiarelli et
Costanza Quatriglio, qui prési
dent respectivement les jurys de
la compétition, de la section
Orizzonti et du programme Ve
nezia Classici consacré au patri
moine. Il n’y avait qu’un homme
sur la scène du Palazzo del Ci
nema, Emir Kusturica, à la tête du
jury chargé de récompenser la
meilleure première œuvre.
Ce n’était qu’une illusion. Dans
la journée, la conférence de
presse du jury avait donné lieu à
une passe d’armes entre Lucrecia
Martel et le directeur artistique
de la Mostra, Antonio Barbera.
Celuici n’a retenu que deux
films réalisés par des femmes –
The Perfect Candidate, de la Saou
dienne Haifaa AlMansour, et le
premier longmétrage de l’Aus
tralienne Shannon Murphy, Ba
byteeth – sur les 21 films en com
pétition pour le Lion d’or.
Par ailleurs, Antonio Barbera a
répété à l’envi que 20 % des films
qui lui avaient été soumis étaient
réalisés par des femmes. L’arith
métique est irréfutable : s’il n’en
reste que 10 % en compétition,
c’est qu’ils sont à ses yeux deux
fois moins bons.
S’adressant au directeur artisti
que, Lucrecia Martel lui a de
mandé d’imaginer « que la pro
portion soit de 50/50. Etesvous
sûr que la qualité serait moindre?
A moins que l’industrie n’en soit
profondément transformée ».
Présidente et directeur ont éga
lement été interrogés sur la pré
sence en compétition de J’accuse,
le film que Roman Polanski a
consacré à l’affaire Dreyfus. Aux
EtatsUnis et en France, plusieurs
associations féministes ont pro
testé contre la présence du réali
sateur, que la justice américaine
considère toujours comme un
fugitif après sa condamnation
pour viol par un tribunal califor
nien en 1978. Alberto Barbera a
fait valoir qu’il fallait distinguer
l’homme de l’œuvre pendant que
Lucrecia Martel a exprimé sa so
lidarité avec la victime.
Annonçant son intention de ne
pas assister au dîner donné en
l’honneur du réalisateur de Chi
natown, elle s’est prononcée
pour la participation de son film
à la compétition. Le directeur ar
tistique a également été inter
pellé sur la présence d’American
Skin, de Nate Parker, dans la sec
tion Sconfini. Aux EtatsUnis, la
sortie du premier longmétrage
de Parker, Naissance d’une na
tion, avait été obscurcie par la po
lémique autour d’une ancienne
affaire de viol dans laquelle le ci
néaste avait été acquitté.
Netflix sur la lagune
Aussi vive soitelle, cette contro
verse ne cache pas l’autre, qui
tourne autour de la présence
massive de Netflix sur la lagune.
Par sa position sur le calendrier,
Venise est idéalement située
pour servir de plateforme de lan
cement aux studios désireux de
pousser leurs productions dans
la course aux Oscars.
Depuis 2012, le film d’ouverture
de la Mostra était traditionnelle
ment hollywoodien (Gravity, La
La Land, First Man...). Mais les stu
dios s’intéressent moins aux Os
cars. Parmi les films de la compé
tition 2019, Ad Astra, de James
Gray, aurait dû être, s’il avait été
terminé à temps, distribué par la
Fox. C’est finalement le repre
neur du studio de Rupert Mur
doch, Disney, qui le sortira dans
le monde entier. Disney, qui de
puis longtemps ne manifeste
guère d’intérêt pour la course
aux Oscars.
Pour combler le vide laissé par
les majors, Venise a ouvert ses
pontons à Netflix. En 2018, la pla
teforme a mené Roma jusqu’au
Lion d’or. Elle présente cette an
née deux longsmétrages en
compétition, Marriage Story, de
Noah Baumbach, avec Adam Dri
ver et Scarlett Johansson, et The
Laundromat, de Steven Soder
bergh, avec Meryl Streep et Gary
Oldman. Hors compétition, Net
flix fait flotter la bannière de The
King, variation shakespearienne
dans laquelle Timothée Chala
met est sacré roi d’Angleterre,
sous la direction de l’Australien
David Michôd. Cette présence
massive de la plateforme de
streaming a suscité la colère des
exploitants de salles italiens.
Heureusement, il y avait La Vé
rité pour adoucir les humeurs de
ce début de festival échauffé.
Pour mettre en scène les retrou
vailles d’un monstre sacré (Ca
therine Deneuve) et de sa fille
exilée de l’autre côté de l’océan
(Juliette Binoche), le réalisateur
d’Une affaire de famille n’a pas
évité tous les écueils qui guettent
lorsque l’on dirige dans une lan
gue qui n’est pas la sienne, quand
on filme des intérieurs et des ar
chitectures qui ne sont pas ceux
qui ont construit son espace de
cinéma.
Mais ces maladresses de lan
gage, ces étonnements visuels
presque naïfs, servent plus le film
qu’ils ne le desservent. Parce que
l’histoire de cette mère et grand
mère un peu monstrueuse est un
conte autant qu’une comédie fa
miliale, et surtout parce qu’elle
offre à Catherine Deneuve son
plus beau rôle depuis longtemps,
l’un de ses plus beaux rôles tout
court. Il n’est sans doute pas in
différent que l’étoile ait été fil
mée sur pellicule, par le chef opé
rateur Eric Gautier.
Claude Nougaro, au cœur rythmique de la musique
Un coffret de vingtquatre CD regroupe les enregistrements en studio du chanteur, de 1958 à sa mort en mars 2004
CHANSON
E
n 2014, pour marquer les
dix ans après la mort de
Claude Nougaro (le
4 mars 2004, à l’âge de 74 ans), plu
sieurs coffrets avaient été publiés.
L’Amour sorcier regroupant des en
registrements de labels de la ma
jor du disque Universal Music, et
Made in USA et In Paris, pour ceux
au catalogue de Warner Music.
Avec en accroche sur un autocol
lant « 90e anniversaire », référence
à sa naissance (Toulouse, 9 sep
tembre 1929), le chanteur bénéfi
cie aujourd’hui d’un nouveau cof
fret, Le Feu sacré, intégrale des en
registrements studio de 1958 à
2004, collaboration cette fois entre
les deux maisons. Le prétexte an
niversaire en vaut bien d’autres
pour célébrer le fou des mots – les
siens – en alliance avec les ryth
mes, mélodies et formes des musi
ques du jazz, de la soul, du Brésil,
de l’Afrique noire, avec passage
vers une manière funkpop à la fin
des années 1980. En ouverture de
cet ensemble de vingtquatre CD
(317 titres), le premier album de
Nougaro, publié en octobre 1958,
avec quelques inédits de ses dé
buts. Encore un peu retenu, mais
déjà des mots mis sur une compo
sition d’un grand du jazz, Jeru, de
Gerry Mulligan, qui devient Le
Piano de mauvaise vie.
Puis c’est l’envol, la grande ma
nière de Nougaro, un âge d’or
d’une vingtaine d’années, avec les
enregistrements produits pour
Philips de 1962 à 1974 puis Barclay
de 1977 à 1985. Le phrasé est celui
d’un instrumentiste, que cela soit
lorsque le chant se fait flot d’atta
ques et rebonds ou devient ca
resse émouvante. Avec un sens du
tempo, du débit toujours attentif
au cœur rythmique de la musique.
Seigneurs du jazz
Ces annéeslà, ce sont celles d’Une
petite fille, Cécile ma fille, Je suis
sous..., A bout de souffle, Arms
trong, Toulouse, A tes seins,
L’Amour sorcier, Paris mai, ces
deuxlà qui explorent précoce
ment l’Afrique vers laquelle
Nougaro reviendra avec Locomo
tive d’or (1973), Ile de Ré, Mon dis
que d’été... les virées brésiliennes
de Bidonville, Brésilien (« mon frère
d’armes »), Tu verras. Avec
Nougaro, il y a des seigneurs du
jazz, en fidélité, le pianiste Maurice
Vander, l’organiste Eddy Louiss, les
contrebassistes Guy Pedersen,
Pierre Michelot, Luigi Trussardi, le
guitariste Pierre Cullaz, les bat
teurs Christian Garros, Daniel
Humair, Charles Bellonzi...
Les sections de vents sont à tom
ber, dans le swing du big band ou
lorsque Nougaro avance vers la
soul music (Pauvre Nougaro, dès
1963, Quatre boules de cuir et son
« boxe boxe », que James Brown
aurait pu faire sien). Les saxopho
nistes Michel Portal ou Ornette
Coleman (Gloria, 1975) viennent
faire un tour. Aldo Romano lui
compose le superbe Rimes (1981).
Pour son dernier album chez
Barclay, Bleu Blanc Blues, en 1985,
son trio est constitué de Maurice
Vander, Pierre Michelot et Bernard
Lubat à la batterie.
Puis c’est la parenthèse améri
caine, à la fin des années 1980,
pour WEA (alors l’une des structu
res de Warner). Le succès de la
chanson et de l’album Nougayork,
paru en octobre 1987. Claquement
funk (Nile Rodgers, guitare,
Marcus Miller, basse) et sonorités
de claviers dans le son de l’époque.
Diffusions radio, 500 000 exem
plaires vendus. Pacifique suivra,
vaguement évocateur de la Côte
ouest (Pacifique, Los Angeles Eldo
rado). Les années 1990, chez Mer
cury, sont moins déterminantes.
Embarquement immédiat (2000),
pour EMI, est un sursaut réussi en
big band avec arrangements
d’Yvan Cassar. Nougaro meurt le
4 mars 2004. Il préparait un nou
veau disque, qui sera publié chez
Blue Note fin novembre. Voix loin
taine, épuisée, qui fait de La Note
bleue un final crépusculaire.
Ici et là, quelques extraits de dis
ques enregistrés en public sont
ajoutés. Et puis il y a l’intégralité de
deux albums de concerts. Une
voix, dix doigts, épure du duo
Claude Nougaro et Maurive
Vander, enregistré en septem
bre 1991 à Blagnac. Et Hombre et lu
mière, à Toulouse, en juillet 1998.
Vander est au piano, la petite for
mation compte dans ses rangs le
guitariste JeanMarie Ecay, le bas
siste Laurent Vernerey et le batteur
Loïc Ponthieux. Des trentenaires
que Nougaro mène au plus haut.
sylvain siclier
Le Feu sacré, de Claude Nougaro,
1 coffret de 24 CD Mercury
Records/Universal Music.
Catherine
Deneuve et
Juliette Binoche
lors de la
cérémonie
d’ouverture
de la Mostra,
mercredi 28 août.
JOEL C RYAN/INVISION/AP
Kore-eda offre
à Catherine
Deneuve son plus
beau rôle depuis
longtemps, l’un
de ses plus beaux
rôles tout court
Peutêtre parce que Koreeda ne
porte pas en lui la légende de De
neuve telle qu’elle s’est construite
en France, on cesse très vite de se
demander ce qu’il y a de vrai dans
ce portrait de femme égotiste qui
préfère être une bonne actrice
qu’une bonne mère ou une
bonne amie. L’actrice et le met
teur en scène y mettent assez de
fantaisie pour que l’on se laisse
emporter dans un vaetvient en
tre fiction et réalité (il y a la réu
nion de famille, mais aussi un
tournage et la sortie d’un livre de
mémoires très infidèles), qui fait
tourbillonner des satellites pleins
d’abnégation et de justesse (Ju
liette Binoche, bien sûr, mais
aussi Ludivine Sagnier, Manon
Clavel, Ethan Hawke...) autour de
l’astre mère. La Vérité sortira en
France le 22 janvier 2020.
thomas sotinel