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VENDREDI 30 AOÛT 2019 | 19
ARTS
santander (espagne)
S
es volées d’escalier en
verre permettent d’accé
der aux espaces d’exposi
tion comme à des passe
relles s’élançant audessus des
flots tels des plongeoirs. Quel
écrin plus aérien que le Centro
Botin, vaisseau en suspension
sur l’horizon de la baie de
Santander (Espagne), signé
Renzo Piano, pour accueillir une
exposition Calder? Mais le cen
tre d’art de la ville portuaire du
nordest de l’Espagne ne s’est pas
contenté de cet équilibre entre
l’enveloppe et son contenu phare
de la saison : il a demandé à l’ar
chitecte italien de scénographier
la monographie de l’artiste dans
son propre bâtiment.
« Calder fut incontestablement
l’une des personnes qui m’ont le
plus inspiré », souligne le Prix
Pritzker 1998, dans un texte du ca
talogue. Il a personnellement
connu Alexander Calder (1898
1976), dont il admirait « la recher
che de la beauté de l’instant », et
cette proximité avec son travail
l’avait déjà amené à scénogra
phier une rétrospective du pein
tre et sculpteur, en 1983, à Turin
(Italie). Il accompagne celleci
avec un souci de légèreté et de
jeux de gravité dans le vaste es
pace du deuxième et dernier
étage du musée, ouvert sur le ciel
de la baie.
Les quelque quatrevingts
pièces de l’exposition sont
rassemblées par îlots, sur des
socles et des platesformes
comme en lévitation, à plus de
10 centimètres du sol. Point de ci
maises, l’espace, atmosphérique,
n’est empli que de stabiles et de
mobiles, et de jeux de lumière
naturelle. L’architecte introduit
le mouvement cher à Calder par
le truchement d’écrans textiles
où sont projetées les œuvres sou
mises à leurs oscillations parti
culières, en ombres chinoises.
Ballets mécaniques
Réalisée en collaboration avec la
Fondation Calder de New York,
dirigée par Sandy Rower, le petit
fils de l’artiste, la conception de
l’exposition a été confiée à l’in
contournable et inépuisable
commissaire suisse Hans Ulrich
Obrist, qui a concrétisé pour le
Centro Botin un axe sur lequel il
se documente depuis une ving
taine d’années : les projets d’ar
tiste jamais réalisés, « des projets
relégués aux oubliettes, directe
ment ou indirectement censurés,
incompris, rejetés par les autori
tés, perdus ou non réalisables ».
On découvre au gré de ces
« Calder Stories », histoires mécon
nues et projets restés dans les ti
roirs, des maquettes de toutes di
mensions. Comme celles élabo
rées, en 1939, pour le zoo du Bronx,
à New York, avec une série d’arbres
aux formes abstraites, destinés à
l’habitat de la faune africaine.
Egalement de 1939, trois petites
maquettes (mécanisées par l’ar
tiste pour simuler l’action du
vent), représentant les quatre élé
ments et imaginées pour l’Exposi
tion universelle de New York,
n’ont pas vu le jour, mais l’une d’el
les a finalement été réalisée à une
échelle moindre pour le Moderna
Museet de Stockholm, devant le
quel elle trône depuis 1961. Corps à
corps d’acrobates, d’équilibristes,
d’animaux ou formes plus abstrai
tes, une vingtaine de fascinants
petits mobiles en bronze, de 1944,
sont en réalité un recyclage anobli
de maquettes en plâtre conçues
pour être muées en œuvres en bé
ton, de 10 à 12 mètres de haut.
Chaque projet révèle au passage
des facettes et étapes du processus
créatif de Calder, comme son en
gagement constant dans l’innova
tion jusqu’à la fin de sa vie. L’en
semble est étoffé de projets ayant
bel et bien abouti, mais moins
connus, qui viennent nourrir ce
paysage mental, comme cette
amusante BMW aux couleurs pri
maires, qu’il a peinte en 1975 pour
les 24 Heures du Mans – le mouve
ment, encore.
Les méticuleuses partitions de
ballets mécaniques et musicaux
qu’il prévoyait au tournant des
années 1940 pour le théâtre ont
été transposées numériquement
pour l’exposition. Inédites, ces
simulations sur écran donnent à
voir les mouvements sculptés,
hypnotiques, aux échos cosmo
goniques, imaginés par l’artiste
qui se situait dans sa recherche
au croisement (et à l’avantgarde)
de la performance et de l’art
cinétique.
emmanuelle jardonnet
« Calder Stories », Centro Botin,
Santander (Espagne). Jusqu’au
3 novembre. 8 euros.
Trois musées de Marseille passés à la moulinette de Wurm
Parmi les œuvres exposées, les « OneMinuteSculptures », qui transforment le visiteur en statue éphémère
ARTS
marseille
E
lle est si étroite, cette mai
son, qu’il faut marcher à
l’égyptienne pour passer
de la cuisine à la chambre ; pour
traverser le couloir, rentrer le
ventre. Le lit pourrait tout juste
accueillir deux bras, les toilettes
sont moins larges qu’un rouleau
de papier toilette, les assiettes
sont fuselées comme des cou
teaux, les tongs supporteraient
un pouce, pas plus.
Une simple maison de pou
pées? Non, tout n’est pas minia
turisé dans cette Narrow House :
chaque élément est, plutôt
violemment anamorphosé, effilé
à l’extrême dans le sens de la lar
geur. On les verrait de face, ces
consoles toutes bêtes, ces lam
pes, ce téléphone vert, ce lavabo,
ils pourraient faire illusion. Mais
de profil, rien ne va plus. Comme
s’il avait fallu faire rentrer tous
les poncifs du confort moderne
dans ce pavillon d’un mètre de
large.
C’est le logis viennois de ses pa
rents qui a inspiré à Erwin Wurm
ce cauchemar domestique, invi
vable. Une installation qui vaut
psychanalyse? Le facétieux plas
ticien autrichien ne s’empêtre
pas dans ce genre de détails. Mais
il n’en est pas à son coup d’essai :
question « inquiétante étran
geté », l’enfant déjanté de la con
trée freudienne en connaît un
rayon.
Camouflé façon momie
Marseille en offre une nouvelle
fois la preuve, en lui confiant trois
de ses musées, comme la ville
l’avait déjà fait cet hiver avec l’ar
tiste Sophie Calle. A la moulinette
Wurm sont ainsi passés La Vieille
Charité, dont sa villa au régime
haricot vert nargue de son toit ul
traeffilé la chapelle des lieux, le
Musée Cantini, où trône notam
ment une Austin Mini passée au
mode obèse et gonflée comme
une baudruche, ainsi que celui
des BeauxArts.
Trésor longtemps caché dans
les ors IIIe République du Palais
Longchamp, les collections du
Musée des beauxarts nécessi
taient, après un bon dépoussié
rage, un nouvel éclairage. La carte
blanche offerte à Wurm participe
de cette stratégie. Jamais vous
n’aviez pensé vous retrouver al
longé dans l’escalier d’une si
auguste institution ou jouant à
cachecache derrière une plan
che? Avec ses OneMinuteSculp
tures, l’artiste vous offre une oc
casion en or. Le principe est sim
ple : il suffit de suivre ses instruc
tions, un peu loufoques, au pied
de la lettre, et vous voilà trans
formé en sculpture éphémère, ta
bleau vivant sur socle.
Une minute de gloire, à la Wa
rhol? Sauf que les positions dans
lesquelles se retrouvent les vo
lontaires sont rarement flatteu
ses. Vous voilà empêtré, sil
houette monstrueuse, dans un
pull XXL au bleu lavasse, les jam
bes à la place des bras. Ou camou
flé façon momie dans un gilet
rayé. Ou encore, réduit à la plus ri
dicule immobilité, avec une bri
que de lait en équilibre sur cha
cun des pieds. Alors, oui, il faut
vraiment avoir perdu tout hon
neur pour se prêter à l’expé
rience. Solution? Amener ses en
fants. Même les plus turbulents
seront ravis de « faire statue », et
vous, vous aurez une minute de
paix pour admirer les merveilles
du musée, Madeleine en extase,
de Louis Finson, ou Le Ravisse
ment de SainteMadeleine, de Phi
lippe de Champaigne.
En revanche, au Musée Cantini,
riche de quelques merveilles sur
réalistes, les adultes ne pourront
plus se dérober au jeu : après
deux salles de vidéos, qui font la
démonstration loufoque des One
MinuteSculptures appliquées à
l’artiste même, toute une salle est
constituée de minibars en For
mica. Dans chacun d’eux, Erwin
Wurm a aménagé de petits espa
ces pour ses cobayes de plus de
18 ans. Rédigées à la main, ses ins
tructions ne laissent guère de
marge d’interprétation : « Ouvrez
le cabinet, prenez une bouteille
d’alcool, versezvous un verre et
saoulezvous. » Et, en petit,
comme un astérisque : « Faitesle
sérieusement. » L’histoire ne dit
pas combien de visiteurs se sont
prêtés au jeu. Mais elle dit beau
coup sur la mélancolie de ce
clown triste.
emmanuelle lequeux
Erwin Wurm, trois expositions
à Marseille : Musée des beaux
arts, 9, rue EdouardStephan ;
Musée Cantini, 19, rue Grignan ;
Centre de la VieilleCharité
2, rue de la VieilleCharité.
Du mardi au dimanche, de 9 h 30
à 18 heures. De 3 € à 9 €.
La BMW peinte
par Calder
en 1975 pour
les 24 Heures
du Mans.
BELEN DE BENITO/
CALDER FOUNDATION,
NEW YORK/VEGAP,
SANTANDER
Renzo Piano a
personnellement
connu Alexander
Calder, dont
il admirait
« la recherche
de la beauté
de l’instant »
bilbao a spectaculairement ouvert
la voie, à la fin des années 1990, en mi
sant sur l’art pour se revitaliser avec
l’implantation de l’annexe du Musée
Guggenheim de New York dessinée par
Frank Gehry. Si l’exemple de la voisine
basque peut sembler écrasant, Santan
der a pris le temps de mûrir sa propre
révolution culturelle. En 2017, la capitale
de la Cantabrie ouvrait le Centro Botin
avec un bâtiment à la beauté subtile
imaginé par Renzo Piano. Ici, point de
rubans métalliques défiant le paysage et
les nœuds routiers ni de cerbère fleuri
de Jeff Koons : le Centro Botin ne se
révèle qu’au rythme du promeneur.
L’initiative, privée, est venue de la
Fondation Botin – créée en 1964 par les
descendants de l’un des fondateurs de la
banque Santander –, qui organisait déjà
des expositions depuis une vingtaine
d’années. Manquait un lieu à la hauteur.
« L’art n’est pas un domaine secondaire, il
est fondamental pour le développement
social et personnel. Et il n’est pas destiné
aux gens riches et cool, il a besoin d’une
justification sociale, d’un impact », tient à
souligner Iñigo Saenz de Miera Cardenas,
le directeur général de la fondation.
Il insiste sur l’importance de « stimuler
la créativité de la ville et de la région »
grâce à un accès privilégié à l’art, et la
Fondation Botin se félicite d’avoir plus
de 50 % de visiteurs locaux. Mais la stra
tégie est aussi plus globale : il s’agit de
compléter le triangle culturel du nord de
l’Espagne formé avec le Guggenheim de
Bilbao et le Musée Chillida Leku, qui a
rouvert cette année près de SaintSébas
tien, pour créer un noyau culturel de
premier ordre.
La fondation n’a pas lésiné sur les
moyens en choisissant une implanta
tion en centreville, face à la baie, à l’em
placement d’un espace jusquelà perdu,
soit un parc coincé entre un parking de
ferrys, la route côtière et le centreville.
Elle a financé l’enfouissement de la route
par un long tunnel, libérant l’accès à l’eau
pour les piétons. Incarnation de cette
réappropriation du front de mer par l’es
pace public, le bâtiment de Renzo Piano
ne dépasse pas la cime des arbres du parc
ni n’occulte l’horizon derrière leurs
troncs. Il apparaît comme un vaisseau
nacré sur pilotis avec, en ligne de mire,
les monts Cantabriques et les plages.
En lisière du parc, le siège social histori
que de la banque Santander ouvre vers la
ville à travers son arche. Le bâtiment
doit se transformer en 2023 en musée
pour accueillir la collection d’art de la
famille Botin. A proximité immédiate,
dans l’actuel bâtiment de la Banque
d’Espagne, le Musée Reina Sofia, de
Madrid, créera sa première annexe à
l’horizon 20212022. Au passage, l’impo
sante poste centrale devrait être recon
vertie en Parador, l’un de ces hôtels de
luxe implantés et gérés par l’Etat espa
gnol dans des bâtiments patrimoniaux à
travers le pays. Santander, recalée dans
son aspiration à devenir capitale euro
péenne de la culture il y a trois ans, n’a
pas dit son dernier mot.
e. j.
Après le Centro Botin, Santander transforme l’essai avec deux nouveaux musées
A Santander, les projets oubliés de Calder
Le Centro Botin expose quatrevingts œuvres dans une scénographie conçue par l’architecte Renzo Piano
C I N É M A
« The Irishman », de
Martin Scorsese, sortira
brièvement en salles
Le prochain film de Martin
Scorsese, « The Irishman »,
avec Robert De Niro et Al Pa
cino, ne bénéficiera que d’une
sortie très limitée dans les
salles de cinéma américaines
avant sa diffusion sur Netflix,
qui le produit. Soucieuse d’al
lier ses intérêts commerciaux
avec ses ambitions pour
les Oscars, la plateforme a
annoncé, mardi 27 août, que
le film sortirait dans quelques
cinémas de Los Angeles
et de New York le 1er novem
bre, puis dans d’autres salles
américaines et britanniques
le 8 novembre. – (AFP.)
D I S PA R I T I O N
Décès de la chanteuse
Nancy Holloway
Installée depuis 1960
en France, où elle a connu le
succès du temps des yéyé, la
chanteuse américaine Nancy
Holloway est décédée mer
credi 28 août à Paris, à l’âge de
86 ans. Elle avait notamment
repris en français le succès de
Dionne Warwick Don’t Make
Me Over devenu T’en vas pas
comme ça. – (AFP.)
C’est le logis
viennois de
ses parents
qui a inspiré
au plasticien
autrichien
ce cauchemar
domestique