Le Soir Magazine Du 23 Août 2019

(Martin Jones) #1

Le bon niveau ★★
Une fille qui
« rape et qui
pope » comme
les meilleurs
avec des rimes
intelligentes,
c’est assez rare
pour être remar-
qué. Cette drôle
de Canadienne
a le chic pour
mixer les notes et les genres, du hip-hop au
trap. Féministe autant qu’engagée sur tous
les fronts, son flow n’en est pas moins em-
preint de poésie. C’est rafraîchissant et
super bien ficelé.
Haviah Mighty, « 13th Floor », Discogs.


Afrique, c’est chic ★★★
Premier opus
remarquable
pour la forme et
le fond, qui
réussit le délicat
mélange entre
musiques tradi-
tionnelles afri-
caines et in-
fluences
contempo-
raines. À la clé, des airs qui n’ont rien d’eth-
niques comme on l’entend mais qui, au
contraire, se révèlent aussi déroutants que
cohérents. Une sorte de punk africain,
sincère et révolutionnaire.
Kokoko !, « Fongola », Transgressive.


Devine qui vient


chanter ★★★
On a tant aimé
Lloyd Cole qu’on
ne demande
qu’à l’aimer
encore, comme
si les 30 der-
nières années
n’étaient pas
passées par là.
On découvre un
album dont on
ne sait s’il est kitsch ou d’une furieuse
modernité. Ce qui est sûr, c’est que le
presque sexagénaire n’a rien perdu de son
talent de mélodiste ni de sa voix au velours
tout british.
Lloyd Cole, « Guesswork », Verycords.


Sleepless ★★
Cléa Vincent a
été biberonnée
à la pop dans ce
qu’elle a de plus
dansant. Un
genre qu’elle
sert de sa voix
légère autant
qu’aiguë. Quant
à ses chansons,
elles sont ser-
vies par des textes de qualité, déclinés sur
un mode aussi féminin que contemporain.
On découvre un album efficace mais non
dénué d’humour, qui donne envie de sourire.
Cléa Vincent, « Nuits Sans Sommeil », Mid-
night Special.


Sorties CD


Nina Simone,


jazz et colère


Eunice Kathleen Waymon naît le
21 février 1933 à Tryon, en Caroline du
Nord (États-Unis). Sa mère est femme
de ménage, son père est propriétaire
d’un pressing et la famille, qui comprend
huit enfants, peine à joindre les deux
bouts. À l’église, Eunice découvre le
chant et, surtout, le piano. Dès ses trois
ans, elle fait montre d’une aptitude
exceptionnelle pour cet instrument
qu’elle chérira toute sa vie. Elle rêve de
devenir la première concertiste noire à
se produire dans le monde entier et
pratique sans relâche. Quand elle a 12
ans, elle donne son premier récital mais
ses parents, qui s’étaient installés au
premier rang, sont priés de laisser la
place à un couple de Blancs. La future
Nina Simone refuse de jouer si son père
et sa mère ne sont pas autorisés à
regagner leur place. Elle finit par obtenir
gain de cause mais cet événement va la
marquer à jamais.
D’autant que la couleur de sa peau n’a
pas fini de jouer à son désavantage. Elle
a 17 ans quand elle débarque à New
York. Elle suit les cours de la
prestigieuse Juilliard School, dans le but
d’intégrer ensuite l’encore plus
prestigieux Curtis Institute. Au final, et
alors qu’elle est la plus brillante de sa
promotion, elle est seule parmi ses
condisciples à s’en voir refuser l’accès.
La musique classique a ses faveurs mais
il faut bien vivre. Eunice devient Nina et
commence à se produire dans les clubs
de jazz de la « Grosse Pomme ».

Surtout,c’est là que, par la force des
choses, elle devient chanteuse et fait
découvrir à un public forcément ébloui
cette voix sublime qu’elle avait gardée
pour elle. C’est à cette époque
également qu’elle révèle toute l’étendue
de son intelligence musicale, composant
ses premiers titres et imposant sa patte
à des standards du jazz auxquels elle
ajoute une touche classique.
Ironiquement, le Curtis Institute finira
par lui remettre un doctorat honoris
causa pour l’ensemble de son œuvre.
Trop tard pour ses parents qui, dès sa
conversion au jazz, coupent les ponts
avec leur fille devenue la voix d’une
musique impie.
Nina Simone a la colère chevillée à
l’âme. Très tôt, elle s’engage dans la
défense des droits des Afro-Américains.
Loin de se montrer aussi pacifiste qu’un
Martin Luther King – que pourtant elle
admire –, elle rejoint la liste noire des
activistes les plus surveillés par le
gouvernement américain.
En 1970, suite à une obscure histoire de
dette fiscale dont elle refuse de
s’acquitter en protestation contre la
guerre au Vietnam, elle prend le chemin
de l’exil. Son instabilité, qu’on pense
aujourd’hui être due à un trouble
bipolaire mal diagnostiqué, ne fait que
s’accentuer. Les concerts se raréfient et
les albums aussi. Son dernier passage
en studio, pour « A Single Woman »,
remonte à 1993. Personne n’ose plus
miser sur une artiste à ce point instable,
aussi géniale soit-elle. Pourtant, aux
États-Unis comme ailleurs, les
hommages rendus à son incroyable
talent se multiplient. Elle s’installe dans
le Sud de la France, trouve le temps de
se réconcilier avec sa fille à laquelle elle
ne parlait plus depuis des années et
meurt en 2003, des suites d’un cancer
du sein. Jusqu’au bout, son engagement
lui aura servi de colonne vertébrale, qui
lui faisait déclarer : « Jazz est un terme
de Blancs pour parler des Noirs. Ma
musique est de la musique classique
noire. »
Francesca Caseri

Profession chanteuse (6)


Elle voulait devenir la première
concertiste noire de l’histoire, elle fut
l’une des plus belles voix du jazz.

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