Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
Jack connaissait ce jeune épileptique canadien depuis 1967 quand,
habillé en Indien et la gingivite saignante, il officiait dans Buffalo
Springfield. Malgré tout, il était le seul membre du groupe à trouver
grâce à ses yeux. Au point de le pousser à se lancer en solo. Après
avoir arrangé “Expecting To Fly” pour Buffalo Springfield et écrit “String
Quartet From Whiskey Boot Hill” pour le premier album de Neil, il
devient le pianiste du Crazy Horse. Pour la première fois de sa vie, Jack
Nitzsche fait partie d’un groupe de rock. “Enfin, un groupe... plutôt
une équipe de basket”. La tournée qui suit, celle de 1970, dont Miles
Davis fait la première partie, est dantesque. Sur l’album “Live At The
Fillmore East”, on y entend le Crazy Horse de la période Danny Whitten
au sommet de sa forme. Enfin : après le sympathique et mineur
premier album du groupe, sans Neil Young (mais où l’on peut entendre
Jack chanter sa chanson “Crow Jane Lady” et Ry Cooder faire un solo

d’anthologie sur “Dirty, Dirty”), Nitzsche dirige le London Symphony
Orchestra pour enrober les chansons “A Man Needs A Maid” et “There’s
A World”. “Neil voulait une pièce symphonique pour ses chansons, je
me suis moqué de lui en lui proposant d’embaucher le meilleur orchestre
du monde. Il m’a pris au sérieux.”En 1972, “Harvest” est un énorme
succès, l’album le plus célèbre de Neil Young. En plus de ses
orchestrations, Nitzsche y joue du piano et cette guitare slide traînante
sur “Are You Ready For The Country?”. “J’avais pris un peu trop de
Quaaludes”. Jack emménage à Broken Arrow, le ranch du Loner, où
ce dernier vit entouré d’une communauté de hippies invitée par sa
nouvelle compagne, Carrie Snodgress, que Nitzsche déteste. Devenu
demi-dieu chez Warner, Neil Young impose à la maison de disque
que Jack enregistre un album complet avec le London Symphony
Orchestra. Cela donnera “St Giles Cripplegate”, un anecdotique exercice
de style symphonique, avec pochette peinte par Moss McCracken, un
barjot de Broken Arrow — et unique ami de Nitzsche — qui utilisa
les moustaches d’une souris morte comme seul pinceau. A cette époque
où Jack terrorise jusqu’à son propre fils en lui assurant qu’il est l’ange
de la mort, il part jouer du piano sur ce qui doit être la plus grosse tournée
de Neil Young. Se saoulant afin d’oublier sa peur de la scène, il se
livre chaque soir à un exercice inédit : il commente et détruit le
concert en direct en le commentant au micro (pour le plus grand bonheur

JACK NIT ZSCHE


044 R&F SEPTEMBRE 2019


de guitare pour laquelle on se couperait les deux mains, lui qui joue
ce piano d’abord fantôme, puis déstructuré, lui qui, en somme, avec
Marianne Faithfull, a offert au rock sa descente de croix. “La mort a
toujours joué un rôle très important dans ce que je fais.”Brian trouva la
mort l’année où Jack loua “un cottage de sorcière”dans Laurel Canyon
pour y composer la BO de “Performance”. Ici, dans l’épicentre hippie
chic, à 15 minutes de l’endroit où la Manson Family commettra un
massacre, Jack explore une zone musicale opposée aux sons solaires de
Spector. Il étudie le satanisme, les rituels, le tout sous le regard du filleul
d’Aleister Crowley qui lui vend de la coke. Le résultat, son disque le
plus important, lui vaudra d’être embauché par William Friedkin pour
la BO de “L’Exorciste” ; “Quand j’ai travaillé sur la BO de ‘L’Exorciste’,
ce n’était qu’un boulot. Tandis que, pour ‘Performance’, j’étais réellement
possédé par le démon.”. Mélangeant les récents synthétiseurs Moog


à des percussions antédiluviennes, des guimbardes, et autres joujoukas,
Nitzsche livre quelques morceaux de rock stonien(“Gone Dead Train”,
chanté par Randy Newman), des plages de musique électronique avant-
gardiste (“Performance”, programmé par Beaver & Krause et chanté
par Merry Gimme Shelter Clayton) et de la pure musique de sabbat
(“Dyed, Dead And Red”). Bien sur, “Memo From Turner” annonce le
nouveau Mick Jagger : arrogant et maquillé. Une grâce, une magie, noire
certes, tombe sur ces morceaux, et la guitare de Ry Cooder ne suffit à
l’expliquer. CC Adcock, l’un des derniers à avoir collaboré avec Nitzsche
avant sa mort, aura lui aussi été témoin de ce phénomène : “Avec Jack,
quand tu arrives en studio, tout sonne très très bien, très très vite. J’ai
demandé aux ingénieurs ce qu’il avait fait. Ils m’ont répondu : ‘Rien’.
C’était féérique.”


Hors de contrôle
En 1972, pendant la tournée STP, Jack vient rendre visite aux Rolling
Stones en coulisses pour leur livrer sa prédiction : “En vous répétant,
vous allez devenir les Chuck Berry des années 80 : toujours connus, mais
de pâles copies de vous-mêmes.” Le Jack du début des années 70
était de mauvaise humeur. Lui-même allait partir en tournée avec Neil
Young, ce qui mettra plus au moins fin à leur collaboration.


Andrew Loog Oldham


a fini par lui payer


une montre en or


pour avoir joué


du tambourin


et du piano sur


“(I Can’t Get No)


Satisfaction”

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