Télérama Magazine N°3632 Du 24 Août 2019

(coco) #1

48


u
Corleone,
le parrain
des parrains
Mardi 20.50
Arte

dOCUMENTAIRE


☞ réalité sombre, barbare, sanguinaire,


très éloignée de la vision romanesque


que j’en avais. De là est né le désir d’en-


quêter et de déconstruire le mythe.


Parmi les chefs de Cosa nostra, vous


vous concentrez sur un seul homme :


le « capo di tutti capi », Totò Riina.


Au début, je pensais raconter l’histoire


de Corleone à travers les destins de


quatre hommes : Totò Riina, le tyran, le


chef militaire, Vito Ciancimino, le poli-


ticien véreux, Bernardo Provenzano,


l’ami d’enfance de Riina, qui prendra la


direction de Cosa nostra quand Riina


sera arrêté, et Leoluca Bagarella, beau-


frère de Riina et tueur impitoyable. J’ai


reculé devant la profusion de noms,


d’histoires pour me concentrer sur le


seul Riina, que j’ai perçu comme un


personnage shakespearien, un Ri-


chard III sans la bosse, fils d’un paysan


pauvre de Corleone, qui prend le pou-


voir sur Cosa nostra par le meurtre et


l’intrigue, et le perdra par la vengeance


d’un adversaire. Je me suis installé à Pa-


lerme en 2013 et j’ai commencé par


consulter la presse de l’époque, notam-


ment le journal communiste L’ O r a.


Pour découvrir qu’en 1981, pendant


cruel : Salvatore Riina, alias Totò


Riina, numéro 1 du clan des Corleone


et chef sanguinaire de Cosa nostra.


Pour cerner ce personnage au plus


près, raconter sa fulgurante ascension


puis sa chute, Mosco Levi Boucault a


obtenu des entretiens uniques des


hommes de main de Riina repentis.


Exceptionnel.


Comment est né ce projet de film?


Le projet de faire un film sur Corleone


est né d’une conversation que j’ai eue


avec le directeur de la police judiciaire


de Palerme, Giuseppe Cucchiara.


Nous parlions du Parrain, de Francis


Ford Coppola. Je savais que Mario Pu-


zo, l’auteur du Parrain, avait donné au


patriarche interprété par Marlon


Brando le nom de Vito Corleone en se


référant à la mafia du village de Cor-


leone. Je lui ai dit mon admiration


pour le film de Coppola, que j’avais


perçu comme une tragédie grecque :


la mort est omniprésente, on ne sait ja-


mais quand elle va surgir. Et j’ai évo-


qué la résonance mythique du nom :


Corleone, Cœur de Lion. Il m’a rétor-


qué qu’en tant que policier et Sicilien


Corleone n’évoquait pour lui qu’une


que je vivais avec ferveur la victoire de


la gauche à Paris, Palerme était le


théâtre d’une guerre de mafia avec plus


de trois cents cadavres par an. J’ai éga-


lement passé beaucoup de temps à vi-


sionner les archives télévisées. C’est


ainsi que je suis tombé sur cette in-


croyable séquence où les carabiniers


convient les télés siciliennes à filmer la


fausse perquisition, avec hélicoptère et


troupes d’assaut, de la supposée cache


de Totò Riina [alors que la vraie villa,


elle, a été entièrement ripolinée et les


coffres-forts vidés sans que la police la


perquisitionne dans les jours qui sui-


virent l’arrestation de Totò Riina et de


son chauffeur, le 15 janvier 1993, ndlr].


La scène fascinante où Totò Riina


apparaît lors de son procès en mars


1993 sème le trouble : tête baissée,


l’accusé nie tout en bloc et se fait


passer pour un va-nu-pieds...


Cette première apparition publique,


télévisée, de Riina dans un tribunal est


une scène de commedia dell’arte. Rii-


na joue un personnage. Il prétend être


un petit paysan dont l’épouse vit dans


une pièce de 4 mètres carrés... alors


que tout le monde est au courant, le


Télérama 3632 21 / 08 / 19
Free download pdf