26 | 0123 VENDREDI 30 AOÛT 2019
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Q
uelles sont les chan
ces de dialogue entre
les EtatsUnis et l’Iran
sur le programme nu
cléaire de la Républi
que islamique? Le seul fait de po
ser cette question est un progrès.
On s’interrogeait jusqu’alors sur
les risques de guerre entre les
deux pays dans le golfe araboper
sique. N’en déplaise aux docteurs
« y a qu’à » et éternels esprits cha
grins, ce glissement thématique
est largement dû aux efforts d’Em
manuel Macron.
Loin de l’empressement média
tique, la diplomatie est affaire de
temps. Quand Henry Kissinger
négociait un désengagement en
tre les armées arabe et israélienne,
dans les années 1970, il y mettait
des mois – sans être sûr du résul
tat. Les pourparlers sur le contrôle
des armes nucléaires durant la
guerre froide prenaient des an
nées. La diplomatie, cette volonté
de prendre le pas sur le tumulte
des passions, est un boulot ingrat.
Le succès n’est jamais garanti et,
en démocratie, ne rapporte guère
de voix. Le bilan du G7 de Biarritz
(PyrénéesAtlantiques) – la réu
nion annuelle des sept plus gran
des économies de la famille des
démocraties occidentales – sur
l’affaire nucléaire iranienne est
une ouverture : la possibilité
d’une rencontre entre les prési
dents Donald Trump et Hassan
Rohani. Rien n’est sûr, mais il faut
bien commencer quelque part.
La présence du ministre iranien
des affaires étrangères, Moham
mad Javad Zarif, sur la côte des
Basques témoignait peutêtre
d’un changement de climat. In
formé de cette visite, Trump ne s’y
est pas opposé, même s’il n’a pas
rencontré l’Iranien. De même, ce
luici ne se serait pas rendu à Biar
ritz sans le feu vert implicite du
Guide de la République islamique,
l’ayatollah Ali Khamenei, le vrai
patron à Téhéran.
Résultat? « Dans certaines cir
constances », Trump juge « réa
liste » une prochaine rencontre – à
l’ONU en septembre? – avec Ro
hani. Sous certaines conditions,
notamment la levée des sanctions
américaines – de certaines sanc
tions? – qui pèsent sur l’Iran, Ro
hani est prêt à s’entretenir avec le
président américain.
Une hypothèse optimiste
En dénonçant unilatéralement,
en mai 2018, l’accord de mise
sous contrôle international du
programme nucléaire iranien,
conclu à Vienne le 14 juillet 2015,
Trump avait un double objectif. Il
voulait un accord plus contrai
gnant. Il souhaitait y inclure des
clauses limitant l’arsenal de mis
siles balistiques iraniens et l’ex
pansionnisme de Téhéran dans le
monde arabe.
Un an de sanctions américaines
a asphyxié l’économie de l’Iran,
mais Khamenei se refuse toujours
à une nouvelle négociation.
Trump pariait sur la reddition ra
pide de Téhéran par épuisement
économique. Il l’attend encore.
Khamenei comptait sur l’aide éco
nomique et financière des autres
signataires – Européens, Chinois,
Russes – de l’accord de Vienne. Elle
n’est pas venue. Biarritz repose sur
une hypothèse optimiste : et si les
deux protagonistes cherchaient
une porte de sortie? A tout le
moins peuton spéculer sur leurs
motivations réciproques.
A Washington, Trump, comme
d’habitude, ne pense qu’à lui – en
fin, à sa réélection. Il est en campa
gne. Novembre 2020, c’est de
main. Les provocations répétées
des Iraniens dans le détroit d’Or
muz peuvent conduire à un enga
gement armé avec les EtatsUnis.
Le président n’en veut pas (les Ira
niens le savent, bien sûr). Trump a
été élu sur la promesse de mettre
fin aux campagnes moyenorien
tales menées depuis trente ans par
les Américains. Il entend sortir
d’Afghanistan d’ici à novem
bre 2020, quitter définitivement la
Syrie et, plus progressivement,
l’Irak. Une nouvelle guerre, avec
l’Iran, signerait la fin de ses espoirs
de deuxième mandat.
Il a contre lui ses plus proches
collaborateurs, John Bolton, au
Conseil national de sécurité de la
Maison Blanche, et Mike Pompeo,
le secrétaire d’Etat, deux farou
ches partisans d’un changement
de régime à Téhéran – dont Trump
a redit à Biarritz qu’il ne voulait
pas – appuyés par Israël et l’Arabie
saoudite. L’estimation des mi
lieux du renseignement israélien,
telle que le quotidien Haaretz la
rapporte, est intéressante. S’il n’en
tenait qu’à Trump, le scénario
d’une rencontre à l’automne entre
le président et Rohani leur paraît
tout à fait plausible. Mais il leur
semble tout aussi probable que
Khamenei s’y opposera.
Chez Donald Trump, la satisfac
tion d’un ego surdimensionné,
cette énorme bouffissure du
moi, l’emporte sur toute autre
considération. Chez Khamenei, il
en va différemment. Le Guide vit
dans le luxe, il aime le pouvoir.
Mais il partage sans doute encore
une part du credo originel de la
République islamique : la détes
tation de l’Occident et plus parti
culièrement des EtatsUnis ; un
radicalisme antiisraélien tou
jours proclamé et la négation de
la Shoah ; la conviction d’incar
ner un modèle de société supé
rieur aux autres.
La question pour le Guide, dont
la succession approche, est de sa
voir si le désastre économique et
social provoqué notamment par
les sanctions américaines ne re
présente pas, à terme, un risque
mortel pour la République islami
que et pour les groupes d’intérêt
dont Khamenei est le portepa
role. Le front des « durs » à Téhéran
n’est pas uni. L’un des leurs, l’ex
président Mahmoud Ahmadine
jad, se confiant fin juillet au New
York Times, appelait à un dialogue
urgent avec Trump.
Mais, comme rien n’est simple
en République islamique, la ques
tion d’un éventuel dialogue avec
les EtatsUnis en soulève une
autre : à quelle fin? S’il a lieu, s’agi
ratil d’une ruse tactique de bazari
pour obtenir un début de levée des
sanctions puis faire traîner les
choses? Ou s’agiratil de la déci
sion stratégique d’un régime assez
sûr de lui pour affronter l’ouver
ture à l’ouest? La lutte contre la
prolifération nucléaire au Moyen
Orient justifie qu’on avance sans
avoir de certitudes. C’est le propre
de la diplomatie.
suite de la première page
Mercredi 28 août, Boris Johnson a montré
son vrai visage : « coûte que coûte », cela
peut vouloir dire se passer de Westminster.
Faire taire les élus du peuple, ces députés
qu’il ne contrôle pas, car il n’a technique
ment qu’une voix de majorité à la Chambre
des communes, et qui menacent de tout
faire dérailler.
Le speaker de la Chambre des communes,
John Bercow, a qualifié la démarche du pre
mier ministre d’« outrage constitutionnel ».
L’opposition crie au coup d’Etat déguisé. La
première ministre écossaise, Nicola Stur
geon, a traité Boris Johnson de « dictateur
au petit pied ». Des manifestations sponta
nées de citoyens indignés ont eu lieu dans
plusieurs grandes villes. Une pétition de
protestation a rassemblé plus d’un million
de signatures en quelques heures. La procé
dure dont se prévaut Boris Johnson a néan
moins toutes les apparences de la légalité :
la reine Elizabeth a d’ailleurs acquiescé
sans tarder à sa requête de suspendre les
travaux du Parlement pendant cinq semai
nes, entre le 9 septembre et la mioctobre.
La justification officielle de cette démar
che est la volonté du nouveau chef de gou
vernement de préparer un programme lé
gislatif « audacieux et ambitieux », que la
souveraine exposera dans son discours tra
ditionnel devant le Parlement le 14 octobre,
ce qu’il dit ne pouvoir faire tant que le Par
lement est en session. Les experts recon
naissent volontiers qu’une pause serait la
bienvenue dans cette session parlemen
taire, l’une des plus longues de l’histoire
britannique. Mais ils font valoir aussi que la
crise que traverse la vie politique britanni
que est exceptionnelle. Et surtout, là en
core, l’artifice de M. Johnson ne trompe
personne : ce qu’il veut en réalité à travers
cette procédure, c’est empêcher les députés
de s’organiser pour faire échec à un Brexit
sans accord avec l’Union.
Ce n’est pas seulement la fierté de West
minster et la réputation du RoyaumeUni
comme bastion de la démocratie représen
tative qui sont en jeu dans ce nouveau coup
d’éclat de Boris Johnson. Car que vise ce
luici, au fond, dans cette démarche? Il
cherche à exacerber la polarisation au sein
de l’opinion britannique, que la question
du Brexit a douloureusement divisée de
puis trois ans, et à jouer le peuple contre le
Parlement. C’est le propre du populisme.
Le premier ministre joue avec le feu. L’un
des scénarios possibles à Westminster est
le vote par les députés d’une motion de dé
fiance lorsqu’ils se réuniront la semaine
prochaine. M. Johnson a laissé entendre
que, dans ce cas, il pourrait refuser de se dé
mettre, dissoudre le Parlement et n’organi
ser des élections qu’après le Brexit.
Boris Johnson ne doit pas oublier que son
mandat de premier ministre repose lui
même sur une légitimité démocratique
ment contestable – il n’a, après tout, été
choisi à ce poste en juillet que par un peu
plus de 90 000 militants d’un Parti conser
vateur très affaibli. Une seule issue au
chaos qui paralyse la vie politique britanni
que depuis le référendum de juin 2016 pa
raît aujourd’hui réaliste : convoquer de
nouvelles élections. L’exercice n’est pas
sans risques, vu l’état de confusion des for
ces politiques traditionnelles et le militan
tisme extrémiste de Nigel Farage. Mais on
voit mal comment la démocratie britanni
que peut traverser cette crise sans une relé
gitimation à la source, celle du suffrage
universel.
UNE RENCONTRE
ENTRE TRUMP ET
ROHANI ? RIEN N’EST
SÛR, MAIS IL FAUT
BIEN COMMENCER
QUELQUE PART
BREXIT :
UN « OUTRAGE
CONSTITUTIONNEL »
INTERNATIONAL|CHRONIQUE
pa r a l a i n f r a c h o n
Diplomatie
sur la côte des Basques
LA QUESTION D’UN
ÉVENTUEL DIALOGUE
DE L’IRAN AVEC
LES ÉTATSUNIS EN
SOULÈVE UNE AUTRE :
À QUELLE FIN ?
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