Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
SEPTEMBRE 2019 R&F 063

“Marc & Robert” (1988)
Avant les meilleurs de la French touch, le groupe français le plus
exportable (sans tricherie institutionnelle ou magouille bureaucratique...),
c’était les Rita. Leur maison de disques a tout mis en œuvre pour que
ça se sache et les Anglo-Saxons ne s’y sont jamais trompés. Ceux que
le duo a sollicités pendant sa trop courte carrière ne se sont pas fait prier
pour être de la fête. Malgré son titre franchouillard, “Marc et Robert”,
coproduit par Visconti, s’était ouvert à Sparks, notamment auteurs-
compositeurs d’une de ses temps forts : la scie musicale (en anglais et
parue en single) “Singing In The Shower”. Mais surtout, pour courtiser
au-delà des mers, l’idée de faire appel
à un remixeur branchouille du moment
avait été jetée comme une bouteille.
Au bout du compte, Jesse Johnson,
musicien qui avait sévi dans l’entou-
rage de Prince (ex-guitariste de The
Time, le groupe de Morris Day, un
vrai proche du génie pourpre) a
tripoté quelques titres de l’album,
mais pas “Mandolino City” ni “Le
Petit Train” (qui les emmènera en
Inde...), les deux autres singles
auxquels on l’associe le plus souvent et à raison. Le premier a été
cocomposé par Mondino et l’autre, déjanté comme pas deux, est un de
ceux qui ressemblaient vraiment au groupe découvert grâce à “Marcia
Baïla”. Si “Marc Et Robert” pèche, c’est du côté de ses sonorités clinquantes,
de boîtes à rythmes surtout, typiques de la décennie. Forcément, elles
tirent certaines compositions, non pas vers le bas, mais vers un temps
qui échappe aux moins de trente ans... A ce stade, les Rita allaient extraire
de leur système l’album de remixes “Re”, un best of étiré en somme, avec
de chouettes passages (réalisés par William Orbit ou Fat Freddy) et une
relecture, pas nécessaire, de “Don’t Forget The Nite”.

“Système D” (1993)
Ça devait arriver. Au début de la nouvelle décennie, Fred et Catherine
s’estiment aptes à voler de leurs propres nageoires et produisent seuls
ce quatrième album. Il faut savoir qu’ils ont pris de l’assurance. Elle,
en chantant avec Marc Lavoine l’inattendue et réussie “Qu’est-ce Que
T’es Belle”, lui, en continuant de s’intéresser aux bons sons et aux
techniques qui y mènent. Et c’est le point fort de “Système D”, comme
débrouille, dont l’accent n’est mis sur aucun travers. Certes, il y a du
synthé, mais un vrai batteur. Des scratches, mais de la guitare sèche.
Certains lui reprocheront son manque de singles potentiels, mais les
Rita, obligés de l’assumer et de faire
avec, deviennent un groupe à albums.
Dans ce “Système D” en partie mis
en boîte au Maroc, ils retournent au
rock (“Elevator” et son solo roxiesque),
revisitent une face B de 45 tours du
premier album (“La Steppe”), citent
Gainsbourg (“L’Hôtel Particulier”),
rendent hommage à James Brown
(“Godfather Of Soul”) et invitent Iggy
Pop à en pousser une petite (“My Love
Is Bad”), pas la meilleure. Rarement
mises en avant, les trois chansons qui terminent l’album (“Chères Petites”,
“La Belle Vie” et “Modern Baleine”), sans annoncer la suite, laissent
entendre que la maturité, pour eux, passera par davantage d’authenticité,
la vérité après feus les artifices. Premier album pour Delabel en 1996,
“Acoustiques”, captation live aux allures d’Unplugged de luxe abondera
dans ce sens. A noter, dans les images de cette émission de M6 qui
traînent sur YouTube, la présence de Princess Erika et Doc Gynéco,
et le regard de Chichin lorsque Catherine fait sa Ringer. Du beau partout.

“Cool Frénésie” (2000)
Et soudain, la charrue avant les beaufs, leurs goûts à eux avant ceux du
public. C’est décidé et pas autrement. En 2000, ça fait plus de quinze ans
que le couple de la pop brocantée et du rock de chiffonnier maintient le
cap en ayant pris soin, avant de quitter le port, de scier le gouvernail.
Delabel n’est pas là pour perdre du fric, mais ne pense pas qu’à ça. Ça
va faire la différence. Sur “Cool Frénésie”, soyons sympa, il y a au
moins trois morceaux de trop. On le sait, on a les titres. Mais qu’importe,
les bons comptent double. A commencer par “Dis-Moi Des Mots”, au
texte coécrit par Jean Néplin, le copain d’avant et de toujours qui avait
monté Fassbinder avec Fred à l’époque où les punks avaient des dents.
Pas dégueu non plus, la chanson-titre ou l’art d’en faire des caisses avec
pas grand-chose (une basse disco,
simple comme Donna Summer) ce qui
vaut toujours mieux que le contraire.
Limite réaliste, “Toi & Moi & Elle”
fait dans l’electro-valse, tandis que
“Gripshitrider In Paris” tire profit d’un
gros méchant loop que Catherine
chevauche à cru en dégorgeant une
mélodie entre spoken wordet vertige
des cimes. Si elles tombent là-dessus,
les expertes de la vocalise d’aujourd’hui

LES RITA MITSOUKO


Dans “Système D”, ils citent Gainsbourg,


rendent hommage à James Brown et invitent Iggy Pop


Russell Mael :“Heureusement, mon abonnement au
LA Times et celui de mon frère Ron venaient d’être renouvelés lorsque
nous y avons lu une interview de Catherine. Fans des Rita Mitsouko
depuis notre lointaine Los Angeles, nous avons été agréablement surpris
de constater qu’elle mentionnait Sparks. Nous sommes allés voir les
Rita en concert le soir-même. Après le show, nous nous sommes faufilés
jusqu’à leur loge pour les féliciter et leur dire tout le bien que nous
pensions de leur musique. Fred et Catherine se sont montrés à la
hauteur de l’excentricité de leurs vidéos et de l’univers musical de leurs
albums. Nous avons jeté en l’air l’idée de travailler un jour ensemble.
Les artistes font souvent ça pour terminer une soirée. Apparemment,
notre suggestion ne les a pas laissés indifférents car, peu de temps
après, nous avons reçu un coup de téléphone. Ils nous proposaient de
collaborer avec eux. Non seulement ils étaient sur le point d’enregistrer
leur prochain disque à Paris, mais ils avaient sollicité Tony Visconti qui
avait produit notre album ‘Indiscreet’ en 1975 et dont nous adorions le
travail. En clair, la fête continuait ! Nous avons commencé par écrire
quatre ou cinq chansons et Fred et Catherine ont été particulièrement
réactifs à deux d’entre elles : ‘Live In Las Vegas’ et ‘Singing In The
Shower’. Nous les avons rejoints à Paris et avons répété avec eux un
troisième titre qu’ils avaient écrit : ‘Hip Kit’. Sur celui-ci, ma tâche
a consisté à chanter avec le meilleur accent parisien possible !
Cette interview lue dans le LA Times nous a même menés
jusqu’aux plateaux de la télévision française ! Jamais nous
ne nous serions imaginés en train de chanter ‘Singing In The
Shower’ au pied du Sacré-Cœur pour le centième anniversaire
de la Tour Eiffel avec les Rita Mitsouko. C’était fou.”
Photo Denis Darzacq-DR

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