Télérama Magazine N°3632 Du 24 Août 2019

(coco) #1

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Spécial récitS


Musicien sans frontières


Par Hugo Cassavetti


Joan Tomas/ConT

our/geTT

y images

Des rues De rio aux quartiers chauDs


De tijuana, Manu chao saute De rencontres


en Découvertes et passe Du DéchireMent à la joie.


c’est en 1998 que l’ancien leaDer De la Mano


negra, fils D’intellectuels antifranquistes,


rapporte De ses errances « clanDestino »,


un bijou D’innovation Musicale où la gaieté


Des MéloDies le Dispute à la gravité Des paroles.


voie. et inauguré une musique sans frontières, ni rock, ni


world, ni folk, ni électro, mais tout à la fois, où l’expérimen-


tation sonore et les trouvailles de production introdui-


saient le concept de recyclage et d’autocitation. Des chan-


sons impressionnistes et intimes, sur la peur de l’amour ( Je


ne t’aime plus), le besoin de disparaître (Desaparecido), la


quête d’une vague lueur dans l’obscurité (Clandestino), le


tout dans un monde dominé par le mensonge (Mentira)...


rien de très gai, et pourtant l’ensemble était propulsé par


des rythmes entraînants, des refrains entêtants, comme au-


tant de joyeuses ritournelles pour enfants.


« La bonne humeur, je la croise là où les gens sont dans la


misère. Il y a beaucoup de colère en moi, et la musique m’em-


pêche de péter les plombs. Plus je voyage, plus la colère monte.


Mais je constate aussi la vertu de la musique. Les gamins que


je croise au cours de mes périples ont tous la haine, à moi de


tenter de canaliser cette rage en transformant ma colère en


quelque chose de positif. » ainsi Manu chao analysait-il l’es-


sence de son style nourri de ce qu’il a baptisé la malegria,


ce bonheur qui fait mal, ou ce malheur qui débouche sur la


joie, véritable constante de son existence.


josé Manuel tomás arturo chao, né à paris en 1961 le


21 juin ( jour appelé à célébrer plus tard, heureux hasard, la


fête de la musique), a grandi en banlieue ouest, à sèvres. ses


parents espagnols, aimants, intellectuels communistes ayant


combattu et fui le franquisme, les ont baignés, son petit frère


antoine et lui, dans un univers de culture et un esprit


U


ne ode festive au déplacement, en mode folk-pop cos-


mopolite. une invitation au voyage, un guide du rou-


tard engagé et en musique. publié en 1998, à la fois


triste et enjoué, Clandestino, le premier album solo de Manu


chao, défiait, sous son apparente légèreté, les barrières et les


murs qui entravent la liberté de circuler. son triomphe tour-


na la page du rock explosif de son groupe, la Mano negra,


pour écrire celle du musicien globe-trotteur, militant et no-


made, dont la bonne fortune ne servirait désormais plus qu’à


financer son choix d’exister à l’écart des conventions du


showbiz. Mobile et insaisissable mais toujours disponible


pour défendre une cause juste, et se produire partout, sans


crier gare, de barcelone à buenos aires, avec son groupe dans


les plus grands stades. ou seul, avec sa guitare, dans le plus


pouilleux des rades. alors que son auteur approche de la


soixantaine, Clandestino ressort enrichi de trois titres inédits,


qui renforcent la pertinence d’une œuvre aussi novatrice que


visionnaire, en phase, aujourd’hui plus encore qu’hier, avec


un monde qui tourne de moins en moins rond.


le triomphe de Clandestino n’a pas été instantané, loin


de là. l’album fut même le plus heureux des accidents. une


suite de sensations, comme enregistrées dans un état se-


cond, témoignages de déambulations aux allures de fuite


en avant. un patchwork bricolé tel un carnet de croquis,


d’observations et de pensées éparses, mais qui débou-


chaient sur une troublante cohésion. au terme d’un dou-


loureux parcours initiatique, Manu chao avait trouvé sa


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