014 R&F SEPTEMBRE 2019
R&F : Pardon?
Christian Vander :Il venait souvent à la maison. On échangeait des
4/4, des 8/8 ensemble... Il m’a dit : “Tu es doué, je vais te trouver une
batterie”. Il a payé un taxi, m’a donné un rendez-vous au Chat Qui
Pêche, club de jazz qui n’existe plus aujourd’hui et là, il a chargé
dans le coffre du taxi cette batterie. Je suis rentré chez moi. Deux ans
plus tard, j’avais les huissiers parce qu’il avait volé la batterie à son
batteur... Je me suis retrouvé au tribunal pour recel à 14 ans et demi!
R&F : Y a-t-il un disque
à l’époque où la batterie
vous semble extraordinaire?
Christian Vander :Dès que j’ai
entendu jouer Elvin Jones, le batteur de
John Coltrane, pfff. Elvin, il est au-delà
de la musique... C’est même pas tombé
dans la marmite, c’est encore autre
chose. Il arrive sur l’album “My Favorite
Things”. J’ai suivi chronologiquement
toutes les sorties de John, et, à chaque
fois, il nous emmenait dans un autre
univers. La première série sur la
marque Atlantic, bon d’accord, surtout
“Olé Coltrane”, puis, soudainement,
il passe chez Impulse et ça donne
sa vraie dimension au quartette.
Avec l’ingénieur du son Rudy
Van Gelder, ça devient grandiose.
Notamment sur “Africa/ Brass”, avec
les arrangements d’Eric Dolphy.
R&F : A la même époque, il y a
aussi le rock, étiez-vous plutôt
Beatles ou Rolling Stones?
Christian Vander :A mes amis, je
disais : “Ecoutez ces musiques, écoutez-
les”, mais moi j’étais tellement pris par
le jazz que bon... Vous comprenez?
C’est sûr, j’ai été pris par certains
thèmes des Stones, mais je dirais le
disque “Revolver” des Beatles.
R&F : Le rock, ça ne vous intéresse pas plus que ça semble-t-il...
Christian Vander :Je préfère largement le jazz. Le rock, j’écoutais
le rythme une fois, je pouvais le restituer. Trop facile pour moi.
Alors qu’Elvin Jones, c’était plus problématique.
R&F : En 1970, le premier album de Magma sort... On y
entend quand même l’influence du rock progressif que ça
soit dans sa version américaine via Zappa, ou anglaise via
King Crimson. Vous vous placez dans cette mouvance?
Christian Vander :Pas du tout. Moi, je me suis immédiatement
situé par rapport à moi-même. Et j’ai intitulé cela la musique zeuhl.
C’est inquantifiable, ça. Incomparable. Bien sûr que j’ai écouté
d’autres musiques... mais chez des amis. Je peux raconter une
anecdote sur Eric Clapton, notamment. J’ai un copain qui écoutait
“Fresh Cream” quand il est sorti, qui est un très beau disque, mais
bon moi, à l’époque j’écoutais John vous
comprenez? Alors on écoute ce disque
et mon pote me dit : “Tu vois, Coltrane
c’est trop intellectuel”, je lui dis que non,
qu’il faut plonger, pas réfléchir... On
écoutait quand même ce Clapton, donc,
je trouvais qu’il jouait bien et même,
parfois, il jouait presque au quart de
ton, volontairement, me semble-t-il.
Je me suis dit : “Il doit écouter John”.
R&F : Et?
Christian Vander :C’est tout. Quelques années plus tard, lors d’un
concert on vient me dire que quelqu’un veut me saluer, et c’est Eric
Clapton, apparemment fan de Magma. On me présente. Première
question que je lui pose : “Dis-moi Eric, qu’est-ce que tu écoutais
à cette époque de ‘Fresh Cream’ ?”Il me dit : “John Coltrane”.
Une musique à étages
R&F : En France, vous restez un cas particulier,
vous n’avez jamais tenté de faire le crossover,
en faisant un tube, par exemple?
Christian Vander :J’ai tout basé sur l’expression musicale.
On m’a dit : “On ne comprend pas votre langage, chantez
en français.”Mais quand vous écoutez un saxophoniste, vous
ne le comprenez pas comme un langage articulé, on est d’accord?
Alors où est le problème?
R&F : Cela dit, dans le dernier disque, “Zëss”,
il y a un passage chanté/ parlé en français.
C’est quoi un bon chanteur pour vous?
Christian Vander :En France, c’est dur de trouver
de bons chanteurs. Des chanteuses, aucun problème
mais les chanteurs... Klaus Blasquiz a fortement influencé
notre son dans les années 70. Quand je l’ai entendu la
première fois je me suis dit : “C’est lui, c’est certain”.
R&F : Jazz vocal?
Christian Vander :Johnny Hartman, un gars que John a
découvert dans la rue. Tessiture de baryton. Un timbre
et une couleur extraordinaires. Ils ont fait un album ensemble.
R&F : Peu se souviennent que Magma fait une apparition
dans “Moi Vouloir Des Sous” de Jean Yanne en 1973.
Des souvenirs?
Christian Vander :Il y avait un acteur très âgé sur le tournage,
Fernand Ledoux... Et dans le morceau qu’on jouait, il y avait une
énorme pêche à un moment ; il a sursauté et est tombé de sa chaise.
C’est mon souvenir.
R&F : Bizarrement, vous n’avez jamais composé pour le cinéma...
Christian Vander :Oui, c’est compliqué ça (il semble soudainement
intéressé par cette question et cherche
longuement une réponse). Mais j’aime
beaucoup la musique du film “The Deer
Hunter” (“Voyage Au Bout De L’Enfer”)
par exemple. Un grand film. Que j’ai vu
28 fois. J’ai revu aussi, récemment, “La
Malédiction Des Pharaons” de Terence
Fisher. Il y avait une musique derrière
qui rappelait l’Egypte antique. Quand
j’étais gamin, ce genre de musique me
faisait voyager. “Full Circle” (“Le Cercle Infernal”) avec Mia Farrow,
très bonne musique d’un compositeur anglais, Colin Towns
R&F : Au milieu des années 70, Magma adopte un son plus
funk... Ecoutez-vous de la soul music?
Christian Vander :Motown, beaucoup. Là, j’avoue. Marvin Gaye,
par exemple. Les Temptations. Quelquefois, j’ai une petite crise,
MES DISQUES A MOI CHRISTIAN VANDER
“C’est Chet Baker
qui m’a procuré ma
première batterie”