Télérama Magazine N°3632 Du 24 Août 2019

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crÉdit | crÉdit


« Ils arrivent! »


I


l voulait être « dans le coup ». En 1944, Charles Pégulu de


Rovin, 19 ans, étudiant à l’école d’ingénieurs Breguet, est


volontaire des équipes nationales mobilisées pour pren­


dre en charge les victimes des bombardements. Sa libération


de Paris, il la raconte aujourd’hui avec humour : « Pour passer


inaperçu et éviter les patrouilles, j’ai acheté un bleu de travail.


Mais il était tout neuf, et avec le pli bien fait : mon déguisement


d’ouvrier passait mal. J’avais emporté un petit revolver à crosse


de nacre et quelques balles que j’ai troqués peu de temps après


contre une mitraillette Sten munie d’un seul chargeur de trente-


deux munitions qui se vide en dix secondes. » Soixante­quinze


ans après, les souvenirs restent vifs : le poids d’une arme,


l’odeur de la peur et les vibrations de cette journée particu­


lière. « Mais vous savez, c’était une vraie pagaille, les rumeurs


circulaient dans tous les sens. Une drôle d’ambiance! »


Drôle d’ambiance en effet en ce mois d’août 1944 qui sou­


dain voit les événements se précipiter. Les grèves se suc­


cèdent dans le métro, chez les cheminots et, le 15, chez les po­


liciers ; les coupures d’électricité paralysent une ville en


surchauffe, affamée et fébrile. Les convois allemands filent


vers l’est, chargés de soldats, de meubles, de matelas et de bu­


tins divers. Les longues colonnes de fumée des dépôts d’es­


sence qu’ils font sauter assombrissent le ciel. Quant aux Pari­


siens, ils se téléphonent pour avoir des nouvelles et savoir où


sont les Américains. Mais que voit de tout cela une adoles­


cente provinciale de 16 ans tout juste arrivée à Paris? Jacque­


line Duhême, devenue auteure et illustratrice, se souvient


que, montée dans le train à Clermont­Ferrand, elle a poireau­


té deux heures sous le soleil à Moulins, sur la ligne de démar­


cation. « J’étais heureuse de venir à Paris, raconte­t­ elle dans


son atelier près de la Bastille. Mais c’était une période tragique.


A Neuilly, où ma mère avait sa librairie, la nuit on descendait à


la cave avec des lampes peintes en bleu et des masques à gaz.


Tous les enfants dont les pères étaient absents, morts ou prison-


niers, étaient agglutinés dans les abris. Et on avait faim. Avec les


tickets de rationnement, on n’avait droit qu’à un morceau de


pain et de beurre, alors que, adolescents, on aurait pu manger


une vache. Et puis, surtout, on attendait les Américains. »


Ils sont non loin, à Rambouillet, le 18, mais sans aucune


intention d’investir Paris. Car ils redoutent une insurrec­


tion ingérable, et l’obligation d’approvisionner cinq mil­


lions de Parisiens. Ils misent plutôt sur un contournement


pour prendre l’ennemi en tenailles et le forcer à la reddition.


C’est que la politique préside aux opérations militaires. A


Paris, hommes et acronymes s’agitent : FFI (Forces fran­


çaises de l’intérieur), Comac (Comité d’action militaire,


affilié au CNR, Conseil nationale de la Résistance), FTP


(Francs­tireurs et partisans). Le colonel Rol­Tanguy, l’an­


cien métallo qui a fait la guerre d’Espagne et dirige les FFI


de la région parisienne de son PC souterrain — sous les


catacombes, à vingt­six mètres sous le Lion de Belfort,


place Denfert­Rochereau —, lance des appels à l’insurrec­


tion. Pari osé : à peine deux mille hommes et autant d’armes


contre vingt mille Allemands encore dans la capitale. Côté


Par Gilles Heuré



Télérama 3632 21 / 08 / 19
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