Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
SEPTEMBRE 2019 R&F 051

La liste d’exigences des artistes, ce qu’on
appelle le rider, ça a été institué à cette
époque, j’avais droit à des documents qui
pouvaient atteindre 80 pages! On décrit les
rockers comme des branleurs, mais je voyais
le contraire : des bosseurs, très profession-
nels, qui ne rigolaient pas avec le fric. Il y
avait de la dope, OK, mais plus important :
le boulot, le boulot bien fait.


Toutes les cocaïnes


du monde
R&F : Donc, la dope?
Albert Koski :Les groupes venaient avec
leur docteur. D’anciens médecins, qui
suivaient les groupes qu’ils adoraient. Ils
avaient une petite valise, une mallette, et à
l’intérieur, des petites bouteilles, avec dedans,
toutes les cocaïnes du monde. La meilleure
qualité : c’est comme si on prenait du caviar,
rien à voir avec la coke d’aujourd’hui. On
en prenait tous, et on baisait, voilà, c’était ça
les années 70.


R&F : Les groupies?
Albert Koski :Les groupes trouvaient mieux. Mais certains s’en
contentaient. Le mec de Deep Purple, Ritchie Blackmore, il y avait une
queue de groupies devant sa chambre, je sais pas comment il faisait, il
baisait tout le temps ces mochetés.


R&F : Quels sont les artistes qui vous ont le plus impressionné?
Albert Koski :A part Bowie et Mick? Bryan Ferry : je l’aime. Jimmy Page.
McCartney, sublime. Il était avec son épouse, Eastman. Et leurs enfants, qui
ont foutu en l’air leur étage au George V, tout pété, saccagé. Le directeur de
l’hôtel s’en souvient encore. Il était assuré, mais McCartney a tout payé.


R&F : Et Bob Dylan? Vous l’avez fait jouer cinq soirs de suite
au Pavillon de Paris en juillet 1978.
Albert Koski :J’avais été suivre la Rolling Thunder Revue, parce que
Joan Baez me réclamait, je ne la rendais pas insensible. Avec Dylan,
aucun contact chaleureux. Pareil au Pavillon de Paris : il était avec trois
gonzesses black, il me regardait, souriait ou pas, bonjour-bonsoir,
c’est tout, le courant n’est pas passé. Je l’ai produit au stade de Nice
aussi, avec Joan Baez et Santana, j’avais fait monter sur scène Lino
Ventura, qui se demandait ce qu’il foutait là, devant 55 000 personnes.
Les tournées en province, on ne savait jamais ce qui allait se passer.


R&F : C’était une volonté KCP : faire venir un artiste pas
seulement sur une date parisienne, le faire tourner en province.
Albert Koski :Et je me retrouvais à programmer Pink Floyd à la Halle
aux veaux de Poitiers... Avec juste 800 préventes... Et le soir débarquent
18 000 personnes! Que du cash! Souvent, tu perdais du fric en province,
mais il y avait une contrepartie : les groupes vendaient plus d’albums.
C’est ce que voulaient les maisons de disques, donc si KCP produisait
des tournées en province, elles me donnaient tous leurs artistes. Et je
prenais l’argent des tournées des Anglo-Saxons pour investir sur les
rockers français.


R&F : Celui que vous avez beaucoup poussé, c’est Higelin.
Albert Koski :Je l’ai rencontré, il était assis sur un trottoir, habillé
en noir, et moi tout en blanc : on est tombés amoureux l’un de l’autre,


une très grande amitié. Il n’avait rien, j’ai tout
fait pour lui, tout. On s’adorait, mais il ne
pouvait pas voir Danièle. Et le jour où j’ai
arrêté de travailler, il m’a foutu en l’air, je
n’existais plus pour lui.

R&F : Quand sont arrivées les années 80,
tout est devenu plus contractuel, avec
des bataillons d’avocats?
Albert Koski :Il y avait pas mal de rapaces,
mais c’étaient surtout les managers. Celui de
Zappa, très chiant : à chaque fois, ça se réglait
physiquement. Les avocats ont vu qu’il y avait
de sacrées rentes à gagner, celui de Blondie,
on voyait qu’il ne faisait pas dans le bénévolat.

R&F : Blondie a été un des derniers grou-
pes à se produire au Pavillon de Paris,
qui ferme en 1980. Vous perdiez votre
lieu de prédilection...
Albert Koski :Il a fallu que je me déplace
à l’hippodrome de Pantin, où j’ai produit le
Grateful Dead, Scorpions, Kiss, Pat Benatar...
J’ai aussi réquisitionné l’Espace Balard...
L’hippodrome d’Auteuil, avec deux concerts
mémorables de Simon And Garfunkel,
80 000 spectateurs! Et le Palais des Sports de Saint-Ouen, où j’ai fait
jouer, pour la première fois en France, Bruce Springsteen. Je l’ai fait
revenir pour ce concert mémorable au stade de Colombes en 1985.

R&F : Le Pavillon de Paris disparaît parce qu’est construit le
Zénith, inauguré en 1984, comme le Palais omnisports de
Paris-Bercy : tout devient plus encadré.
Albert Koski :J’ai organisé des concerts à Bercy... Même au Palace, fuck.
Le Palace, comme celui qui le dirigeait, c’était de la merde. Je préférais
investir des foires en province.

Un billet de Yes à 790 euros!
R&F : Qu’avez-vous pensé du Live Aid?
Albert Koski :J’y étais, à Philadelphie, avec Bill Graham. Un beau
projet humanitaire, mais derrière, très pognon, une grosse entreprise
commerciale. Moi, avec “Lily Passion”, le spectacle qui réunissait Barbara
et Depardieu, puis “Emilie Jolie”, je perds alors de l’argent. Le coup de
grâce est venu suite à un contrôle du fisc... J’ai dû arrêter KCP en
1987, ça m’a foutu en l’air, déchiqueté, j’ai été malade très longtemps.

R&F : Et vous exposez toutes vos années KCP...
Albert Koski :J’accordais une importance primordiale aux billets,
affiches, badges. J’ai été agent de directeurs artistiques : j’ai donc créé
de beaux tickets marquants. En premier lieu, le logo KCP, conçu par un
DA anglais de chez Collett Dickenson Pearce, l’agence qui a lancé des
types comme Ridley Scott ou Alan Parker... J’ai vu qu’un billet de Yes,
pour un concert de 1974, alors à 30 francs, se vend aujourd’hui sur internet
à 790 euros! Le souvenir de la musique s’efface, les tickets restent :
je voulais un graphisme qui immortalise chaque concert en beauté. ★

Exposition :Espace Sylvia Rielle - 10 Place des Vosges, 75004 Paris
Affiches, tickets, pass backstages édités en séries limitées sur papier Fine Art,
toiles, résines, plexis, sur http://www.kcprockart.com

ALBERT KOSKI


“On décrit les


rockers comme


des branleurs,


mais je voyais


le contraire : des


bosseurs qui ne


rigolaient pas


avec le fric”

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