Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
SEPTEMBRE 2019 R&F 045

des ingénieurs du son qui le coupent en façade, mais le gardent en
cabine). Dans une interview de 1974 au magazine Crawdaddy, on retrouve
un Jack encore plus hors de contrôle : “Cette tournée était une torture.
Tout le monde dans le groupe s’ennuyait à mourir avec ses horribles solos
de guitare. Neil se retournait vers nous avec cette grimace stupide qu’il
a quand il joue. J’étais à deux doigts de me rouler par terre de rire.”De
cette tournée sortira l’album live “Time Fades Away” qui inaugure
la merveilleuse trilogie maudite de Neil Young (“On The Beach”,
“Tonight’s The Night”). En 1978, interviewé par le Melody Maker sur
sa future collaboration avec Graham Parker (pour l’album “Squeezing
Out Sparks”), Jack est préoccupé : sa petite amie a disparu. Il a peur,
elle est volage. C’est Carrie Snodgress, l’ex-compagne de Neil Young
qu’il lui a piquée après la tournée. Un an plus tard, il la mettra au bout
de son arme avec son amant, violence qu’elle pardonnera pour seulement

à se méfier l’un de l’autre et à s’aimer. Quand Nitzsche présentera
CC Adcock à Willy pour l’album “Lafayette Marquis”, il ne cessait
de dire au premier : “Tes chansons, je devrais les faire chanter par
Willy, car tu n’es pas à leur niveau.”Tandis que l’autre avait droit à :
“Tu as vieilli et j’ai trouvé un nouveau toi, plus jeune.”Puis, la nuit,
Jack lançait des couteaux vers la lune, habillé en vieille Indienne,
au milieu du bayou louisianais. Il ne lui restait plus que quelques
mois à vivre.

Les imbéciles sur la colline
Au milieu des années 90, les téléspectateurs américains purent voir
un petit homme à cheveux longs brandir une arme devant des gamins
qui lui avaient volé son chapeau. C’était dans “Cops”, pas une fiction,

mais une émission de faits divers et le type avec le pistolet était bien
Jack Nitzsche. Il venait de sortir une bizarrerie, ce qui ressemble au
chant du cygne pour certains des artistes majeurs de la deuxième moitié
du vingtième siècle : le réalisateur Dennis Hopper, John Lee Hooker,
Taj Mahal, Jack Nitzsche lui-même et Miles Davis. Cette BO s’appelle
“Hot Spot”, on y entend Miles Davis planer de ses suites modales au-
dessus d’un immuable accord joué par John Lee Hooker et des attaques
de slide de Taj Mahal. Lourd, plombé, avançant inéluctablement vers
la mort, cet album merveilleux rend justice, par sa limpidité, à la
grandeur des trois musiciens. Enregistrer Miles Davis fut la grande
fierté de Nitzsche. Il espérait secrètement lui produire un album,
mais n’en eut pas le temps. Retrouvant un jour Willy dans une chambre
d’hôtel, sous l’œil bienveillant des réalisateurs Frédéric Bas et Julien
Gaurichon, la parole de Jack Nitzsche au crépuscule de sa vie allait
éclairer celle de son illustre aïeul. “Au fond, nous sommes les
imbéciles sur la colline, accrochés à nos épées, attendant un ennemi
qui n’existe pas.”
Ainsi parlait... ★

Compilations“The Jack Nitzsche Story”, trois volumes (Ace)

10 000 $ (la justice lui en avait alloué 60 000). Jack, à cette époque,
est sous contrat avec Capitol Records, à qui il doit plusieurs productions
par an. En plus des Neville Brothers ou de Rick Nelson, il leur refile
certaines de ses musiques de films où, à côté des plus connues (“Vol
Au-Dessus D’Un Nid De Coucou”, “L’Exorciste”) résident quelques
merveilles : “Blue Collar” de Paul Schrader avec Ry Cooder, qui amena
son vieux copain Captain Beefheart, “La Chasse” de Friedkin pour
laquelle il produit six morceaux des Germs (!). Des BO où l’on
retrouve systématiquement Willy DeVille. “Le meilleur chanteur avec
qui j’ai travaillé”, dira-t-il. Quand Ben Edmonds de chez Capitol mit
ces deux-là à la colle, il pensait que Nitzsche allait refaire “Memo From
Turner”. Mais, avec Willy, Jack retourna vers une musique solaire,
puissante, romantique. Car Capitol ne comprit jamais qu’en signant
Mink De Ville, il n’avait pas sous contrat un groupe punk du CBGB,
mais un obsédé de Tin Pan Alley, un dingue des productions de Spanish
Harlem, un fou des Ronettes. En Jack, Willy trouva son “mentor and
tormentor”, l’homme qui le révéla en lui faisant chanter “Little Boy”
des Crystals (devenue “Little Girl”) et le rabroua en le présentant souvent
comme un junkie — que Nitzsche était tout autant. Ces deux-là, qui
enregistrèrent deux classiques absolus (“Cabretta” et “Return To
Magenta”), une horreur (“Coup De Grâce”) et le discutable “Miracle”,

Photos Ace Records-DR & Chris Walter/ Getty Imagespassèrent leur temps a se mentir, se poignarder dans le dos,

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