Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
Verve est (et demeure) l’une des plus grandes
chansons de la britpop, une parfaite expression
traduisant la fin des années 90. Une chanson que
seul le frontman de Verve, Richard Ashcroft,
aurait pu écrire... sauf que d’après la juridiction
complexe du copyright, il ne l’a pas fait. En effet,
pour ceux qui ne sont pas au courant, la chanson
d’Ashcroft samplait une partie orchestrale de ‘The
Last Time’ des Rolling Stones, et un procès intenté
par Allen Klein (ancien manager des Stones), peu
après la sortie du titre, a forcé The Verve à céder
100% des royalties de ‘Bitter Sweet Symphony’
à Mick Jagger et Keith Richards. Oops.
Pourtant, cette décision a toujours été assez
absurde — Jagger et Richards n’en avaient que
faire de la section de cordes qu’Ashcroft avait
échantillonnée. Malgré tout, cet incident a duré
plus de deux décennies, jusqu’à aujourd’hui. La
BBC rapporte que les Stones ont volontairement
rendu les crédits d’écriture de ‘Bitter Sweet
Symphony’ à leur propriétaire légitime.”
(Rolling Stone).
Il y a beaucoup d’inexactitudes dans ce
compte-rendu, et une histoire assez triste derrière
le happy end. Ni les Stones ni The Verve n’ont
écrit une note du riff de cordes qui a contribué
au succès de “Bitter Sweet Symphony”, puisqu’il
s’agit de l’introduction, composée par David
Whitaker pour la reprise de “The Last Time”
par The Andrew Loog Oldham Orchestra,
dont il était l’arrangeur et le chef d’orchestre.
Ashcroft ne l’a pas échantillonnée, d’ailleurs,
ce qui l’aurait obligé à négocier les droits
d’interprétation, il a fait rejouer la partie à
l’identique. David est mort il y a 7 ans, plus
personne ne lui filait de travail, lui et sa femme
Sue auraient eu bien besoin d’une part de
composition qu’il n’avait pas volée, mais tout le
monde l’avait dissuadé de faire valoir ses droits,
en lui assurant qu’il n’aurait aucune chance face
à The Verve et aux Stones. Aujourd’hui, il n’est
même pas cité dans les articles sur la transaction,
il y a des cartes de presse qui se perdent.

Dans le studio avec Jul(Konbini), reportage à la
gloire du prince des rimes pauvres et des mélodies
à un doigt, pourrait être un sketch des Inconnus.
C’est à la fois navrant, hilarant et assez touchant.
On peut moquer facilement sa bouillabaisse à
l’Auto-Tune mitonnée en quelques minutes mais
ce n’est pas Jul le coupable, pour le coup c’est
vraiment la faute de la société, de l’enseignement
de la musique, des programmateurs de FM qui
ont fait baisser le niveau et des médias qui ont
fait monter la sauce, par peur d’être largués face
à ce que L’Obs appelait alors “un rap quartier”,
et au prétexte que lui et PNL, comme Lorie en
son temps, étaient plébiscités par les internautes,
ce qui était loin d’être le cas au départ.

La nomination discrétionnaire d’un producteur
de navets à la tête du CNC et l’éviction de
Frédérique Bredin laissent présager le pire
pour le futur Centre National de la Musique.
Cette nouvelle usine à gaz, que tous les acteurs
du secteur appellent hypocritement de leurs
vœux en pensant qu’ils en seront les pilotes,
aura les inconvénients des aides au cinéma sans
en posséder les qualités, car notre industrie est
bien plus divisée, chacun, syndicats d’artistes,
gros zindés, majors, éditeurs, spectacle vivant,
entendant faire valoir ses seuls intérêts sans
la moindre vision d’ensemble. La musique a
moins besoin de subventions arbitraires que
de mesures structurelles qui profitent à tous.
Plutôt que d’invoquer l’exception culturelle,
préférence nationale paradoxale pour un
milieu qui n’en voudrait jamais pour les autres,
il conviendrait de veiller à la réciprocité des
réglementations : les artistes américains ne
payent pas un pet de charges ici quand ils

viennent en France alors que nous acquittons, au
prix fort, des permis de travail pour jouer là-bas.
Ça vaudrait d’ailleurs le coup de voir Air France,
Eurostar, la SNCF et Accor pour négocier des
conditions favorables aux tournées, c’est comme
ça que les jazzmen d’outre-Atlantique avaient
pu se rendre en Europe après la Libération.

Banc d’essai : le répertoire d’Aiva, la
compositrice virtuelle inventée par la start-up du
même nom. Leur créature génère de la musique
automatiquement, en fonction des morceaux
qu’on lui a fait avaler. La première œuvre, diffusée
sur leur site, s’appelle “Plutonium” et rien que le
titre, digne d’une carte de paiement XXL, mérite
le respect, d’autant qu’il n’est pas mensonger :
impression d’entendre un de ces groupes de rock
bourrin qui agitent leurs extensions capillaires sur
la grande scène des festivals d’été, et qui auraient
échangé leur backline contre des instruments
loués chez Garage Band. Le deuxième titre, “The
Age Of Amazement”, ressemble à une musique
interchangeable de blockbuster. Ce n’est pas
plus scolaire que ce que produirait un honnête
faiseur, et on sent que le programme est capable
de concevoir des choses sophistiquées en fonction
de ce qu’il ingurgite, avec des modulations
et des accidents moins prévisibles. A l’instar
de l’enregistrement multipiste, du séquenceur
et de toutes les évolutions de la lutherie ça
produira probablement le pire, et parfois
le meilleur, selon utilisation.

On sait qu’on aime un livre quand on compte
les pages qui restent en espérant qu’il ne sera
pas bientôt terminé (ça fonctionne aussi avec
les disques et au cinéma). “Le Cœur De
L’Angleterre”, de Jonathan Coe (Gallimard, 23 €)
et “Le Nom Secret Des Choses”, de Blandine
Rinkel (Fayard, 19 €), qui sortent maintenant,
sont comme ça. Avec la décennie du Brexit
d’un côté, et “une jeune femme perdue sur
le grand échiquier des postures”de l’autre,
Coe et Rinkel racontent leur temps sans le
juger, et ces deux récits, pourtant bien différents,
témoignent d’une même étanchéité des classes
et des destins, au moins aussi présente en
France, où elle est plus insidieuse.

Question pour un champion : natif de Newcastle,
Hendrix jouait avec lui la veille de sa mort, très
tôt il a envoyé balader le music business, c’est...
c’est... Eric Burdon, bien sûr. Grâce à Assaad
Debs et Jérôme Laperrousaz, il jouera à Paris
pour la dernière fois le 8 octobre. “Continental
Circus”, du même Laperrousaz, avec la bande-
son de Gong qui préfigure les boucles, sera projeté
à Beaubourg le 18 octobre. Jérôme avait tourné
ce chef-d’œuvre à 21 ans, reçu le prix Jean Vigo
et représenté la France aux Oscars. Il n’y a pas
une image de lui qui ne soit touchée par la grâce.
Il capte le réel comme une fiction et vice-versa,
peu de cinéastes ont autant d’instinct et de
technique. “Continental” a longtemps été un
classique des MJC et de la contre-culture, avec
“More” et “Aguirre”. Ce n’est pas un film sur
la moto, même si elle est au cœur de l’action
(comme les courses de chars dans “Ben-Hur”),
mais sur la vie, la mort, l’amitié, la solitude,
l’adversité et l’engagement. Depuis trente ans,
il est invisible, comme la plupart des autres
longs-métrages de Jérôme, films musicaux
et sociaux (sur Amougies, Third World, la
Jamaïque, Noureev), fictions fantastiques
(“Hu-Man”, avec son ami Terence Stamp et
une BO signée Burdon). Ce qu’on en aperçoit sur
YouTube est généralement repiqué sur des VHS
de mauvaise qualité. Cette discrétion est un grand
luxe, comme ne pas avoir de fiche Wikipedia
ou un site internet en jachère : à l’avenir,
chacun aura droit à 15 minutes d’anonymat.
Photo Bruno Berbessou

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