Mathias Noël
No 864 septembre 2019 - La Revue nationale de la chasse 51
L
’
urbanisation est certes res-
ponsable de la destruction
de nombreux habitats na-
turels, mais elle offre éga-
lement un environnement propice
à la vie et à la reproduction de cer-
taines espèces qui ont su s'y adapter.
En effet, certains privilégiés ont saisi
l'opportunité de coloniser ces nou-
velles niches écologiques. Le premier
exemple qui vous viendra à l'esprit
est sans aucun doute le pigeon biset
féral (ou pigeon des clochers) qui a
parfaitement su utiliser l'environ-
nement urbain, et qui est mainte-
nant omniprésent dans les villes et
villages français. D'autres espèces
ont également pris place dans les es-
paces verts urbains tels que les parcs,
comme par exemple le merle noir. À
l'aube des années 1990, une impor-
tante population de cette espèce était
présente dans la ville de Manchester
mais une sérieuse menace risquait de
compromettre son avenir...
Mais, où sont donc passés
les jeunes!
Dès la fin de l'hiver et au début du
printemps, il suffisait de se balader
dans les parcs de cette ville du centre
de l'Angleterre pour entendre le chant
mélodieux de Monsieur merle cher-
...
La longévité des merles
Comme beaucoup d'animaux, la première année
de vie est critique. Plus de la moitié des merles
meurent avant même de pouvoir se reproduire.
Les individus qui passent le printemps suivant
ont une espérance de vie d'environ 5 ans (2,4 ans
d'espérance de vie si la première année est prise
en compte). Le record actuel est de presque 22 ans
à l'état sauvage pour cette espèce!
chant à séduire une partenaire ou à
protéger son territoire des concur-
rents. Tout cela annonçait une belle
reproduction et l'arrivée prochaine de
juvéniles fraîchement sortis du nid.
Mais les semaines passèrent et rien ne
bougeait. Pas un seul jeune merle, re-
connaissable à sa robe clair mouche-
tée, ses pattes rosâtres et sa difficulté
à voler, n'était observé. Que s'était-il
donc passé? Les merles étaient-ils
tous devenus stériles? Les parents
n'arrivaient-ils pas à s'occuper de leur
progéniture? Un prédateur aurait-il la
capacité de trouver et de vider tous les
nids? Sherlock Holmes étant déjà sur
une autre affaire, c'est le scientifique
D. W. Groom qui a tenté d'éclaircir
cette énigme.
à la recherche
du coupable
La première étape a été de savoir
si les merles faisaient des nids
et pondaient des œufs. La ré-
ponse est oui. Après de lon-
gues heures de prospections,
Monsieur Groom a comp-
tabilisé 493 tentatives de
nidification pour 175 nids
contenant des œufs entre
1988 et 1990. Mais lorsqu'il
revenait sur les nids pré-
cédemment localisés, les
œufs avaient disparu. Sur les
493 nids, seuls 23 ont vu des
poussins prendre leur envol,
soit moins de 5 %.
Qui pouvait bien vider les nids et
comment prendre le coupable sur le
fait? Il n'était pas possible de mobi-
liser une personne par nid 24 h/24
pour découvrir le ou les coupable(s)
et à l'époque, les pièges photo n'exis-
taient pas. Alors comment trouver
le(s) auteur(s) de ces disparitions?
Au fil de ses recherches, Groom
tomba sur une idée astucieuse qui
est, encore aujourd'hui, largement
répandue dans le monde scienti-
fique pour l'identification des pré-
dateurs de nids : les œufs en pâte à
modeler. La méthode consiste en
la fabrication d'œufs en tout point
semblables à ceux de l'espèce étu-
diée mais en matière souple. Ainsi,
quand le prédateur s'attaque à l'œuf,
il laisse l'empreinte de son bec, ses
dents, griffes ou serres et il est pos-
sible de l'identifier. Après des heures
et des heures passées à faire de l'art
plastique, Groom avait fabriqué suffi-
samment de faux œufs pour pouvoir
en placer un dans chaque couvée lo-
calisée. Il fallait désormais s'armer de
patience pour, peut-être, démasquer
le ou les coupables...
Le coupable en "queue-de-
pie" est enfin démasqué
Et ce fut chose faite! La prédation
était bien la principale cause d'échec
de ces nids et les responsables ont pu
être identifiés. Quelques œufs ont
été consommés par des mulots syl-
vestres, mais l'immense majorité de
prédation a pu être attribuée à la pie
bavarde! En effet, son alimentation
généraliste et son comportement op-
portuniste lui ont également permis
de très bien s'adapter à la vie urbaine.
Elle est capable de s'alimenter de qua-
siment tout ce qui est organique :
du morceau de pain à la charogne
en passant par les graines, insectes,
baies et autres lézards. L'importante
densité de nids de merles lui offre
Nid de merle
noir dans un
buisson proche
des habitations.
Merlette
surveillant sa
progéniture.
Ma
thia
s^ N
oël
Shutterstock