Le Monde - 30.08.2019

(Barré) #1

4 |international VENDREDI 30 AOÛT 2019


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Fragile accord de gouvernement en Italie


Le M5S et la gauche se sont entendus pour maintenir Giuseppe Conte, mais négocient encore un programme


rome ­ correspondance

L


e chapitre de la crise po­
litique italienne, provo­
quée au cœur de l’été par
le ministre de l’intérieur
Matteo Salvini, chef de la Ligue
(extrême droite), s’est refermé.
Jeudi 29 août le président de la
République, Sergio Mattarella, a
reçu le premier ministre sortant
Giuseppe Conte au palais du Qui­
rinal pour le charger officielle­
ment de former un nouveau
gouvernement. Selon la for­
mule, Conte a accepté sa charge
« avec réserve », le temps de met­
tre sur pied un programme de
gouvernement avec sa nouvelle
équipe, qui rassemblera le Mou­
vement 5 étoiles (M5S, antisys­
tème) et le Parti démocrate (PD,
centre gauche).
Cette crise aura duré trois se­
maines qui auront vu se succéder
coups de théâtre, coups bas et
coups de bluff. C’est dans la mati­
née de mercredi que le dernier
verrou, qui empêchait la mise en
place d’une nouvelle coalition, a
sauté. Les discussions bloquaient
en effet sur la reconduction de
Giuseppe Conte à la tête du gou­
vernement, que le M5S estimait
non négociable.
Dans la matinée, le secrétaire
général du PD, Nicola Zingaretti,
annonçait que sa formation se
rangeait derrière ce choix,
ouvrant ainsi la voie à des tracta­
tions officielles. En échange, le PD
devrait obtenir le poste de vice­
président et envoyer un des siens
à Bruxelles pour occuper le poste
de commissaire européen réservé
aux Italiens.
Jusqu’au dernier moment, la Li­
gue aura tout tenté pour que le
M5S, son ancien allié de coalition,
ne fasse alliance avec le centre
gauche. Quelques minutes après
avoir rencontré le président Mat­
tarella, Luigi Di Maio, le chef poli­

tique du M5S, a confié aux journa­
listes que le parti de Matteo Sal­
vini lui avait en effet proposé le
poste de président du Conseil si
celui­ci renonçait à faire un pacte
avec le centre gauche. Un comble
alors que M. Salvini n’a cessé de
dénoncer « ceux qui s’accrochent à
leurs fauteuils ». « Je m’intéresse à
ce qu’il y a de mieux pour mon
pays et non pour ma personne », a
expliqué M. Di Maio.

Incertitudes
Le spectre d’élections anticipées


  • réclamées à cor et à cri par Mat­
    teo Salvini et ses alliés de Fratelli
    d’Italia (post­fasciste) et de Forza
    Italia (droite) – repoussé, s’ouvre
    désormais une nouvelle sé­
    quence dont beaucoup espèrent
    qu’elle sera un retour à plus de
    stabilité.
    Pour autant, cet accord politi­
    que entre le mouvement popu­
    liste, majoritaire dans les deux
    chambres, et le parti de l’ex­pre­
    mier ministre Matteo Renzi, troi­
    sième force du pays, reste plein
    d’incertitudes. La Péninsule sem­
    ble avoir pris l’habitude de coali­
    tions pour le moins déroutantes
    ces derniers mois, et celle qui se
    dessine ne déroge pas à la règle. Il
    y a deux semaines encore, tout
    opposait les deux partis : les
    grands travaux comme le Lyon­
    Turin (le M5S avait voté contre, ac­


célérant la chute du gouverne­
ment précédent), la politique sé­
curitaire ou encore le rapport aux
institutions européennes en qui
le PD a toujours eu confiance.
« Ce qui est paradoxal, c’est que
ni Luigi Di Maio ni Nicola Zinga­
retti ne souhaitaient cet accord il y
a encore une semaine », explique
Giuseppe Bettoni, professeur de
sciences politiques à l’Université
de Tor Vergata à Rome. « Zinga­
retti a été poussé à trouver un
compromis », précise­t­il.
Ainsi, Luigi Di Maio a expliqué
que le futur gouvernement aura
pour objectif de poursuivre les ré­
formes engagées ces quatorze
derniers mois, « ce pourquoi
11 millions d’Italiens ont voté »
en 2018. « Coûte que coûte, nous
voulons maintenir nos engage­
ments », a­t­il martelé, précisant
qu’il ne « reniait rien » du travail
accompli aux côtés de la Ligue ces
quatorze derniers mois. Un dis­
cours qui n’incline pas à l’ouver­
ture vers le PD. Quelques minutes
plus tard, son chef Nicola Zinga­
retti a pourtant clairement ap­

pelé de ses vœux une rupture
avec la législature sortante, fai­
sant part de son intention « de
mettre fin à la saison de la haine,
du ressentiment et de la peur ».
Une référence sans ambiguïté
aux mesures anti­immigration
de Matteo Salvini, votées avec le
soutien du M5S, et que le PD sou­
haite révoquer.

Leader affaibli
Quel sera donc l’horizon de cette
nouvelle alliance pour gouverner
le pays? L’équation ressemble
déjà à un casse­tête alors que le
gouvernement n’est pas encore
sur pied. Si des noms sortent déjà
dans les pronostics pour occuper
les ministères, c’est avant tout sur
les programmes que vont devoir
s’accorder le PD et le M5S ces pro­
chains jours. Les politiques socia­
les, d’éducation ou l’environne­
ment devraient déboucher sur
des positions communes. Le pro­
gramme de réformes économi­
ques et la politique européenne
pourraient en revanche créer des
turbulences.

« La continuité est devenue un to­
tem pour le Mouvement 5 étoiles et
s’incarne dans la figure de Conte »,
souligne Giuseppe Bettoni. Mais
si la figure du président du Con­
seil a mis tout le monde d’accord,
ce choix de coalition risque d’ac­
centuer les tensions à l’intérieur
des partis. Le PD en a déjà fait les
frais ce mercredi. Carlo Calenda,
ancien ministre du développe­
ment économique des gouverne­
ments Renzi et Gentiloni, a claqué
la porte du parti et accusé ses diri­
geants de « renoncer à combattre
pour leurs idées et leurs valeurs »,
dans une lettre ouverte.

Luigi Di Maio est pour sa part un
leader affaibli qui s’est fait des en­
nemis en pactisant avec la Ligue.
Selon les statuts du Mouvement
5 étoiles, il ne pourra effectuer de
troisième mandat et les prochai­
nes élections, si le gouvernement
venait à tomber dans quelques
mois, pourraient accélérer sa
chute. Le programme de gouver­
nement devra surtout se confron­
ter à la démocratie directe érigée
en vertu cardinale par les vrais
idéologues du M5S, Beppe Grillo,
le fondateur du parti, et Davide Ca­
saleggio, le fils du cofondateur
Gianroberto Casaleggio.
Il sera soumis au vote de « Rous­
seau », la plate­forme de participa­
tion en ligne que le parti utilise
pour ses débats internes. Et si ce
programme venait à être rejeté?
« Ce serait insensé que le sort politi­
que de la 8e puissance du monde dé­
pende du vote de cet algorithme
pour le moins opaque », relève Giu­
seppe Bettoni. Un signe que l’Italie
n’est décidément pas une démo­
cratie comme les autres.
olivier bonnel

Matteo Salvini, l’homme « qui a marqué un but contre son camp »


En faisant tomber le gouvernement, le leader d’extrême droite espérait devenir premier ministre. Son pari a échoué


rome ­ correspondance

I


l avait l’habitude de ponctuer
ses Tweet ou ses commentai­
res Facebook des mêmes
mots : « Je n’abandonne jamais. »
Une formule qui a disparu depuis
plusieurs jours et qui témoigne
du coup d’arrêt vécu par Matteo
Salvini. Même s’il est encore fra­
gile, l’accord entre le Mouve­
ment 5 étoiles et le Parti démo­
crate, prêts à s’associer dans une
nouvelle coalition, est assuré­
ment une défaite politique pour
le chef de la Ligue (extrême
droite). Son pari d’un scrutin an­
ticipé qu’il aurait remporté pour
devenir premier ministre aura
été, au moins temporairement,
un coup d’épée dans l’eau.
Comme l’a expliqué Nicola Zin­
garetti, secrétaire général du
Parti démocrate, à l’issue des
consultations avec le président
de la République Sergio Matta­
rella, il s’agit de tourner une page
dans la Péninsule, après quatorze

mois marqués par une « culture
de la haine et de la peur », incar­
née par un ministre de l’intérieur
en campagne électorale perma­
nente et multipliant les provoca­
tions. « Matteo Salvini est le
grand perdant, car il a cru pouvoir
tordre le bras à la Constitution, re­
lève Mario Giro, vice­ministre
des affaires étrangères du gou­
vernement de gauche de Paolo
Gentiloni (2016­2018). L’essentiel
est que le souverainisme n’a pas
gagné », poursuit­il, dans un pays
où les discours xénophobes et de
fermeture de l’ancien ministre
de l’intérieur auront rythmé ces
quatorze derniers mois.
Ce pari raté de Matteo Salvini
est d’abord la conséquence d’une
course en avant du chef de la Li­
gue. Lui qui, il y a trois semaines,
a déclenché la crise politique au
point de défier son propre gou­
vernement était sûr de forcer son
destin, persuadé que sa popula­
rité dans la Péninsule le porterait
rapidement vers de nouveaux

triomphes électoraux. Mais le
chef de la Ligue a été rattrapé par
la réalité du système politique
italien, République parlemen­
taire par excellence et où le jeu
institutionnel reste fondamental
dans l’exercice du pouvoir.

Fibre complotiste
Le 20 août, dans son dernier dis­
cours devant le Sénat avant d’al­
ler présenter sa démission au
président de la République, Giu­
seppe Conte avait d’ailleurs re­
gretté « la carence de culture
constitutionnelle » de son minis­
tre. « Il voulait changer la nature
de la démocratie italienne et cette
bataille est perdue. On ne peut
pas s’asseoir sur la Constitution,
la démocratie parlementaire a re­
pris le dessus », résume Mario
Giro.
Mercredi 28 août, Matteo Sal­
vini, devant la presse réunie au
palais du Quirinal a voulu se
montrer combatif, mais ses
rancœurs ont eu du mal à cacher

le goût de la défaite. Le gouverne­
ment Conte bis a, selon lui, été
« décidé à Biarritz » lors du som­
met du G7, a­t­il attaqué, voyant
la main de Paris et Berlin derrière
le retour en force du président du
Conseil, le binôme qu’il ne cesse
d’attaquer lorsqu’il évoque
l’Union européenne. « Nous
avons l’impression, sinon la certi­
tude, qu’il existe un dessein loin­
tain, qui ne vient pas d’Italie et qui
est de vendre l’Italie », a encore
expliqué le chef de la Ligue, n’hé­

sitant pas à jouer sur la fibre
complotiste.
Même Forza Italia, qui s’était al­
lié l’an dernier à la Ligue lors des
élections législatives et qui a sou­
tenu des candidats communs
dans plusieurs scrutins régio­
naux s’est démarqué de Matteo
Salvini. A l’issue de ses consulta­
tions au palais du Quirinal, Silvio
Berlusconi a expliqué que cette
nouvelle alliance de gouverne­
ment en gestation inaugurait
« un nouveau chemin » pour le
centre droit.
Les calculs hasardeux de l’an­
cien ministre de l’intérieur ont
aussi érodé sa popularité. Dans
un sondage de l’institut Ipsos pu­
blié par le quotidien Corriere
della Sera, sa cote de confiance a
chuté de 15 points par rapport au
mois de juillet tandis que celle du
président Mattarella montait et
celle de Giuseppe Conte restait
relativement stable. Mais si Mat­
teo Salvini a perdu une bataille,
la guerre est cependant loin

d’être finie pour cet animal poli­
tique, rompu au combat. Tel une
bête blessée, il n’a probablement
jamais été aussi dangereux alors
qu’il devient aujourd’hui le pre­
mier opposant de la nouvelle
coalition.
Par ailleurs, si la figure de Sal­
vini a perdu du crédit dans le jeu
politique et institutionnel ita­
lien, l’ancien ministre de l’inté­
rieur est encore très populaire
sur le territoire et il pourrait ren­
forcer son électorat à l’occasion
des prochaines élections régio­
nales. En devenant le premier
opposant politique au gouverne­
ment Conte bis, et débarrassé de
son ancien allié, Salvini a désor­
mais les mains libres. Interrogé
sur la RAI mercredi soir, le leader
d’extrême droite a concédé avoir
« marqué un but contre son
camp » avant de lancer cet aver­
tissement : « Tôt ou tard, nous de­
vrions revenir au vote. Tôt ou
tard, nous gagnerons. »
o. b.

Si la figure de
Salvini a perdu
du crédit dans
le jeu politique
et institutionnel,
il est encore très
populaire sur
le territoire

Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, au palais du Quirinal, à Rome, le 29 août. FRANCESCO AMMENDOLA/PALAIS PRÉSIDENTIEL/REUTERS

« Ni Luigi Di Maio
ni Nicola
Zingaretti
ne souhaitaient
cet accord il y a
une semaine »
GIUSEPPE BETTONI
professeur de sciences
politiques

Deux navires d’ONG avec des migrants
à bord bloqués en Méditerranée
Alors que l’Italie est dirigée par un gouvernement chargé de trai-
ter les affaires courantes, des bateaux d’ONG continuent d’opé-
rer au large de la Libye et font face au refus du ministre de l’inté-
rieur, Matteo Salvini, de les laisser accéder aux ports italiens.
Affrété par le collectif italien Mediterranea, le Mare-Jonio, a se-
couru, mercredi 28 août, une centaine de migrants. Le navire
avait été mis sous séquestre, en mai, en vertu de la législation
antimigrants de M. Salvini, mais la mesure avait été levée en
août. De son côté, l’Eleonore, de l’ONG allemande Mission Life-
line, a sauvé une centaine de personnes lundi et a demandé un
port européen pour les débarquer. Mais M. Salvini a interdit, par
décret, l’entrée du bateau dans les eaux territoriales italiennes.

Le programme
de réformes
économiques
et la politique
européenne
pourraient créer
des turbulences
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