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serge
de
saZ
o/raPho
Il y a soIxante-quInze ans, Ils lIbéraIent ParIs Récit
14 ans. Il attend. Près du parc de Sceaux, il aperçoit des pan-
zers dissimulés sous les arbres. Les Américains sont à
Trappes, mais « comment les Allemands vont-ils réagir »?
Avec ses copains, il creuse des tranchées.
Le 20 août, une trêve est négociée par l’intermédiaire du
consul de Suède avec le général von Choltitz, gouverneur
du « Gross Paris ». Rapidement rompue.
Dans la nuit d’orage, Jean Guéhenno écrit : « Personne ne
dort. [...] La liberté revient. On ne sait où elle est, mais elle est
là tout autour de nous dans la nuit. » Le 22 août, des barri-
cades, où s’empilent troncs d’arbres, matelas, sacs de sable
de la défense passive, se dressent un peu partout. Le 24
août, ça mitraille sur la nationale 20. Et au milieu de la nuit,
un voisin crie : « Ecoutez, c’est le bourdon de Notre-Dame! »
Oui! Quatre ans que ses treize tonnes n’avaient pas fait son-
ner leur fa dièse légendaire. Et toutes les cloches de Paris
sonnent à la volée. Au matin du 25, le jeune Lacoste voit pas-
ser « une curieuse petite voiture découverte » avec à son bord
« un homme, tête nue, d’une quarantaine d’années, portant
une grosse moustache ». C’était Hemingway...
Personne ne sait au juste ce qui se passe. Leclerc s’impa-
tiente. Bien que sous commandement américain, il désobéit
et la 2e DB, affrontant une forte résistance, avale les kilo-
mètres. Il convoque le capitaine Dronne et lui ordonne de
foncer sur Paris. Guidées par un habitant d’Antony qui
connaît la sinuosité de la banlieue, trois sections composées
de cent soixante hommes, une jeep, trois chars Sherman, et
quinze half-tracks en fer de lance atteignent l’Hôtel de Ville
à 21h22, le 24 au soir. Sur la route, les habitants sont stu-
péfaits : « Des véhicules allemands? — Non. — Des Américains
alors? — Mais non, des Français! oui, ce sont les Français! — Soy
francés », répond un soldat. Car si les chars por tent le nom
de Montmirail, Champaubert et Romilly et les half-tracks
celui de Madrid ou de Guadalajara, c’est que la 9e compagnie
du régiment de marche du Tchad, la Nueve, est composée
en majeure partie de républicains espagnols.
« Ils arrivent, ils arrivent! » entend Edith Thomas le lende-
main. Oui. Par la rue Saint-Jacques, « la grande route des pè-
lerins de Compostelle. [...] Tout l’immeuble est dans la rue. Les
bonnes en blouse. Les dames en robe de chambre ou déjà ha-
billées pour la messe. Ma pieuse voisine, d’âge fort mûr, s’est
agrémentée de rubans tricolores, piqués jusque dans ses che-
veux. Ils arrivent, noirs, bronzés, poussiéreux, magnifiques. »
Les gens pleurent, s’embrassent, les robes à fleurs se hissent
sur les véhicules, étreignent les soldats. On confectionne
des drapeaux tricolores, mais aussi violet, jaune, rouge de
la République espagnole. On court, on enchâsse les rues et
les avenues, on crie. « Paris fait feu de toutes ses balles dans
la nuit d’août, écrit Camus dans Combat le 24. [...] Une fois
de plus, la justice doit s’acheter avec le sang des hommes. » Em-
phase? Non! En ce moment historique, « les grands mots
sont les mots vrais, écrit Jean Guéhenno. C’est là ce que nous
avons appris dans les épreuves ».
Le lendemain, de Gaulle fulmine de voir que le nom de
Rol-Tanguy, le communiste, figure sur l’acte de reddition à
côté de celui de Leclerc. Il s’installe au ministère de la
Guerre puis se rend à l’Hôtel de Ville. « Paris outragé! Paris
brisé! Paris martyrisé! Mais Paris libéré... », gronde-t-il de-
vant des milliers de Parisiennes et de Parisiens. Trois mois
auparavant, au même endroit, le maréchal Pétain avait aus-
si été acclamé par des milliers de personnes... La joie et la
colère, la liesse mais la honte aussi. Boulevard Saint-Ger-
20 août : l’Hôtel
de Ville est pris
à son tour.
21 août : appel
à l’insurrection
lancé par le colonel
rol-tanguy,
chef des FFI
d’Ile-de-France.
24 août : entrée
dans Paris
des premiers
soldats espagnols
de la 2e Db.
PaRis
outRagé,
PaRis libéRé
19 août : trois mille
policiers français
occupent la
Préfecture de
police.
main, on a rasé la tête d’une femme. La foule la suit en hur-
lant et l’aurait lynchée sans l’intervention d’authentiques
FFI, pas ceux qui ont enfilé le brassard au dernier moment.
« En ces journées de folie, finit Pégulu de Rovin, j’ai vu des
scènes pas jolies. Un prisonnier, on ne crache pas dessus. Et les
femmes tondues... c’est ignoble. » Quelques jours après, il
s’enrôlera dans la 2e DB et continuera la guerre jusqu’à
Bertechs gaden. Jacqueline Duhême, elle, travaillera
comme bénévole de la Croix-Rouge à l’hôtel Lutetia, pour
accueillir les déportés. Le 8 mai 1945, quand l’Allemagne
capitule, Paris est libéré depuis neuf mois, et pour beau-
coup la guerre est déjà finie. Mais les blessures, elles, ne
se refermeront pas si facilement •
25 août : le général
leclerc et
le reste de la 2e Db
entrent dans
Paris par la Porte
d’orléans.
reddition de
von Choltitz et
arrivée du général
de Gaulle.
21 août : les combats
se poursuivent
sur les quais, après
la prise de la
Préfecture par des
policiers porteurs
de brassards FFI.
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