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VENDREDI 30 AOÛT 2019
FRANCE
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Urgences : une grève inédite par son ampleur
Lundi 2 septembre, le mouvement devrait affecter 240 services, soit la moitié des urgences publiques
S
i la ministre de la santé,
Agnès Buzyn, avait misé
sur un étiolement du
mouvement de grève dans
les services d’accueil des urgences
(SAU) au cours de l’été, le pari est
perdu. Ni la nouvelle « prime for
faitaire de risque » mensuelle de
100 euros net accordée en juin ni
les aides exceptionnelles pour les
établissements les plus en diffi
culté n’auront suffi à mettre un
terme à l’un des plus importants
conflits sociaux à l’hôpital public
depuis des années.
Des sorties de crise ont certes été
enregistrées dans quelques éta
blissements ces dernières semai
nes, 28 selon le ministère, dont
sept de l’Assistance publiqueHô
pitaux de Paris (APHP), où la pro
testation a démarré en mars. Mais
ces situations ne reflètent pas la
tendance générale. Le collectif In
terUrgences estime ainsi que le
seuil de 240 services en grève
pourrait être atteint lundi 2 sep
tembre, puis celui de 250 à la fin de
semaine, ce qui représenterait
plus de la moitié des 474 urgences
publiques. « La traversée de l’été,
c’était la traversée du désert, on ris
quait d’y laisser des plumes, mais
on se retrouve fin août deux fois
plus nombreux qu’en juin », se féli
cite Hugo Huon, infirmier aux ur
gences parisiennes de Lariboisière
et président du collectif.
Au ministère de la santé, on affi
che depuis miaoût le chiffre de
195 SAU en grève et on promet un
nouveau chiffrage dans les pro
chains jours. « C’est un mouve
ment relativement stable, sans ag
gravation ni décélération ma
jeure », estimeton avenue de Sé
gur, en relevant qu’il n’y a pas eu
pendant l’été de « situation inex
tricable où un service se serait
trouvé vraiment bloqué ».
« Mise en danger du patient »
Parmi les principales motivations
des infirmiers et aidessoignants
qui ont rejoint la protestation au
cours de l’été, le manque d’effec
tifs et le manque de lits d’hospita
lisation en nombre suffisant pour
faire face à une hausse régulière
du nombre de passages. Après un
premier mouvement en janvier
février, interrompu pour cause
d’« épuisement général », l’équipe
de nuit des urgences de Saint
Malo (IlleetVilaine) s’est ainsi re
mise en grève en juillet. « On ne
nous laisse pas le choix », estime
Katell Dubois, 46 ans, infirmière
de nuit depuis vingt ans. « Cet été
a été catastrophique, on a eu jus
qu’à trente patients sur des bran
cards dans le couloir à 5 heures du
matin, je n’avais jamais vu ça »,
ditelle, déplorant « un nombre de
personnels qui ne correspond plus
à l’activité... »
A Libourne (Gironde), une infir
mière avec plusieurs années d’an
cienneté assure, sous le couvert
de l’anonymat, que « cet été a été
le pire depuis plusieurs années, à
cause de la fermeture d’un nombre
important de lits dans l’hôpital ».
Elle rapporte en outre que les ar
rêts maladie pour épuisement
« se sont multipliés » ces dernières
semaines, et « n’ont pas été rem
placés, par manque d’effectif ».
« Nous étions donc en souseffectif
permanent avec mise en danger
du patient par défaut de sur
veillance », estimetelle.
« Epuisés par des assignations
sur les jours de repos » au mois de
juin, les soignants, qui ont ob
tenu quelques postes supplé
mentaires, ont décidé d’alléger
leur grève. « On n’attend plus
grandchose du local, l’enjeu est
désormais national », explique
l’infirmière. Aux urgences de la
Timone, à Marseille, en grève de
puis le début du mois d’août,
« l’été s’est passé dans la difficulté
avec deux infirmiers et trois
aidessoignants en moins que les
effectifs normaux », témoigne un
infirmier, lui aussi sous le cou
vert de l’anonymat. Lors de l’as
semblée générale du service qui
se tiendra le 5 septembre, « il y
aura un débat sur le durcisse
ment du mouvement pour obte
nir des résultats plus rapides »,
expliquetil.
« Régler l’amont »
Quelle tournure la contestation
peutelle désormais prendre?
Dans les prochaines semaines,
les grévistes et le gouvernement
vont chacun tenter d’imposer
leur calendrier. Une assemblée
générale du collectif InterUr
gences est prévue le 10 septem
bre. Les participants devront va
lider une plateforme de reven
dications qui permettra aux
syndicats de médecins hospita
liers de s’associer au mouve
ment, tout comme les soignants
d’autres secteurs, comme la
psychiatrie.
A la CGT, Christophe Prud
homme assure que « tout va
être fait pour que le mouvement
s’étende audelà des urgences ».
« Les gens ont repris confiance
avec cette grève », expliquetil,
en demandant que de nou
veaux moyens f inanciers
soient dégagés pour l’hôpital
public et les Ehpad lors du vote
du budget de la Sécurité sociale
qui sera débattu cet automne
au Parlement.
« C’est quand que tu vas t’occuper de mon père! »
A Strasbourg, des vigiles devraient être mobilisés en permanence aux urgences pour protéger les personnels des incivilités
REPORTAGE
strasbourg envoyée spéciale
L’
année dernière, un pa
tient ivre a attrapé à la
gorge Florian Brunet. « Ça
a duré deux secondes, mais ça fait
un choc », raconte l’infirmier de
24 ans, devenu représentant du
collectif InterUrgences dans le
GrandEst pour pouvoir « agir sur
les conditions de travail de son ser
vice ». Depuis deux ans, ce jeune
délégué Force ouvrière (FO) tra
vaille aux urgences de l’hôpital de
Hautepierre, qui compte plus de
800 lits, à Strasbourg.
Aux abords de l’immense bâti
ment, ni banderole ni affiche ne
rappellent le mouvement massif
de grève qui touche les services
d’accueil des urgences en France
depuis le mois de mars. Les syndi
cats ont en effet signé avec la di
rection le 10 juillet un protocole
d’accord prévoyant notamment
« le recrutement de 150 soignants
sur l’ensemble de l’établissement »
et la « poursuite de l’ouverture de
40 lits de médecine ».
Systèmes d’alarme
Une partie du personnel s’in
quiète pour sa sécurité et un nou
veau préavis de grève a été déposé
par FO, à la suite d’un grave inci
dent provoqué par un jeune aux
urgences de Hautepierre, le
23 août. Amené par les pompiers, il
mord « deux médecins », « crache
du sang au visage d’une infir
mière » et s’en prend à plusieurs
soignants, raconte Christian Prud
homme. Secrétaire général de FO
aux Hôpitaux universitaires de
Strasbourg (HUS), il précise que
des plaintes ont été déposées.
Plusieurs mesures ont été an
noncées depuis, dont l’extension
des horaires des vigiles qui veil
laient jusqu’alors de 20 heures à
minuit sur les urgences. Ils de
vraient désormais être présents en
permanence pour « un coût de
600 000 euros sur un an », précise
M. Gautier – les dépenses des HUS
ayant représenté environ 1 milliard
d’euros en 2018. Les personnels de
vraient aussi bénéficier de systè
mes d’alarme, de formations aux
gestes de contention et de mise à
disposition de matériel. Des mesu
res saluées par M. Brunet, qui évo
que une « avancée » et précise que
le personnel va être consulté sur le
maintien du préavis de grève.
Aux yeux de plusieurs soignants
rencontrés mercredi 28 août, l’in
cident a rendu visible le climat
d’incivilités qu’ils subissent. Selon
eux, il est lié à un problème de
fond : la surcharge des urgences.
En février, la Cour des comptes
avait d’ailleurs souligné la durée
médiane d’attente à Strasbourg
- comptez quatre heures quinze.
« Cet engorgement crée de l’attente
et du stress », regrette Raphaël
Bouvier, secrétaire adjoint de la
CGT des HUS. Il dénonce en outre
la pénurie de personnel soignant,
issue notamment de difficultés de
recrutement.
Après une nuit de travail, Jérémy
(qui ne souhaite pas communi
quer son nom de famille) a les
yeux cernés. L’infirmier de 28 ans
esquisse, sur un bout de papier, un
schéma des urgences du Nouvel
Hôpital civil. A l’accueil de cet
autre site des HUS, situé au cœur
de la ville, il explique que les pa
tients s’accumulent faute de pla
ces. Les délais d’attente, eux, s’al
longent. Il évoque, lèvres serrées,
la peur qu’il a ressentie le mois
dernier : un quadragénaire, fils
d’un patient, s’impatiente. « C’est
quand que tu vas t’occuper de mon
père! », lancetil, virulent. « Il fai
sait une tête de plus que moi. » Une
de ses collègues, qui souhaite gar
der l’anonymat, évoque, elle, des
« insultes racistes » et un « environ
nement d’agressions tous les
jours ». Ou encore cet homme qui
patientait depuis longtemps et qui
« voulait absolument rentrer chez
lui ». Il a « uriné par terre », se désole
l’infirmière.
« L’engorgement des urgences
vient notamment du manque de
lits d’hospitalisation pour les pa
tients », explique Syamak Agha
Babaei, médecin urgentiste. Pour
le praticien, membre de l’Associa
tion des médecins urgentistes de
France (AMUF) et élu local, il est
urgent que de nouvelles places
soient ouvertes. Manon, jeune
infirmière, se souvient d’un vieil
homme resté vingtquatre heu
res aux urgences d’Hautepierre,
faute de lit disponible. « Son fils a
commencé à nous traiter d’in
compétents. » Agressée physique
ment à plusieurs reprises, elle a
fini par quitter le service des ur
gences le mois dernier : « Nous ne
sommes pas là pour travailler
dans ces conditions. »
léa sanchez
« Le 15 en grève » aux
urgences de Nantes,
le 27 août. LOÏC VENANCE/AFP
Parmi les
principales
motivations
des infirmiers et
aides-soignants,
le manque
d’effectifs et le
manque de lits
Un numéro de téléphone de régulation
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé, lundi 26 août,
travailler sur un « numéro de téléphone de régulation » qui per-
mettrait de réorienter vers la médecine de ville une partie des
demandes de soins des urgences. Au ministère de la santé, on in-
dique toutefois que cette solution « figure dans le paysage des
procédés de réorganisation de l’accès aux urgences, mais que ce
n’est pas une proposition qui est concrètement sur la table ». La
mesure pourrait représenter 8,6 millions d’appels supplémentai-
res à la régulation médicale, soit un quasi-doublement, selon les
chiffres figurant dans le rapport sur l’accès aux soins non pro-
grammés remis en mai 2018 par le député LRM Thomas Mesnier.
Au ministère de la santé, on dit
réfléchir à des réformes d’am
pleur des services d’urgences.
« Je pense que nous allons vers un
chamboulement des organisa
tions », a assuré, lundi 26 août,
Agnès Buzyn sur France Inter,
laissant notamment entrevoir la
possibilité de la mise en place
d’un numéro d’appel de régula
tion qui permettrait d’alléger la
fréquentation des urgences.
« Il faudra régler l’amont avant
d’étendre indéfiniment les servi
ces d’urgences », a plaidé la mi
nistre, en mettant également en
avant la nécessité de trouver des
solutions locales. Elle pourrait
faire de premières annonces
dans la deuxième moitié de sep
tembre, après la remise des pre
mières recommandations du
professeur Pierre Carli, chef du
SAMU de Paris, et du député La
République en marche Thomas
Mesnier, qui doivent rendre
d’ici à fin novembre un rapport
sur le sujet.
françois béguin