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Corleone,
le parrain
des parrains
Mardi 20.50
Arte
dOCUMENTAIRE
☞ réalité sombre, barbare, sanguinaire,
très éloignée de la vision romanesque
que j’en avais. De là est né le désir d’en-
quêter et de déconstruire le mythe.
Parmi les chefs de Cosa nostra, vous
vous concentrez sur un seul homme :
le « capo di tutti capi », Totò Riina.
Au début, je pensais raconter l’histoire
de Corleone à travers les destins de
quatre hommes : Totò Riina, le tyran, le
chef militaire, Vito Ciancimino, le poli-
ticien véreux, Bernardo Provenzano,
l’ami d’enfance de Riina, qui prendra la
direction de Cosa nostra quand Riina
sera arrêté, et Leoluca Bagarella, beau-
frère de Riina et tueur impitoyable. J’ai
reculé devant la profusion de noms,
d’histoires pour me concentrer sur le
seul Riina, que j’ai perçu comme un
personnage shakespearien, un Ri-
chard III sans la bosse, fils d’un paysan
pauvre de Corleone, qui prend le pou-
voir sur Cosa nostra par le meurtre et
l’intrigue, et le perdra par la vengeance
d’un adversaire. Je me suis installé à Pa-
lerme en 2013 et j’ai commencé par
consulter la presse de l’époque, notam-
ment le journal communiste L’ O r a.
Pour découvrir qu’en 1981, pendant
cruel : Salvatore Riina, alias Totò
Riina, numéro 1 du clan des Corleone
et chef sanguinaire de Cosa nostra.
Pour cerner ce personnage au plus
près, raconter sa fulgurante ascension
puis sa chute, Mosco Levi Boucault a
obtenu des entretiens uniques des
hommes de main de Riina repentis.
Exceptionnel.
Comment est né ce projet de film?
Le projet de faire un film sur Corleone
est né d’une conversation que j’ai eue
avec le directeur de la police judiciaire
de Palerme, Giuseppe Cucchiara.
Nous parlions du Parrain, de Francis
Ford Coppola. Je savais que Mario Pu-
zo, l’auteur du Parrain, avait donné au
patriarche interprété par Marlon
Brando le nom de Vito Corleone en se
référant à la mafia du village de Cor-
leone. Je lui ai dit mon admiration
pour le film de Coppola, que j’avais
perçu comme une tragédie grecque :
la mort est omniprésente, on ne sait ja-
mais quand elle va surgir. Et j’ai évo-
qué la résonance mythique du nom :
Corleone, Cœur de Lion. Il m’a rétor-
qué qu’en tant que policier et Sicilien
Corleone n’évoquait pour lui qu’une
que je vivais avec ferveur la victoire de
la gauche à Paris, Palerme était le
théâtre d’une guerre de mafia avec plus
de trois cents cadavres par an. J’ai éga-
lement passé beaucoup de temps à vi-
sionner les archives télévisées. C’est
ainsi que je suis tombé sur cette in-
croyable séquence où les carabiniers
convient les télés siciliennes à filmer la
fausse perquisition, avec hélicoptère et
troupes d’assaut, de la supposée cache
de Totò Riina [alors que la vraie villa,
elle, a été entièrement ripolinée et les
coffres-forts vidés sans que la police la
perquisitionne dans les jours qui sui-
virent l’arrestation de Totò Riina et de
son chauffeur, le 15 janvier 1993, ndlr].
La scène fascinante où Totò Riina
apparaît lors de son procès en mars
1993 sème le trouble : tête baissée,
l’accusé nie tout en bloc et se fait
passer pour un va-nu-pieds...
Cette première apparition publique,
télévisée, de Riina dans un tribunal est
une scène de commedia dell’arte. Rii-
na joue un personnage. Il prétend être
un petit paysan dont l’épouse vit dans
une pièce de 4 mètres carrés... alors
que tout le monde est au courant, le
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